Faux alibis

L’UGTT l’a vivement souhaité, Youssef Chahed l’a exaucé. Le départ du gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, longtemps réclamé, a été précipité par le vote du  parlement européen de l’inclusion de la Tunisie  à la liste noire des pays tiers, susceptibles d’être fortement exposés au blanchiment. Un verdict sans surprise, attendu  qui a servi d’alibi pour mettre fin prématurément au mandat de Chedly Ayari à la tête de la Banque de premier ordre. Un scénario qui nous rappelle, par ses péripéties, ce qu’avait fait la Troïka pour se débarrasser de l’empêcheur de tourner en rond à l’époque,  Mustapha Kamel Nabli.
Néanmoins, ce qui a surpris, c’est que Youssef Chahed est en train de gouverner un pays malade, subissant constamment  des pressions de tout bord, ignorant au passage une règle d’or qui différencie le politicien de l’homme d’Etat. Le premier pense à la prochaine élection, tandis que le second à la prochaine génération. Même si certains recommandent que  le rôle d’un homme d’Etat, ce n’est pas de suivre l’opinion, c’est de la guider,  en Tunisie les choses obéissent à d’autres logiques  et intrigues qui lèguent ces considérations aux oubliettes. Chez nous, tous les sujets sont un argument pour alimenter les polémiques les plus improductives, une opportunité pour les adversaires politiques pour  régler leurs comptes,  pour l’UGTT d’avoir la langue bien pendue et pour constater le grand cafouillage dans lequel les pouvoirs politiques sont en train de s’empêtrer, s’agissant de la  gestion des affaires du pays. A chaque déconvenue, raclée que subit le pays, on mesure le degré d’impréparation de nos dirigeants qui, en mal de pilotage, sont constamment surpris, pris de court et subissent les événements dans une sorte de légèreté déconcertante. On s’aperçoit également de la faiblesse manifeste de notre diplomatie et de nos élus, incapables de jouer la mission qui leur est dévolue, de pouvoir influencer l’ordre des choses et de compter, le jour venu, sur des lobbies solides qui peuvent épargner au pays bien des désagréments. Pourtant, pas loin de chez nous, des pays ont su jouer pleinement ces cartes et leur diplomatie a fait preuve de toute son efficience,  réussissant parfois la gageure  d’inverser l’ordre des choses à leur profit.
Ce qui est en cause, c’est l’impunité de ceux qui sont en charge de ces dossiers et du système de gouvernance des affaires publiques qui obéit aux règles d’appartenance, plutôt  qu’aux critères de  compétence. Ce qui est en cause également, c’est l’inconscience de la classe politique, toujours prompte à troquer les intérêts du pays pour des considérations électoralistes.
Le résultat de cette confusion générale qui règne dans le pays et du règne de  l’incompétence, nous le vivons au quotidien dans une sorte de désintérêt hallucinant. On s’évertue à éluder l’essentiel et à verser dans les surenchères stériles qui ne font que tirer le pays vers l’arrière et l’enfoncer davantage dans une crise dont on ne connaît plus l’issue.
D’une liste noire à l’autre, et au-delà de la volonté qui anime l’Union européenne de punir la Tunisie, son partenaire stratégique dans la région et son élève le plus discipliné, il faut dire que notre pays est en train de payer cash sa désorganisation, son incapacité à avoir une emprise sur les événements et son inaptitude à mener les réformes essentielles dans le timing exigé. Nos dirigeants, longtemps bercés de discours mielleux, ont certainement oublié qu’en dépit des relations inégales qu’ils entretiennent avec l’Union européenne, l’état de grâce qu’a suscité la Révolution du 14 janvier 2011,  est une page tournée et que notre partenaire nous attend dans le tournant pour nous demander des comptes, et nous faire endosser des responsabilités que nous ne sommes pas encore bien outillés pour  assumer. Stigmatiser la Tunisie, cette jeune démocratie fragile qu’ils prétendent à coup de déclarations soutenir, et la mettre à l’index pour des raisons parfois injustifiées et injustes, ne dérange pas outre mesure, ni les responsables politiques européens ni leurs élus à Strasbourg, parce que tout simplement, notre pays ne représente qu’un maillon faible et ne constitue pas un grand enjeu économique.
Ce qui dérange, c’est que d’une liste noire à l’autre, on assiste à une sorte de branle-bas de combat, à un affolement général et à une grande nervosité, rarement à une analyse sereine, à des réactions étudiées, ni à une volonté de tirer les  bons enseignements.
On ne relativise pas et on ne cherche pas à adopter une communication ciblée et précise.  On a eu affaire,  dans le cas d’espèce,  à des réactions en cascade de responsables politiques, des analyses contradictoires et à une expression de dépit  et de colère donnant l’impression que le pays est frappé  de catastrophe.
En revanche,  personne n’a eu le doigté d’orienter le débat dans la bonne trajectoire et de définir les responsabilités de chacun dans la nouvelle raclée que notre premier partenaire vient de nous administrer.

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