BLOC-NOTES

Le ministre de l’Intérieur, Ben Jeddou, a, au moins, deux bonnes raisons de démissionner : la première tient à l’assassinat de Mohamed Brahmi, la seconde au meurtre de Mohamed Belmufti. Lorsqu’en 24 heures, on est responsable de deux échecs retentissants, libérer son fauteuil est le moins qu’on puisse attendre d’une personne censée être en charge de la sûreté publique. En quoi, me direz-vous, ces deux drames sont imputables au dit ministre ? En ce qui concerne l’élimination du député Brahmi, il me semble évident, en vertu de la théorie du fusible, qu’un ministre doit sauter ; étant donné qu’il serait incompréhensible que ce soit celui de la Jeunesse et des sports, celui de l’Intérieur est le mieux désigné. Quand, en outre, on prétend faire de l’élucidation de l’assassinat de Chokri Belaid une priorité et qu’il faille attendre celui de Mohamed Brahmi pour obtenir des noms et une piste, se démettre n’est plus un choix mais une nécessité. Comment peut-on « avaler » les explications fournies par Ben Jeddou lors de sa dernière conférence de presse ? Comme un magicien qui sortirait un lapin de son chapeau, le ministre nous a, certes, livré des noms et quelques photos de « sales bobines » ; néanmoins, comment se fait-il qu’avant même de mettre en terre Mohamed Brahmi tout devienne, comme par enchantement, aussi clair ? Pourquoi avoir attendu que ces « chiens » récidivent pour en révéler l’identité ? Tant que ces questions demeureront sans réponses, notre méfiance vis-à-vis des révélations de Ben Jeddou n’aura pas de raison de faiblir. L’autre mort dont Ben Jeddou ne peut se laver les mains est celle du malheureux Mohamed Belmufti ; l’image de ce Tunisien, gisant dans son sang, le visage contre l’asphalte, m’a profondément bouleversé. On se croirait en décembre 2010 quand la machine de mort de Ben Ali entra en action à Sidi Bouzid et ailleurs. Le maintien de l’ordre public n’est pas chose aisée mais ne saurait justifier un recours disproportionné à la force contre des manifestants aux mains nues. Si bavure il y a, c’est au ministre de l’Intérieur d’en assumer la responsabilité et d’en tirer les conséquences pratiques. Il ne faut pas oublier que l’ancien ministre de l’intérieur, Haj Kacem,  croupit derrière les barreaux pour des faits similaires. Tirer sa révérence lorsque l’on n’a  pas été en mesure de remplir convenablement sa mission n’a rien de déshonorant ; s’accrocher à son fauteuil quand des veuves et des orphelins vous tiennent, à tort ou à raison, pour responsable de leur malheur l’est par contre.

 Plus généralement, le gouvernement doit-il démissionner en bloc ? Nombreux sont ceux qui estiment la réponse évidente ; les six derniers mois ne furent pas un modèle de gouvernance éclairée et l’assassinat de Brahmi représente un paroxysme dans l’échec. S’arc-bouter sur  une légitimité électorale qui s’est effritée considérablement depuis le 23 octobre 2012 ne suffira pas à calmer la colère et l’exaspération de millions de Tunisiens. Il faut leur offrir, sans délai et sans barguigner,  beaucoup plus et notamment la dissolution immédiate des Ligues de protection de la Révolution. Ne pas mettre un terme final aux agissements de ce ramassis de voyous marquerait une défaite morale et politique définitive du gouvernement actuel et le conduirait à une démission inéluctable. Les partenaires politiques de Nahdha doivent être conscients qu’ils n’échapperont pas au naufrage s’ils ne parviennent pas à la convaincre de l’impérativité de cette dissolution. Même si le scénario égyptien n’a rien de séduisant et qu’on ne peut souhaiter que l’avenir de notre pays se décide dans les casernes, il est grand temps de comprendre que la lassitude des peuples pave souvent  la voie à la dictature et peut transformer le moindre caporal en héros.

 

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