Pour le premier épisode de sa nouvelle émission politique hebdomadaire, la Télévision Tunisienne a commencé par un invité de poids : le président de la République, Béji Caïd Essebsi. Ses rapports avec Ennahdha, les élections municipales, la loi sur la réconciliation administrative, le régime politique, … autant de sujets qui ont été abordés par le Chef de l’État à l’occasion de son entretien de ce lundi 18 septembre 2017.
La position ambiguë vis-à-vis d’Ennahdha
« Je n’ai pas ma langue dans ma poche ! », a déclaré le Chef de l’État avant d’accepter d’accorder l’interview à la Télévision Tunisienne. Pourtant, fidèle à son esprit d’orateur et de communicateur, il s’est montré habile pour esquiver une question posée par Sofiene Ben Farhat sur ses déclarations sur Ennahdha, dans son entretien accordé à As-sahafa-La Presse : « Nous nous sommes trompés d’évaluation », avait alors déclaré Béji Caïd Essebsi pour évaluer le caractère civil du parti islamiste.
« Je ne suis pas nahdhaouis. La souveraineté appartient au peuple et ce peuple a choisi, en 2014, Nidaa Tounes en premier et Ennahdha en seconde position », commence par dire le président de la République. On ne peut pas, selon lui, ignorer l’existence d’Ennahdha sur la scène politique. « La première version de la Constitution de 2014 comportait un volet sur la chariaa et sur la femme en tant qu’être complémentaire de l’homme. Or, nous ne l’avons pas accepté. Ennahdha a fait de gros efforts, comme en témoigne son 10ème congrès où le parti a annoncé la séparation entre le religieux et la politique. C’était un pas important, mais insuffisant », explique Béji Caïd Essebsi.
Dans son énième tentative de balayer la question, le Chef de l’État rappelle que l’objectif est de montrer que l’Islam ne s’oppose pas à la démocratie. Les efforts de réorientation de Sofiene Ben Farhat n’ont pas été tous vains, puisque le président a fini par affirmer que l’évaluation n’a pas été faite seulement pour Ennahdha, mais pour tous les partis politiques. « Nous sommes pour un État qui emprunte la voie modérée. Avec à sa tête Cheikh Rached Ghannouchi, Ennahdha a accompli de nombreux pas sur ce point », déclare-t-il, sans pour autant fournir de réponses claires à la question du journaliste. Sur la question de savoir si une nouvelle alliance était possible entre Nidaa Tounes et le parti islamiste, Béji Caïd Essebsi souligne que la décision appartient aux directions des deux partis.
Réconciliation administrative : « une plénière désastreuse »
L’autre sujet brûlant d’actualité est, bien entendu, le report des élections municipales. Difficile de savoir à quelle heure l’entretien a été enregistré, mais il est probable que le Chef de l’État s’est exprimé sur la question avant l’annonce officielle du report, faite par l’Instance Supérieure Indépendante pour les Élections (ISIE). « Il existe des postes vacants à l’ISIE, dont celui de son président », souligne le Chef de l’État, qui rappelle qu’au départ, Chafik Sarsar, ancien président de l’Instance, lui avait proposé deux dates : le 17 décembre 2017 et mars 2018.. « Mais il a démissionné juste après ! », lance Béji Caïd Essebsi,. Interpellé sur la possibilité d’essoufflement des citoyens en raison des échéances électorales rapprochées, il souligne que le processus démocratique nécessite des « sacrifices ».
Revenant, par la suite, sur le projet de loi sur la réconciliation administrative, adoptée dans une ambiance houleuse à l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) le 13 septembre courant, le président de la République déclare que des députés, pourtant défavorables au texte, ont voté pour. « Ce qui s’est passé durant la plénière était un désastre. On ne peut se permettre de hurler afin d’empêcher l’ARP d’accomplir son devoir, ce n’est pas cela la démocratie. Il faut respecter la majorité et celle-ci doit respecter l’opposition », dit le président de la République.
Hamma Hammami se prend un violent volet de bois vert
L’autre grand sujet sur lequel il a été interrogé concerne le régime politique en Tunisie. De nombreuses voix, notamment celle de l’opposition avec à sa tête le porte-parole du Front Populaire (FP), se sont élevées pour dénoncer la volonté du président de changer le régime. Le président de la République a sévèrement recadré Hamma Hammami : « Ses déclarations ne constituent pas une référence, mais puisque certains médias lui donnent de la place pour s’exprimer, soit », déclare-t-il, allant même jusqu’à réciter un verset du Coran stipulant qu’il ne fallait pas suivre les dires des « imposteurs ».
