L’érosion du pouvoir d’achat, l’aggravation de la pauvreté et du chômage des jeunes notamment et l’absence de perspectives de développement dans les régions intérieures, constituent de véritables bombes à retardement pour le gouvernement Essid.
Ces dossiers chauds ne datent pas d’aujourd’hui, loin s’en faut. Leurs raisons profondes sont connues. Ce qui, en revanche, a toujours fait défaut, c’est leur traitement adéquat. Au lieu d’attaquer le mal à la racine, on n’a fait que lui administrer, au fil des crises qui surgissent d’un moment à l’autre, de simples palliatifs qui ont fini par prouver leur inefficacité et leur inadaptation.
L’explosion de la colère et de la contestation sociale enregistrée ces derniers temps dans les régions frontalières du sud du pays, à Ben Guerdane et de Dhehiba, en est l’illustration la plus parfaite. Au-delà des raisons objectives qui sont à l’origine du désenchantement de la population locale, c’est la précarité, l’absence d’alternative et de perspectives qui constituent l’essence qui ravive le feu de la discorde depuis des lustres dans ces régions, longtemps oubliées du développement.
Paradoxalement, à chaque irruption de violence, on fait grise mine et on affiche une incrédulité qu’on a du mal à vaincre, comme si toutes les conditions ne sont pas réunies pour que l’irréparable ne finisse par se produire à la moindre alerte ou pour la plus futile des raisons ?
Signe de l’extrême légèreté qui habite nos responsables politiques, à chaque moment où l’étincelle allume le feu à la maison, ils s’illustrent souvent par le décalage de leurs réactions. Ils daignent oublier souvent un simple postulat : les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets.
A Ben Guerdane et à Dhehiba, comme partout ailleurs dans les régions intérieures déshéritées de la Tunisie, et dont la situation s’est gravement détériorée depuis le 14 janvier 2011, ce dont les jeunes ont le plus besoin, c’est incontestablement d’une vision stratégique, d’actions réfléchies et concertées et de projets cohérents qui les extirperaient durablement de la précarité et qui les intégreraient dans une dynamique vertueuse productrice de valeurs et de richesses.
Face à la forte pression qu’il a subie pendant plus d’une semaine, il faut savoir gré au gouvernement Essid qui, face à l’urgence ne s’est pas empressé d’annoncer des mesures qui auraient pu permettre un retour provisoire au calme, sans résoudre le fond du problème. Manifestement, pour redonner espoir aux habitants de ces deux régions, il aurait fallu prendre des risques, en essayant de cerner mieux la problématique de leur développement, sans céder vite à la tentation populiste.
Incontestablement, combattre la contrebande est une décision salutaire pour sauver l’économie et l’entreprise nationale, mais qu’a-t-on préparé pour des régions qui vivent uniquement du commerce transfrontalier pour survivre ? Rien ou presque. Les promesses et les vœux pieux ne peuvent calmer les besoins les plus urgents des populations de ces régions, ou leur donner des signes d’espoir de changement ou d’amélioration de leur situation.
Ne pas chercher uniquement à éteindre le feu par des mesures improvisées et inopportunes est, en soi, un bon signe. Il faut, aujourd’hui, savoir emprunter les voies qui permettent de résoudre définitivement ces problèmes à travers des stratégies claires et en optant pour le langage de la vérité. C’est ce langage qui peut concourir à bâtir la confiance et qui offre la possibilité aux populations cibles de vérifier le degré de sérieux et d’efficacité de l’action publique.
Ceci est vrai, également, pour la question du pouvoir d’achat et son corollaire la maîtrise des prix des produits de première nécessité. C’est l’absence de l’Etat qui a été le multiplicateur de la poussée inflationniste et de la désorganisation des circuits de distribution et de la floraison du marché parallèle. Aujourd’hui, on attend des signes concrets du retour de l’Etat, qui peut être ressenti par une action vigoureuse en matière d’organisation des circuits de distribution, de lutte efficace contre la fraude, la spéculation et la contrebande. Pendant plus de quatre ans, la bourse du Tunisien a été durement éprouvée par des pratiques mafieuses qui n’ont fait qu’amplifier le poids du secteur désorganisé et informel et maintenir les prix des produits de première nécessité à des niveaux qui ont sérieusement mis à mal le pouvoir d’achat du citoyen.
Le retour de l’Etat équivaut, dans le cas d’espèce, à une sorte de reprise en main du contrôle des circuits d’approvisionnement et l’application stricte de la loi. Une fois cette condition remplie, il sera possible d’espérer une certaine détente dans les prix et une certaine inflexion de la poussée inflationniste.
La même démarche pourrait être adoptée, enfin, s’agissant de la lutte contre la pauvreté et le chômage. Un fléau qui ne cesse de ronger notre société et de gagner en ampleur. Cette lutte ne pourra produire l’effet escompté qu’à condition qu’elle soit adossée à une stratégie claire et à une action soutenue et ciblée dont les fruits pourraient être perceptibles et ressentis par les catégories les plus vulnérables.