Avançons-nous vers la démocratie illibérale ? (1)

La montée du populisme a été à l’origine d’un important débat au niveau global sur la question de la démocratie illibérale où cette tendance s’est manifestée un peu partout dans le monde, de la Hongrie à la Pologne, du Venezuela aux Etats-Unis, avec l’arrivée au pouvoir à la faveur d’élections démocratiques, de régimes autoritaires qui cherchent rapidement à opérer une concentration sans précédent du pouvoir et une remise en cause d’une série de libertés fondamentales comme la liberté de la presse. Les analystes ont rapidement mis en parallèle d’un point de vue historique, l’arrivée du populisme d’aujourd’hui à la période noire des années 1930 où le populisme a conduit au fascisme et au nazisme. Or, les vagues populistes aujourd’hui sont bien différentes et ne cherchent pas à construire de nouvelles dictatures absolues qui ont mis l’humanité au bord de l’abîme au moment de la Seconde Guerre mondiale. Au contraire, les populismes contemporains sont en train de bâtir des régimes bien spécifiques. Il s’agit de formes particulières de démocratie qui sont fortement éloignées des démocraties libérales que l’Occident a connues depuis l’ère des révolutions et des Lumières. Ces nouveaux régimes politiques, sans remettre en cause les formes de la gouvernance démocratique, lui donnent un contenu de plus en plus autoritaire et centralisé. C’est cette forme hybride de démocratie qu’on désigne dans le débat public global comme la démocratie illibérale et qui fait l’objet de plus en plus de débats et de controverses.
Or, ce débat et les inquiétudes devant la montée des démocraties illibérales dans le monde ne sont pas sans rappeler notre contexte post-électoral avec la montée des forces populistes qui ont été en mesure de défaire les forces centristes qui ont dominé l’espace public tunisien depuis la seconde moitié du 18e siècle. La question qui se pose est de savoir si nous avançons comme sous d’autres cieux vers cette forme hybride où les pratiques démocratiques s’accommodent de la montée de l’autoritarisme et de formes de conservatisme qui remettent en cause certaines libertés individuelles.
Mais, avant de revenir sur l’évolution de notre paysage politique post-électoral, arrêtons-nous d’abord sur les origines de ce concept de démocratie illibérale.
Aux sources du concept des démocraties illibérales
Le concept d’illibéralisme a été introduit et développé par l’universitaire et intellectuel américain d’origine indienne Fareed Zakaria dans un essai publié il y a plus de vingt ans et intitulé « The future of freedom : Illiberal democracy at home and abroad » en 1997. Dans cet essai, il a cherché à qualifier la montée de tendances nouvelles particulièrement en Europe de l’Est et dans d’autres régions du monde et l’apparition de régimes politiques où les formes démocratiques survivent avec le rejet du libéralisme constitutionnel et une grande centralisation du pouvoir et un rétrécissement des espaces de liberté. Dans cette nouvelle lecture de la trajectoire des expériences démocratiques, Fareed Zakaria remet en cause la thèse de Francis Fukuyama sur l’adhésion de la planète à la démocratie libérale et de ce point de vue, la fin de l’histoire. Il soulignait de manière prémonitoire que « les démocraties libérales occidentales pourraient s’avérer ne pas être le terminus de l’itinéraire démocratique, mais seulement une sortie parmi d’autres possibles ».
Et, Fareed Zakaria de mettre l’accent sur ces nouveaux parcours de la démocratisation et de l’apparition de ces formes de démocratie illibérales qui s’éloignent du libéralisme politique. Il s’agit de régimes politiques bien particuliers et qui, tout en se réclamant de la démocratie, n’en bafouent pas moins certains de ces principes de base comme l’indépendance de la justice, ou la montée des discriminations, de la corruption, du népotisme ou l’absence d’égalité devant la loi.
D’ailleurs, ces régimes ne sont pas une trouvaille récente mais l’histoire regorge d’exemples de pays qui ont connu des régimes autoritaires et fortement centralisés mais qui ont garanti certaines libertés. C’était le cas de beaucoup de pays d’Amérique latine dans les années 1950 avec les Etats développementalistes avant les coups d’Etat militaires des années 1970. C’était aussi le cas des pays du Sud-Est asiatique dont Hong Kong, Singapour, la Corée du Sud qui ont connu des régimes fortement autoritaires après la Seconde Guerre mondiale et qui ont entamé d’importantes expériences de développement rapide et de sortie du sous-développement sous la conduite de régimes et de dictatures.
Mais, ce sont les trajectoires des pays de l’Est qui sont au cœur de ces analyses et qui seront généralisées plus tard. Et les développements théoriques de Fareed Zakaria et de bien d’autres politologues auraient pu demeurer peu connus sans le concours de Victor Orban, le premier ministre hongrois. En effet, dans l’université d’été de son parti en 2014, le Premier ministre hongrois annonce sa volonté de construire un «Etat illibéral » qui s’inspire des principes de la démocratie mais se garde d’en faire un fondement du système politique hongrois, membre de l’Union européenne. Et, il continue de fustiger les défenseurs du mimétisme démocratique et ceux qui appellent à suivre les principes de la démocratie occidentale en appelant à inventer de nouvelles formes de systèmes démocratiques qui ont montré leur succès dans d’autres régions comme Singapour, l’Inde, la Chine ou la Turquie. Ainsi, Victor Orban de souligner dans son discours qu’il faut constater que « des systèmes qui ne sont pas occidentaux, qui ne sont pas libéraux, qui ne sont pas des démocraties libérales, peut-être même pas des démocraties, font pourtant le succès de certaines nations».
Et, Victor Orban de joindre la parole à l’action avec une gestion autoritaire de l’Etat qui a été à l’origine d’une importante réduction des libertés et d’importantes critiques de la part des autres pays membres de l’Union européenne.
Mais, quelles sont les origines du développement des formes de démocratie illibérale ?
A suivre…

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