Bilan économique des 100 jours !

100 jours pour un nouveau gouvernement, c’est assez long pour permettre de prendre des décisions et entreprendre des actions allant dans le sens du redressement économique d’un pays. Mais ce n’est pas assez long pour conclure à un échec et encore moins pour estimer que c’est un succès.

 

Prisonnier du plan d’action établi par le “dialogue national”, le gouvernement de Mehdi Jomâa ne dispose que d’une marge de manœuvre très réduite.

Il est resté prisonnier d’un consensus lent à se dessiner et difficile à établir par des partenaires politiques écartelés entre des objectifs contradictoires.

 

Une conjoncture complexe et un climat tendu

Faute d’un programme économique cohérent à imposer à tous, il est réduit à prendre des mesures disparates et peu efficaces.

Il faut dire qu’il a fait le choix difficile de vouloir résoudre les difficultés économiques et financières conjoncturelles et de s’attaquer aux réformes structurelles en même temps.

Résultat des courses, au bout de 100 jours de gouvernement aucune réforme de fond n’a été mise en route et aucune, ou presque, difficulté conjoncturelle n’a été résolue. Il faut dire que les partis politiques n’ont cessé ni leurs manœuvres politiciennes ni leurs critiques acerbes tandis que les députés de l’ANC sont aux aguets pour dénoncer toute mesure non conforme à leurs intérêts personnels immédiats.

 

Pas de programme économique cohérent !

Lors de son discours d’investiture à l’ANC, M. Mehdi Jomâa avait promis aux députés de présenter son programme économique au cours des semaines suivantes.

Cela n’a pas été fait pour deux raisons fondamentales. Tout d’abord parce qu’il a été très occupé entre-temps avec les différents déplacements à l’étranger pour rassurer nos partenaires extérieurs, rétablir la confiance et mobiliser l’aide extérieure. Mais aussi parce qu’il n’a pas encore établi de programme, étant tiraillé entre ses engagements vis-à-vis de ceux qui l’ont choisi et nommé et entre les mesures draconiennes et impopulaires justifiées par la situation et qui pourraient susciter des levées de boucliers à n’en plus finir.

 

Austérité : des mesures éparses

Le chef du gouvernement de “compétences neutres” a entamé son mandat avec un préjugé favorable de la part de l’opinion publique qui en a vu de toutes les couleurs avec les deux gouvernements successifs de la Troïka.

Un état de grâce qui n’a pas été mis à profit pour faire passer les pilules amères, mais nécessaires pour un salut à long terme. Il a eu le “verbe juste” en insistant, lors de son premier discours télévisé, sur les difficultés plus graves que prévues relatives à la situation économique et héritée du précédent gouvernement et en annonçant que le peuple tunisien devrait se préparer à consentir des sacrifices. Toute la population, du moins ceux qui craignaient pour leur niveau de vie et leur pouvoir d’achat s’attendait à des “coupes sombres”. Les rumeurs faisaient état d’appréhensions concernant le coût de la vie, avec des hausses sensibles de prix. Quant à ceux qui se reprochaient une quelconque fraude fiscale ils craignaient des redressements fiscaux et les importateurs s’attendaient à des restrictions drastiques.

Les fonctionnaires imaginaient déjà des retards ou des retenues sur leurs traitements et salaires.

Mais on n’a rien vu venir. Je ne dirais pas qu’il y a une déception dans l’opinion, mais un recul, sinon des hésitations et des atermoiements de la part du gouvernement qui attend le consensus qui ne se réalisera peut-être jamais. En attendant, les semaines passent et les problèmes s’accumulent.

Les mauvaises langues évoquent un manque de courage politique. Je dirais plutôt une prudence excessive. Les ministres ont accepté une baisse de 10% de leurs salaires et une souscription à l’emprunt national portant sur 10% du salaire de mai. L’objectif austérité se poursuit avec la suppression des bons d’essence pour les 3.000 voitures de fonction dans l’administration contre une indemnité compensatoire mensuelle de 700 dinars, mesure précipitée qui rencontre la contestation des intéressés.

 

Rassurer les bailleurs de fonds extérieurs 

On peut dire que M. Mehdi Jomâa a réussi à rassurer les principaux bailleurs de fonds internationaux : FMI, Banque mondiale, Union européenne, BAD, AFD, KFW, JICA…

Les visites effectuées à Washington et les rencontres avec les responsables des deux institutions internationales ont permis de rétablir la confiance avec déblocage des crédits déjà accordés.

Il faut dire que l’adoption de la Constitution et le vote de la loi électorale par l’ANC ont largement contribué à consolider cette confiance.

Maintenant, il faut tenir les engagements pris, notamment entreprendre et réussir les réformes de fonds : compensation, fiscalité, entreprises et banques publiques.

 

La mobilisation de l’aide extérieure est maigre

La visite éclair de Mehdi Jomâa dans cinq pays du Golfe, même si elle n’avait pas pour objectif l’obtention d’aides financières, a permis de renouer les contacts avec les investisseurs potentiels et de rétablir la confiance avec les responsables politiques de ces pays qui regorgent de pétrodollars, mais qui hésitent à investir en Tunisie.

Aux États-Unis, il y a eu la garantie des USA pour des crédits de 500 millions de dollars à lever sur le marché privé international de capitaux.

En France, il y a eu un crédit de 500 millions d’euros outre le réunion organisée par le MEDEF qui a permis de consolider la confiance des investisseurs privés français dans le site investissement Tunisie, ce qui est fondamental étant donné qu’il y a déjà 1.300 entreprises françaises implantées en Tunisie qui fournissent 120.000 emplois.

