Béji Caïd Essebsi : un an déjà

Le 25 juillet 2020 constitue déjà une date particulière pour la Tunisie, un tournant dans son histoire : le système beylical a été aboli, laissant place à une République proclamée le 25 juillet 1957, soit près d’un an après l’Indépendance du 20 mars 1956. Ce samedi 25 juillet 2020 marquera, de ce fait, le 63ème anniversaire de la République Tunisienne. Mais pas seulement : cette date marquera la 7ème commémoration de la mort du député Mohamed Brahmi, assassiné en 2013, mais aussi le premier anniversaire du décès du premier président tunisien élu démocratiquement, Béji Caïd Essebsi.
Les hommages, depuis le jeudi 24 juillet 2020, ont été nombreux, venant, notamment, de Mohamed Ennaceur, ancien président de l’ARP (Assemblée des Représentants du Peuple) et qui avait assuré l’intérim à Carthage suite au décès de Béji Caïd Essebsi. Rached Ghannouchi, président d’Ennahdha et de l’ARP, s’est lui aussi exprimé depuis jeudi pour rendre hommage au président défunt. En fait, c’était surtout une pique à l’actuel président.

De bons points, certes, mais des erreurs aussi
Béji Caïd Essebsi, en nous quittant, a assurément laissé une empreinte. L’euphorie et la compassion générales que l’on constate après chaque décès – même de la part des détracteurs qui deviennent, comme par magie, de fidèles amis du défunt -, ont fait que tout le monde a chanté, et continue de le faire, les louanges de l’ancien président défunt. Il est clair que Béji Caïd Essebsi, au-delà de sa contribution aux côtés de grands hommes à la construction de la Tunisie indépendante, a joué un rôle assez important après la révolution de 2011.
De nombreux soutiens n’ont pas manqué de rappeler son rôle fondamental dans le consensus trouvé avec Ennahdha et qui a permis d’éviter au pays une guerre civile. Béji Caïd Essebi était aussi le premier président, après le leader Habib Bourguiba, à avoir osé brandir la délicate question de l’égalité des sexes et dans l’héritage. Et c’est sans compter sa notoriété et ses relations à l’échelle internationale. Il suffit, pour le savoir, de se rappeler les vibrants hommages qui lui ont été rendus par des présidents de grandes nations.
Et comme pour chaque homme politique, un bilan ne peut pas être exempt d’erreurs. C’est d’ailleurs ce qu’ont toujours souligné plusieurs observateurs de la scène politique. Un hommage doit être rendu à Béji Caïd Essebsi, c’est indéniable, mais il ne faut pas oublier, et sans aucune intention de leur part de porter préjudice à sa mémoire, que ces mêmes observateurs, révèlent que le président défunt, de son vivant, avait commis des erreurs dont la facture a été salée pour l’État tunisien.

« La patrie avant le parti » : un point discutable
On parle, surtout, de la guerre fratricide qui a secoué Nidaa Tounes et qui a fini par avoir raison du parti dont on ne parle presque plus aujourd’hui. Nidaa Tounes, pourtant, était le seul parti politique qui a pu vaincre Ennahdha lors d’élections – législatives et présidentielle -. Un parti qui était destiné à maintenir l’équilibre des forces sur la scène politique nationale mais aussi, et surtout d’être le contrepoids du parti islamiste qui ne cachait ses prétentions de mettre la main sur tous les rouages du pays. Après 2014, et après la magistrature suprême, voulant visiblement  confier son parti à son fils Hafedh Caïd Essebsi et écarter toute concurrence, Béji Caïd Essebi a commis l’erreur de soutenir un fils qui ne comprenait pourtant rien à la politique et qui n’avait aucun leadership. Résultat : Nidaa Tounes est mort, peu avant son père fondateur. Pis encore : le paysage politique a été déséquilibré avec un parti Ennahdha plus fort que jamais et que personne n’a pas pu battre après Nidaa Tounes.
Les observateurs de la scène politique ont noté un fait intéressant sur ce plan : Béji Caïd Essebsi n’avait eu de cesse de reprendre certaines grandes citations du Leader Habib Bourgauiba, et notamment : « la patrie avant le parti ». Cependant, ce n’est pas exactement ce que nous avons vécu.

