Par Sami Mahbouli
Les partisans de l’épuration politique viennent de subir une sacrée « branlée » : l’article 167 qui exclut des citoyens tunisiens de la vie politique sous prétexte d’avoir été Rcdistes ne figurera pas dans la loi électorale. Il fallait voir leur désespoir à l’issue du vote à l’ANC pour comprendre la rage épuratrice qui les habite. Même Rached Ghanouchi, pourtant peu suspect d’empathie pour le RCD, a su faire preuve de sagesse politique en déclarant à maintes reprises que l’exclusion nuit à l’unité nationale et doit être écartée. Il n’y a guère plus que la meute féroce conduite par des enragés tels qu’Abderraouf Ayadi ou Samia Abbou pour faire de la diabolisation des affiliés au RCD un véritable fonds de commerce et, pour ainsi dire, leur seul programme politique. Que le RCD fut un parti godillot qui pratiquait le clientélisme et le « flicage » du pays est indiscutable ; qu’il méritait d’être dissous et d’être relayé aux oubliettes de l’Histoire, nul n’en disconvient. De là à pratiquer la punition de masse et priver des dizaines de milliers de Tunisiens de leurs droits politiques, c’est une autre paire de manches. D’autant que pour se consoler, les enragés de l’exclusion peuvent se rabattre sur la loi sur la Justice transitionnelle dont un des premiers objectifs est la reddition des comptes ; conçue par des cerveaux malades, cette loi institue un tribunal d’Inquisition composé de 15 émules de Torquemada* chargés durant cinq longues années de fouiller les poubelles de notre passé ; dotés de moyens et pouvoirs importants, ces éboueurs de l’Histoire auront la lourde mission de traquer le mal depuis le 1er Juin 1955 et de réparer les injustices accumulées en plus d’un demi siècle. Une commission de l’ANC est parvenue à trier les candidatures pour les charges d’inquisiteurs à investir ; compte tenu du grand nombre de tordus dans notre pays, on ne s’étonne pas que les candidats se soient bousculés et que le travail de tri n’ait pas été aisé. Pour les ordures ménagères, on a inventé le tri sélectif : la poubelle bleue pour les papiers, la jaune pour les déchets en vrac. Pour le linge sale de la maison Tunisie, en revanche, aucune technique n’a été encore mise au point…
Une défection de plus et non des moindres : Aziz Krichen était considéré comme un des plus fidèles lieutenants du Président provisoire et rien ne semblait pouvoir les séparer. Ces derniers temps, la mode est à la désertion au Palais de Carthage ; encore heureux que l’on ne soit pas en temps de guerre où le peloton d’exécution est l’horizon naturel de tout déserteur ; avec les quatorze conseillers jusqu’ici démissionnaires de Carthage c’eût été une véritable hécatombe. Au mépris de l’obligation de réserve, Aziz Krichen n’a pas hésité à se répandre dans plusieurs médias gratifiant son ancien maître, Moncef Marzouki, de toutes sortes d’amabilités. Plus de deux ans aux frais de la princesse, à manger dans de la vaisselle dorée et à voyager à l’œil en business class, n’auront pas suffi à susciter chez le Conseiller spécial Krichen une once de gratitude ou de bienveillance envers son bienfaiteur. Qui, au surplus, aurait prêté la moindre attention aux états d’âmes filandreux dudit conseiller si Marzouki ne l’avait pas, un jour, fait franchir le seuil du Palais présidentiel ? Quitter Carthage aurait eu de l’allure quand la présidence jeta en pâture l’honneur de centaines de personnes à travers le livre-torchon noir. Le faire aujourd’hui, à l’instar d’Aziz Krichen, quelque mois avant l’expiration du mandat de son bienfaiteur, relève davantage du crachat dans la soupe que d’un grand courage.
*Grand Inquisiteur d’Espagne de 1483 à 1498
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