La visite à Alger a permis d’obtenir un don de 50 millions de dollars, un crédit de 100 millions de dollars et un dépôt de 100 millions de dollars à la BCT pour soutenir la valeur du dinar tunisien.

On ne peut pas dire que Bouteflika a été très généreux, mais c’est un geste qui mérite d’être mentionné.

 

Deux réformes structurelles en panne

La réforme fiscale et la restructuration des trois banques publiques sont deux programmes prioritaires et essentiels. L’un est indispensable pour assurer la justice fiscale et éviter l’évasion spectaculaire de certaines catégories fortunées et surtout pour permettre de boucler le Budget aux dépens d’un endettement extérieur excessif.

L’autre réforme, celle du secteur bancaire, est de nature à favoriser le financement du développement et à aider les entreprises privées à réaliser leurs projets de croissance tout en créant des emplois et en assurant la promotion des exportations.

Ces deux réformes sont actuellement au point mort.

Pour la réforme fiscale, des commissions ont travaillé du temps d’Elyes Fakhfakh, l’ex-ministre des Finances et ont abouti à des conclusions permettant par étapes de rétablir la justice fiscale. Il s’agit notamment de réduire la fuite fiscale du régime forfaitaire. L’évasion fiscale est évaluée par un expert à 20 milliards de dinars par an. La moitié serait suffisante pour résoudre le déficit du budget. Les trois banques publiques ont besoin d’urgence d’une recapitalisation et d’une restructuration. Même si deux audits sont achevés, il n’y a pas encore de décision concrète.

 

Pas encore de loi de Finances complémentaire 2014

Nous sommes à la mi-mai et le Budget 2014 n’est pas encore bouclé.

Loin s’en faut. En effet, il manque au moins 5 milliards de dinars de ressources : la loi de Finances complémentaire relative au Budget 2014 ne sera présentée à l’ANC que vers la fin du mois de juin. C’est-à-dire que près d’un semestre sera perdu pour ce qui est de la mobilisation des ressources financières qui en découleraient : pas d’effet rétroactif pour les lois.

Il y a là une urgence qui mérite des actions et des mesures rapides.

 

Le drame du bassin phosphatier s’éternise

La crise du bassin minier de Gafsa se prolonge indéfiniment, même si l’on constate un léger mieux en 2014.

Il faut dire que nous sommes loin des performances de 2010 avec 8 millions de tonnes de phosphates. La compagnie des phosphates, à l’époque, pouvait dégager 2 milliards de dinars de bénéfices par an qui alimentaient le Budget de l’État.

Durant les trois années écoulées, la production n’a pas dépassé les 30% chaque année, les différents centres miniers sont victimes de sit-in et de blocages sans compter la paralysie du transport par rail.

Parallèlement, la CPG a recruté en masse des milliers d’ouvriers et de cadres qui parfois ne travaillent pas, mais sont rémunérés, ce qui risque de mener un fleuron de l’économie nationale à la faillite.

Il faut dire que M. Jomâa a été pendant un an ministre de l’Industrie, donc la tutelle des mines de phosphates. Par conséquent, il connaît bien la situation qui domine dans le bassin minier et depuis sa promotion au rang de chef du gouvernement on s’attendait à une amélioration sensible de la situation, sinon à un dénouement de la crise. Ce qui n’est pas encore le cas, malheureusement. De plus, il existe une carence au niveau de la communication concernant les phosphates.

 

L’incertitude plane sur la levée de la compensation

Le gouvernement hésite à prendre des mesures impopulaires même si l’opinion a été préparée pour cela et même si la mise à exécution sera graduelle.

Soit il subit la pression de l’UGTT, soit il cherche à préserver ses chances de survie politique au–delà de l’échéance des élections législatives prévues pour la fin 2014. Cependant, à force de reporter les décisions relatives aux réformes à long terme, la situation pourrait s’aggraver et devenir irréversible. Il est certes difficile de lever tout de suite la compensation sur les denrées de consommation de base, mais pour le carburant cela peut se concevoir par étapes.

Ce qui est sûr, c’est que l’on ne peut pas continuer à subventionner les riches avec l’argent des pauvres, le maigre pouvoir d’achat des classes défavorisées doit être préservé, sinon amélioré.

 

Commerce extérieur : déficit flagrant et croissant

Le déficit commercial extérieur connaît, à fin avril 2014, une aggravation sensible puisqu’il a atteint 4.485 millions de dinars contre 3412 MD en 2013.

En effet, le taux de couverture des importations par les exportations a régressé de 6,4 points pour se situer à 67%.

Les exportations d’huile d’olive ont baissé de 399 MD en 2013 à 104 MD à fin avril 2014. Les exportations de produits énergétiques et de phosphates ont régressé de 11% et de 24% respectivement.

Il y a lieu de remarquer qu’il n’y a pas de rigueur ni de restrictions au niveau des importations. On importe du fromage, des biscuits, des viandes rouges, de l’huile d’olive, du prêt-à-porter de luxe, alors que nous sommes producteurs et exportateurs de ces produits.

Si la situation actuelle perdure, il y a un risque pour le gouvernement de Mehdi Jomâa de voir s’achever son mandat sans qu’aucune réforme structurelle ne soit entreprise. Il y a aussi un autre risque latent,: celui de continuer à vivre l’incertitude des difficultés budgétaires actuelles et d’une conjoncture économique et sociale tendue avec persistance ou aggravation de l’inflation, de la contrebande, du commerce parallèle, du chômage et de la pauvreté.

Ridha Lahamar

 

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