Aveu d’échec

Parce qu’à la dernière minute tout le stratagème concocté pour évincer Youssef Chahed est apparu au grand jour, la présidence de la République, qui a mené le bal dès le premier jour, s’est subitement ravisée. Dans ce processus tumultueux,  elle a  préféré prendre de la distance, rappelant que l’institution, gardienne de la Constitution du pays, n’est nullement habilitée à jouer cette partition et rééditer le scénario de 2016,  dont Habib Essid a payé les frais et finalement en suspendant sine die un  dialogue devenu de sourds.
Pourtant, chez certaines parties, la détermination était grande d’inscrire le départ de Youssef Chahed et de son équipe, comme point essentiel de la feuille de route de Carthage 2. Leur obsession a été également sans limite, elles qui cherchent à nous faire croire que ce départ allait tout régler et apporter les solutions que personne n’a réussi à concevoir ni à mettre en route depuis plus de sept ans.
Conformément à ce scénario, la stratégie de sortie de crise, la refonte du modèle de développement, le déblocage de la situation politique, économique et sociale, se réduisent à ce petit règlement de compte personnel, à cette obstination qui habite le directeur exécutif de Nidaa Tounes, Hafedh Caïd Essebsi, et l’UGTT, à vouloir chasser un homme qui a cessé d’être leur servile serviteur. Tout le reste n’est que du détail, puisque les 63 autres points qui devraient constituer la bible du prochain gouvernement n’ont pas suscité de grandes frictions, servant de prétexte fallacieux pour camoufler une rage de vindicte.
La tournure inattendue prise par les événements, a plongé la présidence de la République, qui est allée un peu trop vite en besogne, dans un grand embarras.  La reproduction du même scénario de 2016 devant conduire au départ de Youssef Chahed s’est heurtée à des résistances et à des fissures apparues dans les positions des alliés au pouvoir. L’embarras provient du fait que les discussions ont traîné en longueur, mis en lumière des mésententes entre Ennahdha et Nidaa Tounes, et le terrain glissant dans lequel s’est engouffrée la présidence de la République non habilitée constitutionnellement à statuer sur ce genre de situation.  Ce qui est risible dans cette affaire, c’est de constater, par le jeu d’influence, le rangement de l’UNFT qui vient de retrouver timidement sa place dans ce genre de concertations, aux côtés de Nidaa Tounes, de l’UPL et de l’UGTT. Ce qui l’est encore plus, c’est  de constater que les négociateurs diligentés par leurs partis et organisations, se sont crus dotés de pouvoirs sans limites  qui leur permettent de se substituer au jeu des institutions et de passer en sourdine les procédures légales qui président au changement d’un gouvernement dans cette démocratie naissante toujours hantée par les pratiques d’un passé récent.
Enfin, ce qui interloque le plus, c’est l’insoutenable légèreté des partis qui, au bout de deux mois de concertations tendues, ont cru bon faire jurisprudence en édictant des conditions propres à faire  du  futur chef de gouvernement un simple valet qui obéit à leurs directives, en l’enjoignant au passage de ne pas nourrir d’ambitions politiques ni de rêver un jour à se présenter dans de futures élections !
Avec cette fin en queue de poisson, le dialogue initié à Carthage s’est avéré un exercice périlleux, une perte de temps et un brouillage inutile. En témoigne le désagrément dans lequel s’est trouvé le président de la République contraint à une attitude défensive, assurant « ne jamais avoir eu l’intention d’outrepasser les prérogatives de l’Assemblée des représentants du peuple » et finalement en jetant, dans un signe d’impuissance, l’éponge.
La voie du consensus, qui a été constamment défendue, subit un coup de massue, parce qu’elle a laissé la porte, grande ouverte, au jeu d’interférence des organisations nationales dans la vie politique alors que  le pays s’est doté, depuis les élections de 2014, d’institutions pérennes qui barrent la route devant toute improvisation ou tout contournement par quelque moyen que ce soit, des lois et règlements.
Par les errements de tous, la Tunisie est aujourd’hui en passe de détenir un triste record, celui du champion des occasions perdues et des rendez-vous manqués. Par mauvais calcul, légèreté et un brin d’amateurisme, notre classe politique s’évertue à trouver les formules les plus alambiquées pour nous faire perdre un  temps précieux et nous détourner des vrais problèmes.
Alors que le pays s’enfonce chaque jour un peu plus dans la crise, on trouve un malin plaisir à adopter la politique de l’autruche, en commettant les mêmes erreurs, en refusant de tirer les bons enseignements et en dilapidant toutes les opportunités qui auraient pu servir à le faire sortir du bourbier . n

Related posts

Le danger et la désinvolture 

Changer de paradigmes

El Amra et Jebeniana