Baisse alarmante du dinar, jusqu’où ira sa dépréciation ?

 

Le taux de change du dinar n’a pas cessé de glisser depuis 2011, après le déclenchement de la Révolution.

Or, depuis début juin, le dinar semble en chute libre par rapport à l’euro et au dollar après avoir perdu respectivement 3,65% et 3,5%.

Il s’agit d’un record historique, lourd de conséquences pour l’économie du pays. Cette dépréciation risque de se poursuivre, mais jusqu’où ? Pourquoi et comment devons-nous réagir ?

Depuis des décennies la cotation des monnaies nationales ne se fait plus par décision des États ou des groupements d’États, mais en fonction des marchés suite à la confrontation de l’offre et de la demande. On dit alors que les monnaies “flottent”, en fonction de la santé économique et financière des pays, de la conjoncture politique et de la stabilité sociale, des équilibres ou déséquilibres financiers globaux… et du comportement des spéculateurs et des acteurs économiques sur les marchés des changes.

La monnaie, miroir de la santé économique du pays

Si le dinar est en train de se déprécier de façon croissante, sinon catastrophique, c’est que la conjoncture politique, sécuritaire, économique et sociale en Tunisie traverse une situation particulièrement périlleuse.

Il faut dire que la cotation du dinar est étroitement dépendante de la forte pression exercée par la demande du marché de changes en devises — notamment l’euro — par les acteurs économiques, que ce soit les importateurs, les industriels ou les investisseurs.

Pour ce qui est des ressources en devises, il faut dire que les exportateurs se sont bien comportés jusqu’en 2013, quand même, Dieu merci, alors que le tourisme persiste dans sa crise tandis que les rentrées en devises des TRE piétinent à cause de la crise financière qui sévit dans l’UE.

Une chute vertigineuse

En janvier 2011, l’euro était coté 1,94 dinar, il est passé à 1,99 dinar en juillet 2012, à 2,20 dinars en juillet 2013 et à 2,33 D en juillet 2014. Tandis que le dollar US était à 1,42 dinar en janvier 2011, il grimpe à 1,66 D en juillet 2012, passe à 1,86 dinar en juillet 2013 et 1,72 en juillet 2014.

Il est clair qu’il ne s’agit plus pour le dinar d’un glissement ou d’un flottement avec des baisses et des remontées, mais d’une chute vertigineuse et continue.

Les experts financiers estiment que le dinar a perdu 20% de sa valeur face à l’euro et 19% face au dollar, depuis le début 2011 jusqu’à ce jour.

Au cours du mois de juillet, la dégradation de la valeur du dinar s’est accélérée. C’est ainsi que du 10 juin au 7 juillet le dinar tunisien a perdu 3,65% de sa valeur face à l’euro pour se faire coter à 2,312 dinar et 3,50% face au dollar pour être coté à 1,700 dinar.

Des répercussions graves

Il y a les répercussions à court terme et celles à moyen et long termes. À court terme, c’est le renchérissement des importations, que ce soit des produits alimentaires de base, des biens de consommation, des biens d’équipement ou encore des matières premières industrielles ou des semi-produits. Il y a encore les produits énergétiques qui vont subir une double charge : la levée de la compensation et la chute du dinar.

Cela va alimenter l’inflation qui va doubler de vitesse. À moyen et long termes c’est le remboursement de la dette qui va prendre de l’amplitude.

Il faut savoir que 80% de nos importations sont libellés en euros et 60% de notre dette extérieure en dollars. Il faut s’attendre à ce que le pouvoir d’achat des ménages subisse le coup de grâce.

L’inflation importée

Selon l’INS, le taux de l’inflation actuelle est de 6,4%, c’est le taux officiel qui ne concerne que le panier minimal de la ménagère tandis que le taux réel doit osciller autour de 20% par an.

Avec la dépréciation du dinar, les prix vont flamber davantage, car la plupart des matières sont importées, il y aura donc répercussion sur les prix de revient des produits suite à l’opération de change. Les produits énergétiques étant importés et entrant dans la structure de tous les prix de revient vont se répercuter sur les prix de vente. À l’inflation locale, due à la spéculation, va s’ajouter l’impact du taux de change.

Gonflement de la dette extérieure

La dette extérieure de notre pays frôle 50% du PIB. Son remboursement annuel suppose deux facteurs : d’une part une disponibilité budgétaire des échéances à honorer et d’autre part l’existence des montants nécessaires dans les réserves en devises de la BCT. Les échéances des années 2015 et 2016 s’avèrent particulièrement lourdes en la matière.

Il nous faudra encore plus de dinars pour honorer nos dettes à cause de la dépréciation lourde de notre monnaie.

Cependant, la chute du dinar devrait favoriser la pénétration des produits tunisiens sur les marchés extérieurs grâce à une compétitivité accrue des exportations tunisiennes si d’aventure la conjoncture économique dans les pays européens allait en s’améliorant.

Des causes multiples et complexes

Les causes de cette situation dramatique du dinar sont bien connues, je me contenterais donc de les rappeler.

Les difficultés rencontrées par les secteurs d’activités exportatrices de biens et services qui sont pourvoyeurs de devises. Le bassin phosphatier est paralysé depuis plus de trois ans, malgré des améliorations récentes. La crise du tourisme se poursuit bien que des efforts soient prodigués pour rassurer les marchés émetteurs de touristes. Le climat de l’investissement tout court et en particulier celui de l’investissement extérieur est peu rassurant, ce qui hypothèque la croissance du PIB.

