Par Sami Mahbouli
Il ne manquait aux révolutions arabes qu’un 18 Brumaire pour s’inscrire dans la tradition de leur illustre devancière française ; c’est chose faite depuis que le 30 juin 2013, un Bonaparte égyptien déposa un président démocratiquement élu. A l’image de la Révolution française qui poussa son dernier râle un jour de Brumaire, le Printemps arabe ne survivra pas à une conjuration militaire ayant pour théâtre la plus grande nation arabe. Adieu le lyrisme révolutionnaire et les douces rêveries démocratiques, place au son du clairon et aux bruits de bottes. Il faut reconnaître que la parenthèse ne fut pas des plus heureuses ; quand les pays dudit Printemps arabe ne sombraient pas dans la guerre civile, ils se trouvaient sous le joug de sombres personnages traquant le mal jusque dans nos chaumières et appelant au rétablissement du Califat ; des rigolos promus comme ministres plongeaient les économies de ces pays dans une inexorable récession. Si on y ajoute les assassinats politiques, les milices à la solde des régimes en place, les appels à l’ostracisme et aux pogroms, on peut, à bon droit, penser que la plaisanterie a assez duré.
Du reste, l’expression si galvaudée de « Printemps arabe » aurait dû susciter, dès le début, notre méfiance ; en effet, il s’agit du titre de l’ouvrage d’un écrivain français sulfureux, Jacques Benoist-Méchin, condamné à mort à la libération pour collaboration avec les nazis. En 1959, au terme d’une virée à travers le monde arabe, ce sinistre personnage crut percevoir les prémices d’un réveil qu’il se plut à qualifier de « Printemps arabe ». La ribambelle de dictateurs et de régimes corrompus que le monde arabe s’est coltinée depuis la parution de ce livre en dit long sur la qualité des prédictions du nazillon-machin.
Et s’il nous restait, comme lot de consolation, le « Printemps Tunisien » ? Le président Hollande n’est-il pas venu, à Tunis même, déclamer une ode à notre Printemps ? Même s’il faut se féliciter du fait que nos chefs militaires préfèrent les départs à la retraite aux putschs et que le parti islamiste au pouvoir est une version édulcorée des «Frères musulmans» en Egypte, on aurait tort de croire à une « exception tunisienne » ; à la moindre ânerie additionnelle, nos gouvernants se rendront compte, nolens volens, que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Sans vouloir remuer le couteau dans la plaie, rappelons tout de même que la désaffection des investisseurs et des touristes pour notre pays, le grand Barnum à l’ANC et les montagnes de détritus à chaque coin de rue doivent nous inciter à la plus grande modestie quant aux réalisations du « Printemps tunisien ». D’ailleurs l’origine de cette expression est assez suspecte puisque nous la devons à un plumitif au service de Ben Ali, un certain Salvatore Lombardo. Il y a quelques années dans livre intitulé « Un Printemps tunisien », il nous livrait son admiration sans bornes pour notre général-président et pour le miracle économique qu’il a accompli. Quand on se penche sur le berceau des expressions de Printemps arabe ou tunisien, on y découvre une curieuse ascendance qui nous donne une forte envie de nous pincer le nez…
L’enterrement avec les honneurs militaires du Printemps arabe ne doit pas nous faire oublier les veuves éplorées et les orphelins qu’il laisse derrière lui; ces derniers commençaient, pourtant, à peine à savourer les délices de la transition démocratique : promotions inespérées, maisons de fonction, voyages et frais de missions…Bref, un rêve que Sissi, qui n’a rien à voir avec la gentille impératrice, a brisé avant même qu’ils n’aient le temps de glaner toutes les fleurs d’un printemps si juteux.
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