Que vaut la saisine de la justice par le Parti destourien libre contre l’Instance supérieure indépendante pour les elections (ISIE) dans l’objectif de stopper le processus électoral ? Les affaires judiciaires portant sur les questions politiques n’ont jamais pu être tranchées pour une partie contre une autre. Motif invoqué : incompétence du tribunal. Cette nouvelle initiative du PDL, très actif sur le terrain, servira donc à maintenir la pression sur Kaïs Saïed et sur l’ISIE, mais n’ira pas plus loin. Comme les autres fronts politiques d’opposition qui mettent la pression sur l’opinion publique en multipliant les manifestations contre Kaïs Saïed, contre le processus du 25 juillet et contre la tenue des Législatives du 17 décembre, boycottées par la majeure partie des formations politiques, certaines plus ou moins proches de Kaïs Saïed, et par le front du 25 juillet, ses premiers alliés avant son élection à la Présidentielle de 2019. Des efforts vains. Les partis politiques ont perdu toute emprise sur l’opinion au terme d’une décennie soi-disant démocratique et chaotique (2011-2021). Les Tunisiens tiennent pour responsables tous les politiques, dirigeants et opposants, pour les 25 000 morts de la Covid-19, pour les déviances de l’ARP, pour les ravages de la corruption (grande et petite), pour l’installation de la médiocratie dans l’Administration publique, à l’université, dans l’éducation nationale, pour l’hypertrophie des syndicats, pour la montée des violences.
Kaïs Saïed a connu une période de grâce mais il court le même risque, les Tunisiens commencent à s’impatienter après près d’un an et demi de patience. Sa méprise du temps et l’abstraction de ses compatriotes dans la conception d’un nouvel avenir pour la Tunisie ont terni l’image du « Saint » que les Tunisiens ont voulu placer au sommet de l’Etat et mis la fin de son mandat, avant terme, sur la balance des choix à faire pour sortir le pays de l’impasse.
Malgré tout, le scrutin législatif aura bien lieu le 17 décembre 2022. Mohamed Tlili Mansri, membre de l’ISIE, l’a réaffirmé récemment dans le but de calmer les rumeurs faisant circuler l’éventualité d’un report du scrutin. Mansri est sûr de ce qu’il affirme, d’autant que les candidatures ont été déposées et le Tribunal administratif est en cours d’examen des recours (52) liés aux dossiers rejetés par l’ISIE. Le va-t-en guerre de l’ISIE, qui lui a attiré les foudres de toutes parts, n’empêche pas de nourrir de sérieuses inquiétudes à propos du bon déroulement de ces élections. Le scrutin pourrait, en effet, être gêné par des mouvements de protestations ou de colères comme ceux qui ont agité certains quartiers populaires contre la cherté de la vie ou celle qui plombe le quotidien des habitants de Zarzis qui continuent d’exiger des autorités locales et nationales la vérité sur la disparition de leurs enfants et proches, émigrés clandestins, engloutis par les eaux marines ou enterrés incognito dans « Le jardin d’Afrique », plus communément appelé « Cimetière des étrangers ». Les motifs de tensions sont autrement plus nombreux : pénurie de lait, prix exorbitants à la consommation des produits agricoles, blocage interminable du phosphate, etc. La situation générale est au plus mal, tout peut arriver, à n’importe quel moment. Ennahdha est accusé d’être derrière tous ces mouvements. Pour cause : Rached Ghannouchi n’arrête pas lui aussi de mettre la pression sur Kaïs Saïed. Il a prétendu que les élections du 17 décembre n’auront pas lieu, tout comme Néjib Chebbi, président du Front du salut national. Un défi que Ghannouchi lance au chef de l’Etat qui l’a délogé de la présidence du Parlement et qui a exhorté la justice à ouvrir tous les dossiers en souffrance depuis de nombreuses années, y compris ceux qui incriminent Rached Ghannouchi et d’autres dirigeants du parti Ennahdha. Ghannouchi provoque aussi les nombreux Tunisiens qui sont déterminés à barrer la route au retour des islamistes au pouvoir. Tous ces « militants » politiques sont dans l’incapacité d’ameuter les foules et de les rallier à leur cause, celle d’accéder à la sphère du pouvoir. Mais ils bloquent tout. Pas de travail, pas de production, que des revendications. Leurs partisans recrutés par centaines de milliers aux premières années de la révolution (2021-2013) dans l’Administration, les entreprises nationales, les hôpitaux, l’enseignement… se chargent de faire le nécessaire. Le résultat au terme d’une décennie de règne absolu dans l’impunité totale : la destruction totale de la culture et du respect du travail en Tunisie. Les Tunisiens ne travaillent plus suffisamment pour produire les richesses qui créeront la croissance, les emplois, le progrès. La mentalité d’assisté s’est enracinée, « rizk el bilik » sans retenue et le droit de grève sans modération.
La Tunisie est en panne parce que les anciens dirigeants qui ont été écartés par Kaïs Saïed sous la pression du peuple tunisien refusent de céder leurs postes et leurs privilèges et que la Tunisie reprend ses forces et son envol sans eux. Ils remuent ciel et terre en Orient comme en Occident et usent de tous les moyens dont ils disposent en Tunisie et à l’étranger pour affaiblir Kaïs Saïed et faire échouer le “putsch” du 25 juillet. Et sans le savoir, celui-ci les a bien aidés en leur donnant des raisons et des arguments, comme son isolement, son inexpérience politique et les nominations aberrantes aux postes clés de l’Etat, sans oublier ses fautes stratégiques, telles que le désintérêt total pour la chose économique et pour la diplomatie tunisienne. Les horizons de la Tunisie n’ont jamais été aussi sombres et il faut espérer, en dernier recours, que Bouden et Taboubi trouvent un terrain d’entente sur les réformes urgentes à engager pour pouvoir débloquer la situation. Sinon, il ne restera plus que l’émigration.
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