La purge du corps de magistrats est frappée du sceau indélébile de l’improvisation et du dilettantisme. Pour un garde des sceaux, on pouvait souhaiter mieux. Que l’intention soit bonne ne change rien à l’affaire : on ne nettoie pas les Ecuries d’Augias au Bulldozer. Dans la mythologie grecque, ces écuries n’avaient pas été nettoyées depuis 30 ans à tel point qu’il n’était plus possible d’y mettre les pieds ; c’est, à quelque chose près, l’état de notre pauvre justice. Pour autant, diagnostiquer le mal et en déclarer la gravité ne peut conduire à prescrire le déni de justice : 82 révocations de juges faisant fi des règles de Droit les plus élémentaires. La corruption est un délit qui doit être établi à travers une enquête minutieuse et en offrant au prévenu toutes les garanties d’un procès équitable. Prétendre que cette hallucinante décision fut prise sur la base de dossiers et après des mois d’examen frise la cécité juridique dans la mesure où le droit de chaque juge révoqué de consulter son dossier et de se défendre à été tout bonnement ignoré. Il aura fallu que le Syndicat national des magistrats et son intrépide présidente, Raoudha Laabidi, lèvent l’étendard de la révolte pour que le ministère de la Justice revienne à de meilleurs sentiments et fasse preuve de bon sens. Dans sa grande sagesse, Me Bhiri a accepté de rebrousser chemin et d’offrir aux magistrats l’accès au dossier de l’accusation et le droit de s’opposer à la décision qui les frappe. Ce terrible Pataquès aurait pu être évité si l’on n’avait pas cédé à la tentation populiste qui tend à vouloir satisfaire le peuple par du spectaculaire et du sanglant. Jeter aux chiens l’honneur de 82 familles dont la culpabilité n’a pas été prouvée et sur la foi de soupçons est une défaite morale doublée d’une infamie juridique. Un jour, inéluctablement, mon confrère, Me Bhiri, devra revêtir sa robe d’avocat et retrouver le chemin des prétoires ; s’il veut que l’on ne détourne pas le regard sur son passage, il est préférable qu’il n’oublie pas, entretemps, que la dignité de tout citoyen n’est pas une plaisanterie.
Par Sami Mahbouli