Beaucoup de travail en vue pour le gouvernement

En ce début de semaine, la chasse aux maroquins ministériels a repris de plus belle, ainsi que les activités de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP).

Le Conseil national de Afek Tounes s’est réuni pendant le week-end à Hammamet et a demandé à Habib Essid quatre ministères (la Santé, l’Économie, les Finances et l’Enseignement) pour lesquels, selon Rim Mahjoub, membre du BP du parti, il aurait les compétences nécessaires, en même temps il insiste sur l’impératif de ne pas confier les ministères régaliens à des personnalités “dites neutres”. Je pense que c’est une restriction raisonnable parce que je me souviens du cas de Nadhir Ben Ammou, à qui le ministère de la Justice avait été attribué dans le gouvernement de Ali Laarayedh en tant que “technocrate indépendant” et qui a finalement été élu sur une liste d’Ennahdha aux élections du 26 octobre 2014. Que voilà un bel exemple d’indépendance et de neutralité !

Et cela explique que, pour la constitution de l’équipe de Habib Essid, les dirigeants d’Ennahdha réclament à nouveau des personnalités indépendantes pour l’Intérieur, la Justice, la Défense et les Affaires étrangères… Je pense au contraire que ce sont ceux-là qui doivent être attribués à Nidaa Tounes, qui est tout de même le parti majoritaire dans le nouveau parlement et qui possède certainement les candidats idoines à ces postes. D’ailleurs, l’un des ténors de Nidaa, Mondher Belhaj Ali, vient de rappeler que “pendant la campagne électorale, Béji Caïd Essebsi s’est engagé à ne pas s’allier avec Ennahdha”, ce qui serait le meilleur moyen de renvoyer le Front populaire dans l’opposition la plus “dure”, cela me paraît évident. Et c’est-ce qu’a relevé avec beaucoup de justesse, comme à son habitude, le professeur Yadh Ben Achour, qui, à toutes les étapes de la Révolution, a toujours été de bon conseil, rectifiant en plusieurs occasions des décisions prises à la légère, il a déclaré à Shems FM : “Ces personnes n’ont pas voté pour les beaux yeux de Nidaa Tounes, mais parce qu’elles refusaient la présence d’Ennahdha au pouvoir et avaient peur de revivre cette expérience”… et cela ne s’applique pas seulement à la gauche tunisienne, mais tout le camp démocratique qui a donné la prééminence de Nidaa Tounès.

Du côté d’Ennahdha, qui, comme à son habitude, dit une chose et son contraire, on trouve Houcine Jaziri qui déclare “Nous sommes en train de négocier la composition du gouvernement et nous en ferons partie”. Tandis que Hamadi Jebali déclare tout net : “La participation d’Ennahdha au gouvernement serait une erreur”, et que Lotfi Zitoun nous rassure un peu en disant que “Si Ennahdha participe, ce sera avec de nouveaux noms que ceux de la Troïka”. C’est encore heureux. L’UPL, quant à elle, a suspendu, mercredi 21, sa participation aux négociations, à la suite de désaccords avec le chef du gouvernement, mais, reçu le 22 par BCE lui-même, Slim Riahi est revenu sur sa décision, après explications, et une nouvelle rencontre a été prévue, toutefois “même en cas de non participation au gouvernement, l’UPL approuvera sa composition par souci de l’intérêt national”, ce qui devait rassurer Nidaa Tounes sur le vote de ce parti quant à la confiance à accorder à Habib Essid.

En voilà deux qui s’accrochent ! Le premier, c’est Moncef Marzouki, qui a annoncé ces jours-ci le démarrage d’une série de rencontres dans les régions pour définir les objectifs de la “Mouvance du peuple des citoyens”, nouveau nom de son futur parti ou “mouvement” comme il préfère le dire pour lui donner plus d’importance ! Avec à ses côtés l’irremplaçable Adnène Mansar, l’ex-président envisage de tenir le congrès constitutif de cette “mouvance”  le 20 mars 2015…

Le second, c’est l’ineffable cheikh Houcine Laâbidi, grand imam autoproclamé de la Mosquée de la Zitouna, dont on pensait avoir été débarrassé puisque “l’Instance provisoire de la Grande Mosquée de la Zitouna” l’a révoqué de ses responsabilités en tant qu’imam et président du “Comité d’enseignement de la Mosquée de la Zitouna” comme il s’est baptisé lui-même. Cette révocation a été annoncée par le “Conseil scientifique des Cheikhs et des Moudarras de la Zitouna” le 21 de ce mois, mais dès le lendemain, Houcine Laabidi a démenti cette révocation et accuse le ministère des Affaires religieuses de violer l’article 1 d’un protocole signé le 12 mai 2012 sur la relance de l’enseignement zeitounien. Quand réussira-t-on, enfin, à libérer la Zitouna ? Ce n’est apparemment pas pour demain quand on a vu ce qui s’est passé le 24 courant quand la Zitouna s’est transformée en terrain pour batailles de rue. Quelle honte !

Accouchement douloureux du gouvernement Essid : C’est finalement vendredi 23 courant que Habib Essid a dévoilé la composition de son gouvernement, le premier de la 2e République, on ne peut pas dire qu’elle a été accueillie avec enthousiasme par l’ensemble des Tunisiens : les seuls qui semblent être satisfaits sont ceux qui s’intitulent “Coordination du sit-in du Bardo” et qui ont publié samedi 24, sur “Tunivision”, à la Une, un communiqué dans lequel on lit “le rassemblement qui devait avoir lieu dimanche 25 à 10h30 au Bardo est suspendu puisque le gouvernement ne semble pas comprendre des islamistes”, c’est donc pour eux la condition “sine qua non” et c’est un peu court…

Pour ma part, j’ai d’abord été étonné d’y trouver autant de noms tout à fait inconnus, puis, à la lecture de beaucoup de CV de ces nouveaux ministres, je crains que ce gouvernement ne soit un peu faible, surtout dans la conjoncture actuelle, et notamment en ce qui concerne le ministère de l’Intérieur… J’y reviendrai la semaine prochaine. Mon impression générale est que, ayant remporté l’élection présidentielle avec un bon score, Béji Caïd Essebsi aurait dû confier la formation de ce gouvernement à un membre de Nidaa Tounes qu’il aurait jugé le plus capable : je pense que c’est tout à son honneur, après que le perchoir de l’Assemblée ait été confié à Mohamed Ennaceur, la président de la République craignait d’être accusé de “taghaouel”, mais, après, tout, la Tunisie vient de passer trois années sous le régime de la Troïka qui cumulait les trois présidences, et il s’agit de rétablir une situation bien compromise. La formation gouvernementale aurait, peut-être, été plus combative si l’on y avait compté des Samir Taïeb et Fadhel Moussa ! Certes, on y retrouve des personnalités bien connues du camp démocratique, comme Latifa Lakhdar, Khadija Chérif ou Kamel Jendoubi, mais bien des “ténors du (vrai) sit-in du Bardo” nous manquent, que je ne veux pas citer ici, mais auxquels beaucoup de patriotes pensent avec moi. Enfin, si l’ARP vote la confiance, on fera avec… et sans doute suis-je trop pessimiste ! Et puis, il y a bien des remaniements ministériels ?

Raouf Bahri

 

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