Avec 92 variants détectés, la situation brésilienne doit-elle alerter le monde entier ? 

L’explosion du variant brésilien « P1 » et la découverte de nouvelles souches locales incitent à la méfiance.
Macabre, le record en dit long sur la tragédie en cours au Brésil. Plus de 4000 personnes sont mortes du Covid-19 en seulement vingt-quatre heures, entre le 5 et le 6 avril. La moyenne sur une semaine flirte avec le seuil tout aussi inédit des 3000 victimes quotidiennes. Le nombre de nouvelles contaminations demeure au même titre exceptionnellement élevé, avec des pics à près de 100 000 cas selon les jours. Faut-il encore le rappeler : la nation auriverde est la deuxième plus meurtrie à l’échelle du globe (351 334 décès). Et court sans le vouloir après un autre record, celui des Etats-Unis, à 561 074 morts liés au Covid.
La gestion politique aveugle de la part du président populiste Jair Bolsonaro n’est pas étrangère au désastre. Ses errements se traduisent aux quatre coins du territoire par des décisions sanitaires inexplicables. Dans ce contexte, et tandis que 600 patients attendent un lit d’hôpital dans la région, l’État de Rio de Janeiro a par exemple pris la décision de rouvrir les bars et les restaurants, vendredi. Après que le maire de sa mégapole, Eduardo Paes, en avait pourtant décidé la fermeture, à la fin mars.
Sur un plan strictement médical, le coupable a un nom barbare : 20J/501Y.V3. Aussi appelée « variant brésilien » ou tout simplement « P1 », la dangereuse souche du virus SARS-CoV-2 règne sur le vaste pays. Il s’agit d’un VOC (variants of concern, ou « variants préoccupants »), au même titre que ceux repérés au Royaume-Uni et en Afrique du Sud, plus dangereux car plus contagieux. L’Institut de santé publique Fiocruz (Oswaldo Cruz) a mis en garde, mardi, contre tout relâchement à son égard : « L’épidémie pourrait rester à des niveaux critiques tout au long du mois d’avril, prolongeant la crise sanitaire et l’effondrement des services et des systèmes de santé. »
Tout en révélant l’existence, au passage, l’émergence de 92 variants sur le territoire, faisant craindre à certains observateurs un nouveau phénomène d’échappement d’un virus devenu totalement incontrôlable. Et si ce risque se propageait au reste du monde ?
*Une « source à tarir »
« Le Brésil pourrait se transformer en laboratoire de variants à ciel ouvert qui peuvent compromettre la lutte contre la pandémie dans le monde entier », s’alarmait, jeudi, un ancien coordinateur régional de l’équipe de lutte contre la maladie, Miguel Nicolelis, au micro de RFI, décrivant également à l’agence Reuters le lendemain l’émergence d’un « Fukushima biologique ».
Sans forcément adopter la formulation « laboratoire », nombre d’experts comprennent le message envoyé. « Plus les virus circulent, plus ils ont la possibilité d’évoluer, de générer des nouveaux variants mieux adaptés aux populations. Et ce, même dans le contexte d’une immunité qui s’installe, naturelle ou par la vaccination », décrypte sans étonnement le virologue au CNRS Etienne Decroly, à L’Express. Pour ces raisons, « le Brésil est une source infectieuse de variants qu’il faudrait essayer de tarir », abonde à L’Express son confrère Bruno Lina, virologue au CHU de Lyon et membre du conseil scientifique.
Le nombre de variants (92, pour l’Institut Fiocruz) n’est à lui seul pas forcément révélateur. « Ce sont pour la plupart des lignages génétiques comme on en détecte en France », avec de minces différences avec les souches connues, juge Bruno Lina. Le Brésil semble davantage rattraper son retard en matière de séquençage du virus, avec jusqu’ici moins de 0,5 analyse pour 1000 cas, l’un des plus faibles taux du monde selon la plateforme Gisaid où les scientifiques partagent leurs découvertes. L’Institut Fiocruz a tout récemment présenté une toute nouvelle méthode de séquençage lui permettant d’être plus performante dans ce domaine.
Le journal local A Gazeta rapportait toutefois, jeudi, la découverte dans l’est du pays d’une souche portant une combinaison de 18 mutations, certaines présentes dans les variants brésiliens P1 et P2, sud-africain et britannique. Bien qu’on n’en sache pas beaucoup plus, il s’agit typiquement du genre de réaction que redoutent les professionnels de santé. « À cause de l’absence de contrôle sur place, les variants comme P1 qui ont émergé au Brésil ont déjà acquis la possibilité d’infecter des gens qui ont eu la maladie », rappelle Bruno Lina. Et plus la situation perdure, plus grand est le risque de les voir se renforcer avec de nouvelles particularités.
Trois questions sont essentielles pour évaluer leur véritable dangerosité. « Est-ce des variants plus infectieux, capables de prendre le dessus sur les autres, comme le Britannique en Europe ? Est-ce qu’ils sont plus pathogènes, en capacité d’envoyer plus de gens à l’hôpital, et plus mortels ? Et enfin, échappent-ils à la protection vaccinale ? », liste à L’Express le virologue Yves Gaudin, directeur de recherche au CNRS. Impossible de le savoir pour la grande majorité d’entre eux, encore. À l’exception du peu rassurant P1.
