A un mois du scrutin présidentiel, le chef de l’Etat a procédé à un vaste mouvement dans le corps des gouverneurs, qui a concerné l’ensemble des 24 gouvernorats, dans la foulée d’un large remaniement ministériel succédant à la nomination d’un nouveau Chef de gouvernement. Un remue-ménage de fond en comble inhabituel dans un contexte pré-électoral dont la portée n’est pas moins que l’élection d’un nouveau président de la République.
Il est d’usage qu’en fin de mandat, chefs d’Etat et de gouvernement s’occupent davantage de gérer les affaires courantes, de ne rien décider qui puisse impacter la période post-élection et de mettre de l’ordre dans leurs bureaux. Les nombreuses nominations simultanées dans les hautes fonctions de l’Etat ne sont pas une action anodine. Elles traduisent inévitablement l’insatisfaction du chef de l’Exécutif pour ce qui concerne le rendement global de ses collaborateurs sortants dont il a d’ailleurs fait part à diverses occasions. Elles disent aussi deux choses : soit que le président de la République candidat à sa propre succession a déjà choisi ses ministres et ses gouverneurs pour l’étape post-élection du 6 octobre et que cette période de baisse de régime leur servira de mise en train, soit qu’il ne craint pas de confier la gestion de la période électorale jusqu’au scrutin, malgré sa spécificité, à des responsables non encore familiarisés avec leurs nouvelles et délicates fonctions. Peut-être, aussi, que l’enjeu est là.
Il n’en demeure pas moins que ce mouvement dans le corps des gouverneurs est nécessaire mais il arrive un peu tard. Il fallait depuis longtemps attribuer les fauteuils vides de pas moins de neuf gouverneurs, dont ceux de la Capitale et de Sfax, et remplacer les gouverneurs qui ont failli à leur mission et dont le mandat n’a pas été concluant. On se souvient que Kaïs Saïed a donné une chance inouïe à de jeunes diplômés du supérieur au chômage en les nommant au poste de gouverneur en tant que premier emploi. Ce fut un fiasco. Il faut souhaiter que les nouveaux gouverneurs soient plus rompus à la fonction administrative et sécuritaire afin qu’ils puissent remplir leur mission comme il se doit, comme l’attendent les habitants de leurs régions. Le seul bémol est le reproche que les détracteurs de Kaïs Saïed lui font, celui de mener une campagne électorale anticipée et inéquitable en prenant des engagements pour l’Etat aux derniers mètres de son mandat présidentiel, alors qu’il n’est pas censé se comporter comme s’il allait immanquablement rempiler pour un second mandat.
Il part certes favori dans la course présidentielle, mais tout peut encore arriver. C’est le climat général miné du pays qui permet de le dire. L’affaire des financements étrangers suspects dont sont accusés les deux associations d’observation des élections, I Watch et Mourakiboun, est le nouveau pavé dans la mare de cette élection présidentielle qui ne ressemble à aucune autre. Le tableau tient de la caricature : l’Instance supérieure indépendante pour les élections aux abois, attaquée de tous les côtés par une foule d’opposants au « coup de force » ou « coup d’Etat » du 25 juillet 2021.
Dans un communiqué, l’Isie assure, sur la base de notifications venues d’une partie officielle, que ces associations ont obtenu d’importants financements de pays qui n’ont pas de relations diplomatiques avec la Tunisie. C’est grave. Qui sont ces pays qui chercheraient à s’ingérer dans les élections tunisiennes ? Le sujet doit être abordé dans la transparence devant les Tunisiens, car l’enjeu gravissime est la crédibilité des institutions de l’Etat.
Il faut appeler un chat un chat, il faut informer le citoyen et dévoiler les affaires douteuses qui poussent l’Isie à exclure des candidats et des observateurs du processus électoral, une attitude que les « victimes » accusent d’être abusive, illégale, à la solde d’un candidat omnipotent. Il ne suffit pas de porter des accusations à demi-mot, il est urgemment besoin de vérité, de transparence et de confrontation de preuves devant les Tunisiens, dans des débats télévisés ou autres, pour délimiter les responsabilités et rassurer le Tunisien de la solidité des institutions de son pays, ces assises de l’Etat tunisien qui ont été ébranlées au cours de la décennie post-révolution et qu’il est désormais très difficile de rénover. Toutes les institutions concernées par la question des financements étrangers douteux sont appelées à faire toute la lumière sur cette affaire dans des conférences de presse ou par le biais d’interviews télévisées afin de toucher le maximum de citoyens, c’est le droit de chaque Tunisien de savoir, de tout savoir. Le jeu de ping-pong auquel on assiste, sous forme d’accusations et de contre-accusations verbales, sème le doute dans l’esprit des citoyens et jette l’opprobre sur ceux qui sont censés bénéficier de leur confiance. Les déclarations ne suffisent pas, l’Isie doit prouver qu’elle a raison de rejeter des candidatures et le Tribunal administratif de les remettre dans la course. Dans ces affaires, également, la transparence totale est le seul moyen capable de rétablir la confiance.
A ce stade du processus électoral, la confiance est si absente que même la tenue du scrutin présidentiel continue de nourrir des doutes, à moins d’un mois du jour J. Et même si l’élection est maintenue, il y a fort à parier que les bureaux de vote seront boudés le 6 octobre prochain. L’Isie réussira sa mission quand elle aura tout mené à bon port, y compris l’affluence des électeurs le 6 octobre 2024. Pour ce faire, il y a tout un climat assaini et de confiance à créer et c’est l’Instance électorale qui en a la charge.