Par Samy Chambeh
Des parlementaires, membres de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) ont proposé, le mois dernier, un certain nombre d’amendements pour modifier les statuts de la Banque centrale de Tunisie (BCT). Cette initiative ne cesse de susciter les préoccupations d’experts économiques quant à l’atteinte à l’indépendance de la BCT, principe sacro-saint qui garantit une plus grande stabilité des prix avec de bas taux d’inflation. Cependant, le niveau élevé du taux directeur, principal outil de la politique monétaire, selon lequel la BCT prête de l’argent aux banques, en durcissant les conditions de financement des entreprises et en accentuant leurs charges financières, n’a pas permis la relance économique projetée par l’Exécutif politique…
« Je veux que la Banque centrale soit dans la main du gouvernement,
mais qu’elle n’y soit pas trop »,
Napoléon Bonaparte
Et si les parlementaires avaient raison ?
Souvenez-vous. Vingt-sept membres de l’ARP ont déposé, le 10 octobre dernier, une proposition de loi portant révision des statuts de la Banque centrale de Tunisie – Loi n° 2016-35 du 25 avril 2016. Après l’amendement réglementaire du 6 février dernier portant autorisation exceptionnelle à l’Institut d’émission tunisien d’accorder des facilités au Trésor public de l’État à hauteur d’un montant net d’une valeur de 7.000 millions de dinars remboursables sur dix ans avec une période de grâce de trois ans et sans intérêts, la tendance est-elle à l’extinction et d’une manière complète de l’indépendance de la BCT ?
Concrètement, la nouvelle proposition de loi comporte plusieurs amendements, qui portent sur notamment la concertation avec le gouvernement pour les décisions concernant la révision du taux directeur, la prise en charge totale par la BCT pour ce qui est du remboursement des prêts étrangers en devise et de leurs intérêts par la mobilisation des réserves de change, le financement direct du budget de l’Etat par l’obtention de crédits auprès de la BCT qui acquerra les bons de Trésor émis par la puissance publique à la place (ou auprès) des banques.
Ces amendements viseraient à réimpliquer les banques dans le soutien des entreprises et dans le financement des différents secteurs économiques et, surtout, à booster le rôle de la Banque centrale de Tunisie dans l’appui à l’appareil économique national, amendements qui pourraient en revanche mettre à mal l’indépendance institutionnelle de la BCT.
Par cette indépendance, il faut entendre que cette institution qui, soit dit en passant, se démarque du reste des administrations publiques, garde la capacité de prendre les décisions de politique monétaire et financière sans aucune ingérence politique ou pression extérieure. En clair, la BCT pourra se concentrer sur ses attributions essentielles, telles la stabilité des prix ou la lutte contre les tensions inflationnistes et ce, d’une manière totalement autonome, indépendemment des cycles politiques et de l’alternance de gouvernements aux idéologies parfois différentes.
Ainsi, la Banque centrale fixera, comme elle le fait actuellement, son taux directeur, interviendra sur les marchés monétaires et gérera les réserves en devises sans avoir à obtenir l’approbation gouvernementale, mais elle agira avec responsabilité et transparence totale par le biais de communiqués et de rapports diffusés d’une manière périodique et en répondant aux auditions parlementaires s’il y a lieu.
Il ne faut pas omettre que par de tels amendements qui portent atteinte à l’indépendance de la Banque centrale, l’Exécutif politique ne pourra plus se dégager de sa responsabilité en cas de mesures impopulaires de politique monétaire restrictive (comme le maintien des taux d’intérêt à des niveaux jugés insupportables et contraignants pour, à la fois, les opérateurs économiques et les ménages).
Certes, l’histoire économique a montré que des Banques centrales indépendantes réussissent mieux à maintenir des taux d’inflation bas et donc à assurer la stabilité financière. De plus, la littérature théorique économico-financière récente enseigne que l’indépendance de la Banque centrale peut contrecarrer la tentation étatique de mettre en œuvre des politiques économiques trop expansionnistes qui plongeraient le déficit budgétaire dans des abysses dévastateurs et donc raviveraient la spirale inflationniste, thèse appuyée par les institutions financières internationales, particulièrement le FMI (Fonds monétaire international) qui plaident généralement pour l’indépendance des banques centrales et la considèrent comme essentielle pour garantir une politique monétaire efficace et pour éviter les pressions politiques qui pourraient mener à des décisions inflationnistes ou à d’autres problèmes économiques graves.
