Par Mohamed Ben Naceur
L’appel du président de la République aux banques pour qu’elles réduisent les charges d’intérêt intervient dans un contexte économique délicat, marqué par une inflation persistante, un déficit public préoccupant et une croissance atone. Cette initiative vise à stimuler l’investissement, soutenir les entreprises et relancer l’économie, en rendant le crédit plus accessible aux PME, aux entrepreneurs et aux ménages. Toutefois, si cet appel est louable dans son intention, sa mise en œuvre nécessite une approche équilibrée et coordonnée entre les acteurs du secteur financier.
Les banques commerciales, bien qu’incitées à baisser leurs taux d’intérêt, doivent veiller à préserver leur rentabilité et leur stabilité financières, surtout dans un environnement marqué par une forte inflation et une liquidité bancaire sous tension. Dans ce cadre, le rôle de la Banque centrale de Tunisie (BCT) est déterminant, car c’est elle qui fixe le taux directeur, influençant ainsi l’ensemble des conditions de crédit appliquées par les banques commerciales.
Le rôle clé du taux directeur
Le taux directeur est l’outil central de la politique monétaire d’une banque centrale. Il oriente les taux d’intérêt pratiqués par les banques commerciales et, par conséquent, le coût du crédit pour les entreprises et les ménages. Une baisse du taux directeur entraîne une diminution du coût du financement, encourageant ainsi l’investissement et la consommation. À l’inverse, une hausse permet de lutter contre l’inflation en limitant l’accès au crédit et en en réduisant la demande.
En outre, le taux directeur agit sur plusieurs leviers économiques. Il contribue à la stabilité financière en régulant la liquidité bancaire et en prévenant les crises de financement. Il influence également le taux de change, un taux élevé attirant les investisseurs étrangers et renforçant la monnaie nationale, tandis qu’un taux bas favorise les exportations en rendant les produits locaux plus compétitifs. Enfin, il joue un rôle clé dans les anticipations des marchés, en guidant les décisions d’investissement et en orientant les prévisions d’inflation.
Dans le cas tunisien, le taux directeur de la BCT est maintenu à 8 % depuis janvier 2023, ce qui constitue un frein au financement de l’économie. Exiger des banques commerciales qu’elles prêtent à des taux plus bas sans ajustement du taux directeur est une aberration économique.
Une baisse des taux passe nécessairement par une action de la BCT
Les banques commerciales se refinancent sur le marché monétaire, où les taux sont directement liés au taux directeur de la BCT. Actuellement fixé à 8 %, ce taux détermine le coût du financement pour les banques, qui ajoutent ensuite une marge pour couvrir leurs risques et assurer leur rentabilité. Par conséquent, il est irréaliste d’attendre des banques qu’elles prêtent à des taux inférieurs au coût auquel elles se refinancent.
Si le président espère voir les taux d’intérêt baisser, c’est donc à la BCT d’agir en premier en réduisant son taux directeur. Cette mesure aurait un effet immédiat sur le coût du crédit, facilitant ainsi l’accès au financement aux entreprises et aux ménages. Elle encouragerait, également, l’investissement, en permettant aux entreprises d’emprunter à moindre coût pour développer leurs activités, et stimulerait la consommation, en augmentant le pouvoir d’achat grâce à des crédits à la consommation plus abordables.
Toutefois, une telle baisse ne doit pas être décidée à la légère. Une réduction excessive du taux directeur, sans mesures d’accompagnement, pourrait raviver les pressions inflationnistes et accentuer la dépréciation du dinar, notamment si la confiance des investisseurs est ébranlée. Outre la baisse du taux directeur, d’autres mécanismes monétaires et structurels peuvent être envisagés pour favoriser une réduction des taux d’intérêt sans mettre en péril la stabilité financière.
La mise en place de facilités de refinancement à taux préférentiels permettrait à la BCT d’offrir aux banques des lignes de financement à des conditions avantageuses, ciblées sur certains secteurs stratégiques tels que les PME, le logement ou les projets écologiques. Une réduction du ratio de réserves obligatoires imposées aux banques pourrait également libérer de la liquidité et faciliter l’octroi de crédits à des taux plus bas. Un autre levier d’action serait d’accroître la concurrence dans le secteur bancaire. Actuellement, le système bancaire tunisien est peu concurrentiel, avec une forte concentration des activités entre quelques grandes banques. L’introduction de nouveaux acteurs et le développement de solutions de financement alternatives (fintech, microfinance, crédit participatif) pourraient inciter les banques à réduire leurs marges et offrir des conditions plus avantageuses.
Le gouvernement pourrait également jouer un rôle actif en mettant en place des mécanismes de garantie publique pour sécuriser certains crédits jugés risqués par les banques. Par exemple, en offrant des garanties publiques pour les prêts aux PME, il réduirait le risque perçu par les banques et leur permettrait d’accorder des crédits à des taux plus attractifs. De même, un soutien aux crédits immobiliers permettrait de relancer le secteur du BTP, un moteur essentiel de l’économie tunisienne.
Une politique monétaire plus proactive pour relancer l’économie
Si la volonté du président tunisien de voir une baisse des taux d’intérêt est compréhensible, cette décision ne peut être imposée aux banques commerciales sans un ajustement préalable de la politique monétaire de la BCT. C’est à la Banque centrale de prendre l’initiative de baisser son taux directeur, afin d’orienter l’ensemble du système bancaire vers une politique de crédit plus souple et plus accessible.
Toutefois, une baisse du taux directeur doit être accompagnée de réformes structurelles pour éviter des effets indésirables sur l’inflation et la stabilité financière. La mise en place de mécanismes de refinancement ciblés, l’octroi de garanties publiques pour les secteurs prioritaires et la modernisation du secteur financier sont autant de leviers qui permettraient de créer un environnement propice à une baisse durable des taux d’intérêt.
En définitive, la relance économique de la Tunisie passe par une politique monétaire plus proactive, combinée à des mesures structurelles favorisant un financement accessible et compétitif. C’est en mettant en place une stratégie cohérente et coordonnée que l’économie tunisienne pourra retrouver une dynamique de croissance durable et inclusive.