*L’ombre de P1
Au Brésil, la souche P1 représentait début avril 65% des nouvelles contaminations d’après la plateforme Nextstrain et domine le pays de la même manière que le B.1.1.7 (britannique) en Europe. Des travaux brésiliens publiés en mars 2021, sur MedRxiv (pre-print), laissent entrevoir sous son capot un potentiel de transmission jusqu’à 2,52 fois plus élevé que la souche originelle du SARS-CoV-2. Et près de 68% plus grand que celle du variant venu du Royaume-Uni, écrit l’épidémiologiste Eric Feigl-Ding, sur Twitter. Sa capacité de réinfection oscillerait entre 25 à 61%. Des effets rendus possibles par deux caractéristiques particulièrement inquiétantes : les mutations de la protéine S (Spike) N501Y, E484K, respectivement partagées avec les souches britanniques et sud-africaines, ainsi que K417T, qui boostent la transmissibilité et la résistance à l’immunité.
Plus récemment, l’AMIB (L’association de médecine intensive brésilienne), insistait sur les hauts chiffres de mortalité depuis que la souche est devenue dominante dans le pays, avec une augmentation de 193% chez les moins de 45 ans depuis la dernière vague de l’automne.
Sur l’aspect vaccinal, les récents tests avec le vaccin chinois CoronaVac (déjà autorisés), publiés dans Science, affichent une efficacité de seulement 50% contre les formes symptomatiques de P1. À peine plus que ceux menés par le centre de recherches biomédicales brésilien, l’Institut Butantan, porteur d’un projet de vaccin « maison » du même nom censé accélérer une très lente campagne.
La vaccination, commencée sur le tard au Brésil à l’aide du sérum AstraZeneca, dont on ne connaît pas la résistance précise à ce variant, peine à prendre son envol avec seulement 10% de la population ayant bénéficié d’une première injection sur place. Le vaccin Pfizer-BioNTech, peut-être le plus prometteur compte tenu de ses résultats sur la souche sud-africaine et la mutation E484K, n’est pas encore disponible sur place. La commande de 100 millions de doses n’a été passée qu’autour de la mi-mars par Jair Bolsonaro. Environ 13 millions devraient être reçus avant la fin du premier semestre. De quoi immuniser à peine 3% de la population globale.
La souche P1 inquiète, d’autant plus qu’elle est capable de traverser les frontières brésiliennes. Plusieurs centaines cas ont récemment été détectées en Colombie-Britannique (Canada), dans une station de ski, où les autorités locales ont pu constater la virulence toute particulière du virus chez les plus jeunes. Si des cas sont observés un peu partout au Pérou, en Uruguay, et dans toute l’Amérique Latine, la situation est plus contrastée sur le continent européen où P1 (22% des séquences observées) fait face à la rude concurrence de B.1.1.7, le variant britannique (28%), d’après les chiffres publiés sur Nextstrain.
En France, le dernier bulletin épidémiologique de Sante publique France (SPF), daté du 8 avril, fait état d’une situation « stable », en ce qui concerne « les suspicions de variant 20H/501Y.V2 (sud-africain) ou 20J/501Y.V3 (brésilien) », à 4,2% des cas positifs recensés sur le territoire. À l’intérieur même de cette estimation, la part de la souche brésilienne, identifiée pour la première fois en février, semble être minime. De l’ordre de 0,5 à 1%, chiffre Jacques Izopet, chef du service de virologie du CHU de Toulouse, à La Dépêche du Midi. De fortes disparités départementales existent, entre une Moselle affaiblie par le variant sud-africain et une Guyane géographiquement peut-être plus susceptible d’accueillir de nouveaux cas de P1. « Là-bas, on assiste actuellement à une augmentation progressive de cas infectés avec cette souche », relève Bruno Lina, qui rassure malgré tout : « La compétition entre les variants tourne pour l’instant largement à l’avantage du variant britannique qui se transmet mieux et à tendance à ne pas laisser la place aux autres. »
Cette propagation modeste de P1 en France, n’empêche pas les appels à un plus strict contrôle des frontières de fleurir. Des inspections aléatoires ont bien lieu, aux aéroports de Paris, a vérifié le quotidien Libération, sans connaître ceux spécifiquement dédiés aux quelques vols traversant tous les jours l’Atlantique. L’isolement n’est en revanche pas obligatoire mais seulement conseillé. Tout le contraire de pays pratiquant la stratégie dite « zéro Covid » comme l’Australie.
« Demander simplement un test peut ne pas suffire », souligne à L’Express le virologue Vincent Maréchal. « L’isolation doit être obligatoire avant que le variant ne fasse tache d’huile ». Pour le P1, particulièrement dangereux, tout comme d’autres. « La circulation des virus devrait se calmer jusqu’à l’été. Ce sera ensuite le moment pour prendre des décisions pour limiter les réintroductions de variants. Ce serait dramatique que certains qui échappent à la vaccination apparaissent sur le territoire », confie-t-il.
Le variant P1 dispose en effet déjà d’une allure de « champion », du fait de sa haute contagiosité, et de sa dominance dans un pays comme le Brésil. Il ne lui manque à ses yeux que l’effet « fondateur », comme le nomme Vincent Maréchal. Une introduction massive, lui permettant de lutter avec la souche britannique. Et pourquoi pas d’en acquérir d’autres mutations annihilant tous les efforts réalisés pour en restreindre sa propagation. Un scénario catastrophe auquel nous a hélas habitué ce virus.
(L’Express)

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