Enfin, dans pareille configuration, la Banque centrale n’aura pas de peine à sauvegarder son capital confiance, à agir sur les anticipations des agents économiques et à crédibiliser ses choix de politique monétaire.
Il faut reconnaître, toutefois, que le contexte complexifié dans nos contrées, imprégné d’une crise sévère des finances publiques, d’un état de stagflation (association d’une croissance économique anémique avec une forte inflation et avec même un chômage de masse) et d’un accès difficile aux financements extérieurs à des coûts abordables, pourrait ouvrir la voie à l’exploration de pistes originales visant à amener la Banque centrale à mieux appuyer la croissance et les investissements productifs.
Faut-il donc revisiter les statuts de la BCT pour tendre vers un équilibre entre l’indépendance de la BCT et la coordination avec le pouvoir politique à l’effet de stimuler l’activité économique, surmonter les restrictions à l’accès au financement extérieur et continuer à honorer les engagements de la dette ?
L’idée d’un équilibrage entre le contrôle gouvernemental et l’autonomie institutionnelle de la Banque centrale serait intéressante, pour peu qu’on puisse mettre en place les garde-fous nécessaires pour ne pas tomber dans les travers dévastateurs de la manipulation de la politique monétaire à des fins politiques ou courtermistes qui peuvent déboucher sur la déstabilisation des marchés monétaires et financiers et, par suite, plomber l’économie nationale dans son ensemble.
Partant du principe que les préférences de la Banque centrale et celles du gouvernement ne coïncident pas nécessairement, il faudra faire en sorte d’accentuer l’effort de négociation entre ces deux acteurs économiques majeurs à l’effet de rendre pertinente toute reconsidération des attributions de la Banque centrale et particulièrement son indépendance.
Le pourquoi du rééquilibrage
Et la question essentielle demeure dans ce cas : quelles sont les motivations d’une combinaison de dépendance et d’autonomie des statuts de la Banque centrale ?
Primo, une pareille configuration devrait doter la Banque centrale de la réactivité et la flexibilité nécessaires en cas d’exacerbation de la crise pour réagir d’une manière prompte et surtout, tout en étant en phase avec les politiques gouvernementales, à l’effet de parvenir à une réponse collégiale efficace et équilibrée.
Secundo, la dépendance à l’égard du gouvernement (quel que soit le niveau de cette dépendance) pourrait rendre les actions de la Banque centrale alignées sur les objectifs économiques nationaux, ce qui ne peut que contribuer à la stabilité économique.
Tertio, en conservant une certaine autonomie opérationnelle, la Banque centrale pourra statuer sur des critères économico-financiers et non politiques, ce qui reste essentiel pour maintenir la confiance des marchés et des investisseurs.
Enfin, il est également important de trouver un équilibre entre l’indépendance et la coordination avec le gouvernement pour répondre aux besoins économiques spécifiques de notre pays et stimuler une relance qui peine à se dessiner, en facilitant des compromis négociés.
L’autre son de cloche soutient la thèse que la Banque centrale, tout en apportant une aide financière à l’Etat, se doit de préserver son indépendance institutionnelle et opérationnelle.
Cela permettra, d’abord, de rassurer les milieux économiques et financiers quant à une saine gestion de la monnaie.
Ensuite, cette configuration est de nature à permettre à la Banque centrale de se concentrer sur des objectifs à long terme comme la stabilité des prix et le plein emploi, sans être influencée par des objectifs politiques ou à court terme.
Alors, pour ou contre une combinaison de dépendance et d’autonomie de la Banque centrale avec un droit de regard de la puissance publique sur, particulièrement, l’orientation de la politique monétaire ?
Le débat reste ouvert au regard des motivations et des arguments des uns et des autres, pour peu qu’on arrive à des résultats concrets à même de contribuer au renforcement des assises d’une croissance économique soutenue et inclusive.