Au contraire, les importations connaissent une progression anormale et scandaleuse. Le rapatriement des devises par les TRE stagne en raison de la conjoncture de crise financière dans les pays de l’Union européenne, cependant la conséquence la plus grave est le déficit chronique et croissant de notre commerce extérieur. Il mérite quelques précisions.

Balance commerciale : déficit chronique et croissant

Au cours des trois dernières années, le déficit de notre commerce extérieur n’a fait que se creuser de façon sensible. En 2011 il était de 5.993 millions de dinars, il est passé à 8.813 MD en 2012 et s’est stabilisé à 8.743 MD en 2013.

Pour les cinq mois de 2014, il a atteint 3.444 MD contre 2.768 MD pour la même période de 2013, ce qui augure d’une progression fulgurante d’ici la fin de l’année.

Il faudrait rendre hommage à nos exportateurs tout au long de ces années pour leur dynamisme, ce qui a permis d’améliorer malgré tout le taux de couverture des importations par les exportations : 75,8% en 2011, 68,9% en 2012 et stabilisation à 70,4% en 2013.  2014 n’augure rien de bon.

Cette touche d’optimisme relative aux performances exportatrices doit être cependant relativisée pour 2014, car les exportations des secteurs industriels connaissent des difficultés avec une baisse globale de 2,2% : les cinq mois de 2014 avec le chiffre de 9.550 MD. Le plus grave c’est le recul de 50% du secteur agroalimentaire qui n’a atteint que 514 MD.

Les industries mécaniques et électriques ont régressé de 15%, celles du cuir et des chaussures de 7,3%.

Nos réserves en devises, qui se montaient à la même époque de l’an dernier, à 102 jours d’importations, ont baissé pour ne plus représenter que 97 jours.

Restons quand même optimistes pour confirmer que nous restons au-dessus de la barre fatidique des 90 jours d’importations, mais constatons malgré tout que nous sommes loin de la cote rassurante des 180 jours.

Solutions techniques et remèdes économiques

Il est évident que la stabilité politique et la situation sécuritaire du pays constituent une plate-forme de base indispensable pour garantir au dinar une valeur minimale. Mais cela ne suffit pas, car le climat des affaires importe beaucoup pour assurer à la monnaie nationale une certaine crédibilité. En effet, c’est le taux de la croissance économique qui octroie au dinar sa vraie valeur.

Ce qui implique un flux d’investissements intense, une activité touristique prospère, un commerce extérieur équilibré et des équilibres financiers macro-économiques.

Pour ce qui est des solutions conjoncturelles, la BCT avait décidé en mai 2013 de porter secours au dinar en injectant une forte dose de devises sur le marché de changes, soit l’équivalent de 1.887 MD, (33% du volume des devises en circulation sur ce marché). Ce qui a calmé la spéculation et mis fin provisoirement à la dépréciation du dinar tout en favorisant la fluidité des transactions sur le marché pour satisfaire la demande des banques pour le compte de leurs clients, les entreprises économiques, ainsi que des institutions étatiques qui importent du blé ou du pétrole.

Ce n’est pas la seule fois où la BCT intervient sur le marché des changes pour stopper les attaques contre le dinar et soutenir ainsi sa valeur contre une baisse trop marquée.

C’est ainsi qu’en mai 2014 la BCT avait décidé d’injecter sur le marché 638 MD en devises pour, non seulement empêcher une chute brutale du dinar, mais aussi favoriser une remontée appréciée même si elle n’est que provisoire. C’est ce qui a été fait : le dinar est remonté à 2,14 vis-à-vis de l’euro et à 1,64 vis-à-vis du dollar.

Une large palette de remèdes économiques

Il y a les prescriptions générales faites par les experts économiques et financiers et les mesures spécifiques.

Les remèdes structurels portent sur l’urgence de la lutte contre la contrebande et l’économie informelle qui sont des mesures à la portée de l’Administration avec ses grands corps (Douane, Police, Garde nationale, contrôle économique) et entre les mains du pouvoir exécutif, car 50% de l’économie du pays et donc des devises échappent aux circuits officiels. Une lutte sans merci doit être engagée contre les spéculateurs de tout bord.

Les Tunisiens doivent se remettre au travail avec réduction drastique des perturbations sociales et revendications salariales, en attendant la reprise de la croissance et le rétablissement des équilibres financiers macro-économiques.

Sit-in, grèves et autres manifestations qui troublent l’activité et empêchent la liberté de travailler légalement doivent être exclus, conformément à la loi en vigueur.

L’État, les entreprises et les ménages doivent rationaliser leur train de vie et leurs dépenses. Tout doit être entrepris pour la relance de l’investissement dont la promulgation d’un Code incitatif pour promouvoir la croissance avec réduction des formalités et de la paperasse administrative, véritable hypothèque de toute initiative créatrice de valeur ajoutée et d’emplois.

Nos importations méritent des restrictions sensibles si nous voulons préserver les importations vitales comme les denrées de base et l’énergie. Il est aberrant de continuer à importer des biens de luxe non indispensables à la survie de la population.

Cette situation exceptionnelle pour le dinar mériterait, peut-être, la remise en vigueur provisoire du contrôle des changes. Sinon il faudra 2,500 dinars pour un euro fin 2014 !

Ridha Lahmar

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