Bourguiba, le père de la nation

Selon Sophie Bessis La rhétorique du «Père de la nation», depuis l’accès de Bourguiba à la tête d’un État fraîchement indépendant, ne manque pas de rappeler, quand une occasion se présente, que les Tunisiens ont besoin d’être guidés, car ils n’ont pas encore acquis le vrai sens  de la communauté qu’ils forment. Livrés à eux-mêmes, les Tunisiens seraient donc à la merci des obscurantistes, des virus, des «mauvais bergers», des «microbes» qui pervertiraient leurs valeurs et leurs formes de vie, si l’on reprend les mots de Bourguiba lui-même. 

En tant que père de la nation et en s’arrogeant les questions religieuses, Bourguiba a tenté, tant bien que mal, de changer la pensée musulmane en lui insérant une bribe de positivisme par ci et un peu de rationalité par là. Ainsi, l’objectif du Père de la nation étaitd’arracher le peuple tunisien aux tentations du fondamentalisme et du retour en arrière. Ainsi, la figure du père de la nation passe par une sorte d’autoritarisme affectionné et éclairé.

Sur le terrain, cette figure a permis à Bourguiba de supprimer les tribunaux religieux et l’unification de la justice, la promulgation du Code de statut personnel et l’unification de la condition des personnes, la libération de la femme, la réforme de l’Université islamique de la Zitouna et l’unification de l’enseignement, la suppression des institutions habous et l’unification du régime foncier. Aussi, la communication bourguibienne récupératrice des «affaires de culte» a donné lieu à des initiatives visant à promouvoir de nouvelles attitudes dites civilisées, pragmatiques, modernes et modérées en matière de pratiques religieuses.

Bourguiba disait en ce sens, «à chaque fois où il était difficile de concilier le temporel au devoir de jeûne, le Prophète Mohamed privilégiait la logique de l’État». Dans cette lignée s’opérait le contrôle des imams des mosquées, la fermeture des mosquées en dehors des heures de prières, l’incitation à renoncer au sacrifice du mouton lors de la célébration de l’Aïd el Kébir, etc.

Dans cette perspective, Jounaidi Abdeljaoued, membre du secrétariat national du parti El Massar, chargé des élections, dans une interview exclusive à Réalités, met l’accent sur le fait qu’il serait plus pratique de s’interroger pour savoir où nous en sommes dans le projet de Bourguiba, quelle est la responsabilité de Bourguiba lui-même dans la situation que nous vivons aujourd’hui ?

Il rajoute que la pensée bourguibienne est à l’heure actuelle éclatée en plusieurs partis politiques. «Nous sommes tous les enfants de Bourguiba, nous sommes tous des  facettes du bourguibisme, mais il y a en même temps un effort de synthèse qu’il faudrait faire» dit-il. Il ne manque pas également de signaler qu’à l’approche des élections les bourguibistes les plus acharnés et les plus enthousiastes font beaucoup de torts à la pensée du leader et risquent de rééditer à nouveau un régime autoritaire.

Pour finir, selon Sophie Bessis, l’absence de critique du personnage de Bourguiba parmi une grande partie des chercheurs et  des intellectuels tunisiens s’explique en partie par la polarisation qui sévit dans le pays après le 14 janvier. En Tunisie, en ce moment, dit-elle, il y a deux projets de société qui se font face : un projet de société à connotation profondément religieuse et réactionnaire qui est le projet islamiste et un projet plutôt moderniste souvent ambigu. Pour pouvoir, dit-elle, porter aujourd’hui ce projet moderniste, la sphère universitaire, intellectuelle et politique à tendance à gommer les aspects négatifs de l’héritage de Bourguiba, car on veut faire gagner cette vision sur l’autre qui est considérée comme rétrograde et néfaste.

Ces deux jours se sont terminés par une visite guidée du Musée Habib Bourguiba, ancien Palais d’été. Bref, Bourguiba demeure bel et bien un mythe porteur.

voir aussi:

1ère partie: En marge du 111e anniversaire de la naissance de bourguiba, déconstruire le récit officiel 

2ème partie :Bourguiba, le journaliste et l’écrivain

3ème partie :Bourguiba, l’orateur et le pédagogue

4ème partie: Bourguiba, le chef d’État

Mohamed Ali Elhaou

 

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