A la recherche d’un chef de gouvernement obéissant ?
L’autre erreur de l’ancien président de la République, selon les analystes, concerne sa gestion des affaires de l’État. Plusieurs sources dignes de foi et proches de Nidaa Tounes à l’époque, ont expliqué à Réalités Online que l’ancien président avait beaucoup de mal à accepter le régime politique actuel et la Constitution – la meilleure selon les nahdhaouis ! -. D’ailleurs, Béji Caïd Essebsi l’avait lui-même laissé entendre sans le dire explicitement. « Je suis le garant de la Constitution, malgré ses défauts », avait-il une fois déclaré.
En fait, Béji Caïd Essebsi croyait en un régime présidentiel et non parlementaire. La seule solution pour contourner la Constitution, de ce fait, était de placer un chef de gouvernement « consentant » à travers lequel l’ancien président pourrait gouverner. C’est alors qu’il désigna Habib Essid, mais ce dernier, par moment, commençait à manifester de la résistance, notamment aux caprices de Hafedh Caïd Essebsi, fils de l’ancien président.
Face à cette résistance, Béji Caïd Essebsi avait annoncé, en juin 2016, son initiative pour la formation d’un gouvernement d’union nationale. C’était, en fait, uniquement pour évincer Habib Essid et pour le remplacer par un chef de gouvernement plus obéissant. C’est ce qui s’était passé : Béji Caïd Essebsi avait imposé le nom de Youssef Chahed – un parfait inconnu à l’époque -, accordant aux partis politiques un délai de 24h pour se décider.
Youssef Chahed a donc pu accéder à la Kasbah en août 2016. Selon les observateurs de la scène politique, c’était un choix judicieux pour Béji Caïd Essebsi compte tenu, notamment, de la jeunesse du Chef du gouvernement. Toutefois, ce que l’ancien président défunt n’avait pas prévu, était la rebellion de Youssef Chahed. Entre 2017 et 2019, de longues batailles politiques, parfois de bas niveau, ont secoué la scène nationale, opposant, notamment, Youssef Chahed à – encore ! – Hafedh Caïd Essebsi, et qui dit Hafedh Caïd Essebsi, dit aussi Béji Caïd Essebsi. Sauf que, à la différence de Habib Essid, Youssef Chahed s’est accroché à son siège de Chef de gouvernement.

Lourdes conséquences pour la Tunisie
Pourquoi parler de tout cela ? En fait, tous ces événements nous ont conduits à l’instabilité que vit actuellement la Tunisie, avec une scène politique plus que jamais atomisée et déséquilibrée. Le PDL (Parti Destourien Libre) d’Abir Moussi est en train de monter, mais étant seul, il est encore loin de constituer une opposition sérieuse face à Ennahdha.
Au-delà de tout ce qui a précédé, le défunt a marqué l’histoire récente de la Tunisie. La situation, le contexte et l’environnement dans lesquels le pays a évolué au cours des dix dernières années et notamment lors de son mandat à la présidence de la république n’étaient pas favorables à engager des actions qui auraient changé le destin de la Tunisie. Pour ce qu’il a fait, pour le courage dont il a fait preuve malgré son âge de se mettre au service de son pays, un grand hommage national doit être rendu à Béji Caïd Essebsi. Il aura été le premier président démocratiquement élu de la Tunisie. Il aura fait reluire l’image de la Tunisie sur la scène internationale. Il aura contribué, dans une large mesure, au renforcement du processus démocratique. Béji Caïd Essebsi reste, comme nous tous, un être humain capable de faire de bonnes choses, mais aussi de commettre des erreurs.
                                                                                                                                                                           Paix à son âme.

Fakhri Khlissa

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