S’il est un domaine où les Tunisiens excellent, c’est celui de la commémoration. Ils ont toujours eu un rapport particulier avec les héros de leur Histoire. Ils les adulent. Parfois, ils réussissent même à les incarner. C’est dans ce contexte qu’ils ont rendu hommage, le 6 de ce mois, au leader Habib Bourguiba, à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de sa disparition. Sans parvenir, toutefois, à peser sur le cours de ces événements commémoratifs, les islamistes n’ont jamais cessé de nous faire entendre un autre son de cloche en déversant les tombeaux de brocards, d’outrages, de sottises sur le bâtisseur de l’État moderne. Rassemblés autour d’un mensonge «fédérateur», ils l’accusent de mener la fronde contre l’Islam. Ce mensonge, répété depuis presque sept décennies, est devenu une petite musique qui s’impose comme une évidence. On l’entend, on le lit partout. Pourtant, à bien y réfléchir, on découvre clairement que cette accusation est étrangement montée de toutes pièces. Les acteurs de la terreur psychologique islamiste sont experts dans la manière de manipuler les déclarations de leurs adversaires et d’inventer des mensonges pour exercer leur pouvoir tyrannique. Ce comportement ignoble a causé tant de tort à toute une tradition qui fait de l’islam une source de liberté créatrice, que même les islamophobes les plus acharnés n’auraient pas fait mieux.
Il faut revenir aux sources de cette haine, car elle jouit d’un terreau favorable et d’un outil. Le terreau, c’est le radicalisme obscurantiste, l’outil, le mensonge répété.
Bourguiba était un fervent croyant, défenseur d’un Islam modéré, tolérant, rationnel, dynamique, ancré dans une spiritualité éclairée parlant de tous les temps, universellement. Un Islam exprimant l’humaine condition et qui trouve sa vraie place, ni troué de partout par l’extrémisme, le salafisme et le djihadisme, tous hostiles à la modernité, ni instrumentalisé au profit de l’ordre voulu par les obscurantistes. Il n’a jamais cherché à masquer ses desseins derrière une pseudo-piété, pourtant il aurait tout à gagner à se couler dans les habits d’un héritier de Dieu sur terre. Nous considérons, en effet, que, pour un leader musulman moderniste, reconnaître que la religion musulmane est arrivée à un moment de l’histoire où elle doit à tout prix se refonder pour survivre, ne revient pas à offenser l’islam mais bien à lui donner des moyens nouveaux et lui permettre d’être plus fort dans la société. Bourguiba a toujours reconnu qu’il rêvait d’une société tunisienne respectueuse des libertés individuelles, où la place de la religion et sa présence dans l’espace public se trouvent tout autrement agencées et réglementées. Mais l’islamisme qui parle la langue de la religion et le devoir de la protéger n’est en vérité que marketing visant à continuer de tisser ses toiles sitôt que ses fils se défont, en repoussant toujours plus loin les limites de l’abjection pour s’assurer le pouvoir.
Contrairement aux islamistes, l’amour de la patrie avait donné à Bourguiba une raison supérieure de s’épanouir dans les réformes modernistes et les horizons progressistes, qui ont toujours été ses éléments naturels. Convaincu que son «destin» serait d’harmoniser le comportement religieux dans notre pays pour lui donner une peinture lumineuse, il n’a jamais cédé à la compassion en sacrifiant le minimum de tolérance envers les extrémistes pour sauver le maximum des valeurs de l’Islam.
Son itinéraire politique et intellectuel l’a conduit très tôt à prendre des distances envers tous les «archéos» en privilégiant les démonstrations argumentées et limpides pour restaurer l’humanisme de cette religion et défendre sa source philanthropique. Cela a toujours constitué un grand obstacle devant l’ardent désir des islamistes de voir le pays sombrer dans l’obscurantisme total, ce qui explique leur haine envers l’homme et son œuvre.
Je crois que l’ampleur de cette haine impose à tous les modernistes une réponse de plus vaste envergure aux mensonges des islamistes et leurs idiots utiles. Utopique ? Peut-être. Mais prenons garde que cette haine ne s’abîme un jour en foire d’empoigne désastreuse.