L’interview du président de la République, Béji Caïd Essebsi, dans la soirée de ce lundi 24 était très attendue, compte tenu de la complexité d’un contexte national en ébullition, marqué par une crise politique, sociale et économique. L’angle économique a été abordé sommairement, étant donné que la quasi totalité de l’entretien a été consacrée à la crise politique, au conflit entre Hafedh Caïd Essebsi et Youssef Chahed, les relations avec Ennahdha, l’avenir du gouvernement d’union nationale, ou encore la date des prochaines élections.
Sur ces points, le Chef de l’Etat n’a pas mâché ses mots : que Hafedh Caïd Essebsi ou Youssef Chahed partent, cela ne constituera pas la fin du monde. Au sujet d’Ennahdha, le président a affirmé que le parti a choisi d’arrêter de composer avec lui. Par la suite, concernant l’union nationale, elle n’existe plus selon Béji Caïd Essebsi, d’où la nécessité de la reconstituer. Enfin, les élections présidentielles auront lieu à temps, soit en décembre 2019. Il n’y aura ni report ni anticipation.
« Je souhaite que Chahed obtienne la confiance de l’ARP »
A plusieurs reprises, le Chef de l’Etat a souligné la nécessité de changer, à l’avenir, la Constitution, martelant qu’il ne la changera jamais tant qu’il sera au pouvoir afin d’éviter, dit-il, les interprétations. « L’Exécutif a deux têtes : un président élu au suffrage universel direct et un Chef du gouvernement. Celui-ci n’est pas élu. Sa légitimité découle du vote de confiance accordé par l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP). Or, aujourd’hui, celle-ci est divisée, au même titre que la scène politique. Il y a ceux qui appellent à son départ et ceux qui souhaitent son maintien, à savoir Ennahdha », a-t-il noté.
Le Chef de l’Etat a réitéré qu’il n’a aucun problème avec le Chef du gouvernement, Youssef Chahed. Il a même affirmé qu’il lui souhaite la réussite. « Je ne peux pas le destituer, l’ARP si. Je lui ai conseillé de s’adresser à l’ARP afin de clôturer cette affaire. D’ailleurs, je souhaite qu’il obtiendra la confiance de l’ARP », a-t-il
BCE prend ses distances
Le président de la République a été, par la suite, interpellé sur le conflit opposant le Chef du gouvernement au directeur exécutif de Nidaa Tounes, Hafedh Caïd Essebsi (HCE). « Si HCE ou Youssef Chahed partent, la Tunisie n’en sera pas impactée. Il existe des personnes plus compétentes dans le pays », a-t-il lancé, sèchement.
Personne, poursuit-il, n’a demandé le départ de Youssef Chahed. « Tout ce que l’on veut, c’est qu’il assure sa légitimité. De ce fait, je lui ai proposé de s’adresser à l’ARP. Si je lui étais hostile, j’aurais activé l’article 99 de la Constitution. Le Chef du gouvernement possède aujourd’hui une majorité à l’ARP. Je le prie de s’y rendre dans ce cas pour que l’affaire soit enfin close. Au sein de cette institution, il existe désormais un certain tourisme parlementaire. Ainsi, la loi électorale doit être révisée afin de mettre fin à ces agissements », a-t-il encore dit.
Entre lui et Ennandha, c’est fini
Les relations avec Ennahdha ont, d’autre part, été abordées par le président de la République. « Nous composons avec Ennahdha depuis 5 ans, mais nous ne le faisons plus étant donné que ce parti ne souhaite plus composer avec nous. Il prône pour un gouvernement dirigé par Youssef Chahed. Il n’y a plus de consensus avec Ennahdha. C’est ainsi la politique« , a-t-il souligné.
Tous les partis politiques, poursuit encore le Chef de l’Etat, sont en crise. Il n’y a pas que Nidaa Tounes. Les nidaïstes, s’ils en sont conscients, devraient plutôt se rassembler. « La patrie avant les partis », a-t-il dit. « Je suis responsable de la situation », a-t-il lâché, par la suite, excédé par les questions de la journaliste Meriem Belkadhi au sujet de la crise à Nidaa Tounes et le conflit entre HCE et Youssef Chahed. Le président de la République a affirmé, dans ce même contexte, qu’il ne dispose pas des mécanismes lui permettant d’avancer, puisqu’il ne peut pas pas destituer le Chef du gouvernement. « Je ne désigne aucun autre responsable », a-t-il ajouté.
Revenant à Nidaa Tounes et au conflit entre le Chef du gouvernement et le directeur exécutif du parti, le président a indiqué que Nidaa Tounes n’appartient à personne, au même titre que l’État. « Il y a une campagne qui est menée actuellement pour implanter l’idée de l’héritage du pouvoir. Certains en ont fait un fonds de commerce. Si HCE quitte le parti, je ne pleurerai pas. Il faut rappeler, néanmoins, qu’il dirige le parti étant donné que les membres de la commission constitutive ont rejoint l’ARP, le gouvernement ou la présidence de la République », a-t-il expliqué.
Un certain énervement a aussi été constaté chez le président de la République face à l’insistance de la journaliste sur cette question. « J’ai un conseil pour vous par contre : merci d’aborder d’autres sujets. Certes, la presse internationale évoque la question de Nidaa Tounes, mais je sais qui est derrière elle. Je ne dirai pas qui, car ceci relève de la justice », a-t-il lancé.
Ne pas mettre de côté l’UGTT
Par ailleurs, interpellé sur le désespoir des tunisiens, le Chef de l’Etat a reconnu l’existence d’un problème dans l’éducation. « On doit s’en occuper. Il existe, d’ailleurs, des accords signés avec l’Union Européenne et les Etats-Unis. Les jeunes veulent de l’emploi aujourd’hui. La situation économique est difficile. Si l’Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT) réclame une hausse des salaires, c’est parce que le pouvoir d’achat a dégringolé« , a-t-il déclaré.
Au sujet de la menace de grève générale brandie par l’UGTT, Béji Caïd Essebsi a affirmé qu’il ne faut pas ignorer l’UGTT. « Je ne la [UGTT] soutiens pas contre Youssef Chahed. Je la soutiens dans ses revendications légitimes. La grève générale ne doit pas être observées sans prendre en considération les tunisiens. Menacer de faire grève ne signifie pas que la grève sera observée », a-t-il encore dit.
Sortir par la grande porte
A la fin de son entretien, le président de la République a assuré que les élections présidentielles vont avoir lieu à temps. Elles ne seront ni retardées ni anticipées selon lui. Il n’a pas annoncé ouvertement sa candidature sans pour autant l’écarter. Cependant, il a assuré qu’il sortira pas la grande porte étant donné qu’il a la conscience tranquille. « Le peuple est sous pression. Nous avons besoin de mesures urgentes pour sortir de l’impasse, au même titre que d’une stabilité définitive. La situation économique est catastrophique, avec un déficit commercial de 12 milliards de dinars, une dette de 9 milliards de dinars et un dinar en chute libre. Je suis, par ailleurs, favorable au changement de la Constitution, Nous devons modifier la loi électorale et la constitution, mais ce ne sera pas à moi de le faire.
Je n’ai aucun conseil politique à livrer actuellement. Si HCE veut quitter Nidaa Tounes, soit. Si Youssef Chahed décide de continuer, il doit savoir que cela ne mène à rien. HCE est mon fils, mais on sait que parmi les enfants, il y a les bons grains et l’ivraie », a-t-il conclu.
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