BLOC-NOTES

La démocratie peut être un véritable supplice ; ceux qui en doutent n’ont qu’à lever les yeux pour se coltiner les sourires béats des candidats à la présidentielle et cet air de contentement de soi que rien ne justifie. Les maquilleuses et les photographes ont fait des miracles pour que certaines bobines figurant sur d’immenses affiches aux abords de nos routes ne causent pas de graves accidents de la circulation. À cet égard, J’ai noté que plus le candidat était un illustre inconnu et plus le poster était grand suivant un principe de proportionnalité inverse. Quand on sait qu’une partie de ce déballage maladif d’égo se fait au frais du contribuable, on a moins envie de sourire. Cette farce aura, rassurons-nous, une morale car toute cette armada de petits vaniteux disparaitra bientôt de notre vue et les grandes affiches ornant nos rues vanteront de nouveau les mérites d’un fromage blanc et les bienfaits d’un savon parfumé.

En ne soutenant, en apparence, aucun candidat, Ennahdha prouve, une fois de plus, qu’elle possède un réel sens tactique : appuyer un perdant c’était prendre le risque de perdre deux fois de suite et se condamner à jouer les seconds rôles dans les cinq années à venir. Il est toujours réconfortant de voir un parti baigné d’idéologie découvrir les vertus du pragmatisme et adopter les règles du combat politique démocratique. Néanmoins, une abstention –fût-elle habile – n’équivaut pas à un « aggiornamento » des valeurs du parti islamiste d’autant que rien ne laisse présager que celui-ci est prêt à renoncer à son projet d’islamisation rampante de notre société : la prolifération du niqab dans nos rues et la percée des crèches et des écoles islamiques ne sont pas là pour nous rassurer. Une récente déclaration du cheikh Mourou sur la stratégie générationnelle de son parti ne doit pas être mise seulement sur le compte de son sens de l’humour : celui qui a fondé le premier parti islamiste tunisien dans les années 70 – et qui en reste l’actuel vice-président – n’a certainement pas jeté par-dessus bord toutes ses convictions. Le bruit persistant selon lequel ce dernier ambitionnerait le perchoir dans la prochaine assemblée nationale ne correspond pas à l’idée que l’on peut se faire d’un « homme au dessus de tout soupçon ».

Le Dialogue national tire sa révérence après avoir rendu de bons et loyaux services ; il faudrait être ingrat et amnésique pour ne pas louer le rôle positif joué par ce cadre original de concertation politique. Conduit par le Quartet, le Dialogue national a sorti le pays d’un mauvais pas et a puissamment contribué à la réussite de la transition politique. L’idée d’en faire une institution permanente bien que n’ayant rien de saugrenue n’est pas à encourager ; en effet, la Constitution a mis en place un ordonnancement institutionnel suffisamment élaboré pour avoir besoin d’y superposer des centres de pouvoir et d’influence tels que le Dialogue national. Le bicéphalisme du pouvoir exécutif- auquel s’ajoute la connotation parlementariste de notre régime politique – est suffisamment propice aux crises pour songer à créer une institution de trop jaillissant des entrailles d’un Dialogue national en voie d’embaumement. Je me souviens que cette tentation de prolonger artificiellement des instances fruit de l’improvisation avait traversé l’esprit des tenants de la défunte Haute instance de protection de la Révolution. La conversion de cadres de dialogue en institutions est le meilleur moyen de saborder celles qui existent en vertu de la Constitution et contribuera à rendre le pays ingouvernable. Ce dernier vœu – si cher à la pléthore d’exaltés et d’anarchistes qui ont poussé depuis la Révolution – n’a aucune raison d’être exaucé.

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