BLOC-NOTES

Dieu merci, presque tout le monde reconnaît, désormais, qu’il y a un danger salafiste en Tunisie ; les dernières déclarations du chef du gouvernement et de son Premier ministre renferment une condamnation des dérives sectaires et une mise en garde vigoureuse contre les « poilus » en kamis. A priori, il n’y a aucune raison de ne pas les prendre au mot et de n’y voir que de belles promesses. Ceci étant, il ne se passe pas un jour où, du Kef à Sidi Bouzid, des « fachos » aux barbes imposantes ne sèment la panique par un recours systématique à la violence. Face à ces dégénérés, le dialogue est une perte de temps pure et seul l’inconfort de nos prisons est de nature à les faire réfléchir sur les vertus de la tolérance. Le temps presse car les images de ces excités à travers les médias internationaux sont en train de nous causer un tort irréparable. La détresse de nos hôteliers après chaque exploit de ces voyous est tout sauf feinte. Aussi, après les discours de fermeté, des millions de Tunisiens attendent du gouvernement de la fermeté tout court pour que la tournée de ce cirque pakistano-afghan s’arrête et que ces clowns qui ne font rire personne regagnent leurs pénates à jamais. En attendant, il semble que les citoyens ordinaires ne soient plus disposés à se laisser terroriser impunément par cette horde d’illuminés en n’hésitant pas à les affronter avec les seuls arguments qu’ils comprennent à savoir le gourdin et la barre de fer. Il y a quelques jours, leur tentative de remplacer par la force un imam d’une mosquée près du Kef leur à valu une raclée dont ils devraient conserver un cuisant souvenir. A mon avis, avec deux ou trois autres bonnes corrections magistrales, les salafistes deviendront bientôt des partisans  de  la non-violence et des adeptes du dialogue des religions. Plus sérieusement,  si l’on ne veut pas que la violence étatique légitime soit supplantée par la violence citoyenne de légitime défense, il est impératif que l’Etat assume ses responsabilités en sévissant contre toutes les formes de coercition sociétales ou religieuses.

La purge du corps de magistrats est frappée du sceau indélébile de l’improvisation et du dilettantisme. Pour un garde des sceaux, on pouvait souhaiter mieux. Que l’intention soit bonne ne change rien à l’affaire : on ne nettoie  pas  les Ecuries d’Augias au Bulldozer. Dans la mythologie grecque, ces écuries n’avaient pas été nettoyées depuis 30 ans à tel point qu’il n’était plus possible d’y mettre les pieds ; c’est, à quelque chose près,  l’état de notre pauvre justice. Pour autant, diagnostiquer le mal et en déclarer la gravité ne peut conduire à prescrire le déni de justice : 82 révocations de juges faisant fi des règles de Droit les plus élémentaires. La corruption est un délit qui doit être établi à travers une enquête minutieuse et en offrant au prévenu toutes les garanties d’un procès équitable. Prétendre que cette hallucinante décision fut prise sur la base de dossiers et après des mois d’examen frise la cécité juridique dans la mesure où le droit de chaque juge révoqué de consulter son dossier et de se défendre à été tout bonnement ignoré. Il aura fallu que le Syndicat national des magistrats et son intrépide présidente, Raoudha Laabidi, lèvent l’étendard de la révolte pour que le ministère de la Justice revienne à de meilleurs sentiments et fasse preuve de bon sens. Dans sa grande sagesse, Me Bhiri a accepté de rebrousser chemin et d’offrir aux magistrats  l’accès au dossier de l’accusation et le droit de s’opposer à la décision qui les frappe. Ce terrible  Pataquès aurait pu être évité si l’on n’avait pas cédé à la tentation populiste qui tend à vouloir satisfaire le peuple par du spectaculaire et du sanglant. Jeter aux chiens l’honneur de 82 familles dont la culpabilité n’a pas été prouvée et sur la foi de soupçons est une défaite morale doublée d’une infamie juridique. Un jour, inéluctablement,  mon confrère, Me Bhiri, devra revêtir sa robe d’avocat et retrouver le chemin des prétoires ; s’il veut que l’on ne détourne pas le regard sur son passage, il est préférable qu’il n’oublie pas, entretemps, que la dignité de tout citoyen n’est pas une plaisanterie.

Par Sami Mahbouli

Related posts

Libération du directeur du lycée Ibn Hazm à Mazzouna après son audition

Décès du Dr Zakaria Bouguira

Hamid Zénati : Un monde tissé de songes