Selon Sophie Bessis Bourguiba maniait parfaitement la plume aussi bien en arabe qu’en français. C’était un polémiste extrêmement doué. Il a commencé à la fin des années 20 dans l’Étendard tunisien. Ensuite, il a créé son propre journal L’action en français et El Amal (le travail) diffusé en langue arabe. C’était un homme qui, au niveau de l’écrit, savait parfaitement argumenter pour défendre ses positions, défendre ses stratégies et pour acculer ses adversaires. Pour ce faire, il n’hésitait devant aucun type de registre: l’ironie ou la violence verbale que Bourguiba n’a jamais répugné à employer.
Pour ce faire, il a toujours eu une attention constante envers les médias. Pour Bourguiba, les médias sont un dispositif de pouvoir extrêmement important. En ce sens, il avait une très grande capacité à utiliser les médias et surtout à créer l’évènement à chacune de ses apparitions audiovisuelles. Il a été en d’autres termes un maitre de son époque dans la création des évènements, notamment lors de son voyage en 1947 aux États-Unis et comment il a créé une rencontre tout à fait artificielle avec le sous-secrétaire américain au département d’État, Dean Acheson, afin de redorer son image. Autrement dit, le soir où il a rencontré cette personnalité américaine, il disposait à ses côtés d’un photographe dont les clichés ont fait le tour des agences de presse et qui ont été publiés par les journaux qui les ont commenté longuement. C’était l’objectif même de Bourguiba qui utilisait la photo comme arme de combat.
Il fut aussi un chef d’orchestre de communication qui savait transformer une défaite politique et militaire en victoire médiatique, notamment lors de la bataille de Bizerte durant l’été 1961.
Devenu chef d’État, il importe de signaler que Bourguiba écoutait souvent la radio. Celle-ci était, toutes proportions gardées, vissée en permanence à son oreille. Il regardait la télévision et intervenait de manière quasi-systématique sur le contenu des émissions et sur leurs formes. Il nommait également lui-même les responsables. Pour lui, ces postes étaient considérés comme des clés stratégiques de pouvoir. En tant que chef d’État ayant la fibre du journalisme, il se préoccupait de forger de son vivant la légende du «Combattant suprême» qui a conduit, entre autres, à l’impression de son image sur les pièces de monnaie qui étaient utilisés quotidiennement par les Tunisiens.
Aussi, les conférences qu’il a données à l’Institut de presse et des sciences de l’information (IPSI) en 1973, pendant quelques mois, étaient transmises à la radio et à la télévision. Lors de ces conférences, Bourguiba a été accusé par ses adversaires de travestir la réalité notamment sur les évènements d’avril 1938. Mahmoud El Materi avait en effet écrit une lettre ouverte en disant que Bourguiba déformait totalement la vérité sur les évènements d’avril 38. Ce qu’il est intéressant de noter, c’est que malgré les critiques formulées c’est la version bourguibienne qui a eu les faveurs de l’Histoire. La prestation communicationnelle de l’IPSI tourne autour de la théâtralisation de tous les évènements de son existence, même les plus anodins et surtout la théâtralisation de l’évènement privé, ce qui est extrêmement important chez Bourguiba. Selon ses propres termes, il disait dans la perspective de forger lui-même sa propre légende que «les génies de la stature de Bourguiba ne courent pas les rues. Il est né d’un miracle de la nature qui ne se multiplie pas souvent au cours des siècles.»
voir aussi:
3ème partie :Bourguiba, l’orateur et le pédagogue
4ème partie: Bourguiba, le chef d’État
5ème partie :Bourguiba, le père de la nation
Mohamed Ali Elhaou