Hamma Hammami, selon le président de la République, a le droit de jouer son rôle d’opposant, mais à condition de respecter le président de la République en tant qu’institution et représentant de millions de tunisiens. « Il [Hamma Hammami] prétend être une alternative, alors qu’il se prépare pour 2019 », lance encore Béji Caïd Essebsi sur un air de défi. Il poursuit en affirmant, par ailleurs, que la Constitution lui procure le droit, en tant que Chef de l’État, de donner son avis sur la question du changement de régime. « Le régime présidentiel était bon, mais il manquait de contrôle avant la Révolution. Il faut contrôler les agissements du président. L’actuel régime constitue tout de même un acquis, mais s’il y a mieux, pourquoi pas », explique-il encore.
Le gouvernement applique ses propres mesures et non celles du FMI
Le Chef de l’État a, d’un autre côté, été interpellé sur le dernier remaniement ministériel et sur l’action gouvernementale. « C’est le Chef du gouvernement qui a formé son équipe. Le président n’intervient pas, il ne fait que conseiller le Chef du gouvernement et ce dernier peut prendre en compte ses conseils. Il existe une certaine harmonie qui règne entre le président et le Chef du gouvernement. Pour ma part, je veille à ce que chacun exerce ses prérogatives », déclare-t-il.
Sur le plan économique, Béji Caïd Essebsi rappelle que la situation est difficile. « Les agences mondiales de notation, telle que Moody’s, soulignent que le rendement de la Tunisie s’est amélioré, mais pas assez pour sortir de la crise », souligne-t-il, assurant que le Chef du gouvernement et son équipe possèdent un programme capable d’améliorer la situation. « Je soutiens leur travail qui a pris en compte l’avis des institutions mondiales », ajoute-t-il.
Réagissant aux critiques affirmant que la Tunisie suit les directives du Fonds Monétaire International (FMI), le président de la République rappelle, intransigeant, que les mesures prises sont celles du gouvernement et non pas du FMI. « Il existe, aujourd’hui, des spécialistes dans l’interprétation et la surenchère », critique-t-il, avec une pointe d’ironie dans la voix. Il rappelle que c’est la Tunisie qui s’est adressée au FMI et que sans le FMI, le pays aurait pu sombrer dans un gouffre.
Égalité successorale : un devoir constitutionnel
Revenant, d’autre part, sur la brûlante question de l’égalité successorale, Béji Caïd Essebsi affirme que son discours du 13 août 2017 ne visait qu’à faire appliquer la Constitution. Cette dernière, poursuit-il, ne comporte aucune référence religieuse. « Le 13 août, je ne me suis pas adressé aux femmes musulmanes et je n’ai pas abordé la Sourate du Coran concernée. Notre Constitution est celle d’un État civil. Je ne fais pas de fatwa, mais je suis chargé de faire appliquer la Constitution qui impose à l’État d’être le garant de l’égalité », explique-t-il.
« Êtes-vous sérieux ?! », s’est, par ailleurs, exprimé le Chef de l’État en réagissant à une question relative à sa candidature aux présidentielles de 2019. « Je dois tout d’abord rester en vie d’ici là ! », lance-t-il, disant que la question est « mal placée ». « Aujourd’hui, j’ai une responsabilité à assumer. Je ne pourrai annoncer quelque chose que je ne pourrai assumer. Qui vous dit que je serai capable de gouverner en 2019 ? », déclare-t-il encore.
La Tunisie et la Libye : un seul peuple dans deux États
L’entretien du Chef de l’État a été conclu avec la question libyenne. D’ailleurs, le maréchal Kahlifa Haftar a été reçu par le Chef de l’État ce lundi 18 septembre 2017. Ce dernier était clair : la question libyenne doit être résolue sans intervention étrangère et aucun protagoniste ne doit être exclu. « La Tunisie et la Libye constituent un seul peuple dans deux États », assure le président de la République, qui affirme que la Tunisie souhaite le retour d’un État libyen. Le rôle de la Tunisie est important selon le président, qui rappelle qu’Antonio Gueterres, secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies (ONU) a lui-même dit qu’aucune solution n’est envisageable sans la Tunisie.
M.F.K