Aux origines des défaites de la gauche !

La scène politique internationale connaît des transformations profondes depuis quelques mois. L’approfondissement des crises économiques et sociales et la défiance grandissante vis-à-vis de la globalisation ont été à l’origine d’un recul des partis politiques classiques libéraux, de droite comme de gauche, et d’une montée sans précédent de nouvelles forces politiques anti-système. Ces nouvelles forces politiques ne sont pas récentes, mais l’approfondissement de la crise et la perte de confiance dans la capacité des forces politiques traditionnelles et héritées de la modernisation capitaliste au cours des 19e et 20e siècles à ouvrir des horizons leur ont donné des ailes. Les dernières échéances électorales dans différents pays du monde ont montré l’influence grandissante de ces nouvelles forces politiques. Ainsi, par exemple le mouvement Syrisa est devenu la principale force politique en Grèce et Podemos issu de l’altermondialisme a connu une progression sans précédent pour devenir une des trois forces politiques d’Espagne.
La montée de nouvelles forces politiques ne s’est pas limitée aux forces de gauche issues de l’altermondialisme. Mais, on a connu également le développement de forces issues de l’extrême droite et du populisme qui ont contribué à la victoire du candidat Donald Trump aux élections présidentielles aux Etats-Unis. L’avancée de ces nouvelles forces ne s’est pas limitée aux Etats-Unis mais l’Europe a également connu cette poussée et la candidate de l’extrême droite française caracole en tête des sondages face à la débandade des candidats issus des partis classiques.
Ce nouveau contexte politique marqué par le recul des partis traditionnels a été à l’origine d’importants débats dans les journaux et les revues spécialisées pour mieux comprendre les origines de ces transformations. Plus particulièrement, beaucoup d’intérêt a été accordé aux partis et formations de gauche qui ont connu un recul sans précédent ces derniers mois. Ainsi, par exemple la candidate du parti démocrate, Hillary Clinton, a connu un échec retentissant lors des élections présidentielles américaines contre le candidat improbable du parti républicain Donald Trump. En France, le candidat du parti socialiste, Benoît Hamon, n’est pas assuré de parvenir au second tour.
Auparavant, la gauche a connu en Amérique latine des défaites majeures. Ainsi, la présidente brésilienne Dilma Roussef a été démise de ses fonctions et en même temps l’icône non seulement de la gauche latino-américaine mais aussi de la gauche mondiale, l’ancien président Lula est poursuivi pour corruption. En Argentine, le candidat de la gauche a enregistré une importante défaite contre le candidat de la droite néo-libérale, Mauricio Macri.
Ces éléments sont significatifs du recul de la gauche dans le monde et de sa faillite comme l’affirment beaucoup d’observateurs. Cet échec n’est pas seulement électoral mais indique une crise beaucoup plus profonde de la gauche mondiale aux niveaux idéologique, économique, culturel et intellectuel.
Cette crise a donné lieu à beaucoup de travaux et de réflexions pour comprendre les origines de ce mal profond dont souffre la gauche mondiale. Parmi ces réflexions on peut citer le dossier consacré par le mensuel Philosophie magazine intitulé « De quoi la gauche est-elle malade ? ». On peut aussi mentionner l’essai controversé du philosophe français Jean Claude Michéa intitulé « Notre ennemi le capital ».
Pour comprendre la crise de la gauche mondiale et les raisons de son recul, il faut revenir aux principes et aux fondements de sa pensée et de sa pratique politique depuis le 19e siècle. Ces fondements peuvent être résumés autour de cinq idées essentielles. La première concerne la croyance dans l’idée de progrès et le mouvement de l’histoire va toujours de l’avant dans une dynamique qui produirait une amélioration dans les sociétés et dans les conditions de l’humain. La seconde idée est relative au rôle du collectif dont les partis, les syndicats et toutes les autres formes d’organisation collective dans la transformation des sociétés par rapport au rôle de l’individu. La troisième idée concerne l’égalité et la conviction que la dynamique historique s’inscrit dans une logique de réduction des inégalités afin d’atteindre une plus grande égalité dans les sociétés humaines. La quatrième idée est liée à la croyance de l’existence d’un autre monde et d’une nouvelle société où disparaitraient les contradictions et l’exploitation de l’homme par l’homme. La cinquième idée concerne le rôle et la place des classes populaires et particulièrement de la classe ouvrière dans le changement social.
Or, si ces principes et ces cinq idées fondamentales ont joué un rôle essentiel dans la dynamique des sociétés capitalistes dans les 19e et 20e siècles et ont contribué au succès et à la domination politique de la gauche, les choses ont beaucoup changé depuis l’éclatement de la crise et les transformations que le monde a connu avant la fin du siècle et sont à l’origine de l’essoufflement des grands principes qui ont fondé la pratique et le projet politique de la gauche. Ainsi, l’idée de progrès a été remise en cause particulièrement avec le réchauffement climatique qui a montré que le productivisme et la consommation de masse pourraient conduire le monde à sa fin. En même temps, les sociétés post-modernes ont connu la montée des individus et l’effritement de l’idée collective particulièrement avec la montée des réseaux sociaux. Par ailleurs, on a connu une montée sans précédent des inégalités sociales. Ces développements sont au cœur de l’idée d’un monde meilleur où le capitalisme s’impose comme le modèle social indépassable et l’horizon de l’humain. Enfin, il faut aussi mentionner l’effritement des grandes classes sociales avec la fin du fordisme et des grandes organisations ouvrières.
La fin du monde de la modernité héritée des grandes révolutions industrielles et les grandes transformations que nous vivons sont au centre de grands questionnements et de grandes interrogations. Ils expliquent aussi la crise des grands mouvements et des partis de gauche. Il s’agit d’un nouveau monde marqué par la fragilité, l’instabilité et une grande imprévisibilité.
Les forces de gauche ont cherché à proposer des réponses à ce nouveau monde et à fonder un nouveau positionnement politique et social pour sortir de la crise profonde qu’ils traversent et de leur marginalisation. A ce propos deux réponses ont émergé. Pour les forces radicales, la marginalisation de la gauche est le résultat de la trahison des élites des couches populaires et il est impératif de construire de nouvelles alliances avec ces forces pour réinventer une nouvelle espérance. D’autres au contraire estiment que les forces de gauche n’ont pas su renouer leur discours et leurs pratiques afin de prendre en considération les transformations de notre monde et l’émergence de la post-modernité.
La crise de la gauche mondiale aujourd’hui est significative d’une crise beaucoup plus grave et beaucoup plus profonde qui est celle de l’expression politique traditionnelle héritée de la modernité. Elle invite plus que jamais à la nécessité d’un véritable renouvellement du politique afin de prendre en considération les angoisses et la détresse sociale et empêcher qu’elles soient portées par le chauvinisme et le racisme qui ouvrent à tous les aventurismes qui peuvent mener l’humain à sa perte.

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