Brouillard et brouillon

Brouillard et brouillon

Les appels au boycott des Législatives du 17 décembre prochain se suivent et se succèdent. Environ vingt partis politiques ont annoncé leur non-participation au scrutin, suivis de représentants de la société civile, tels que la Coalition Soumoud qui a annoncé son « renoncement définitif à toute forme de soutien au processus imposé par le président de la République, d’une manière unilatérale, afin d’instaurer un régime présidentialiste bâtard » et son soutien « à tous les mouvements pacifiques rejetant le retour du dispositif de l’islam politique et contrant le projet politique unilatéral, que le président cherche à imposer aux Tunisiens ». Autant dire que les boycotteurs sont quasiment les mêmes que ceux qui ont fait barrage à la consultation nationale et au référendum sur la constitution mais, cette fois, la vague de refus a pris de l’ampleur et de la voix avec le démarrage du processus électoral et l’éclatement des premiers scandales liés aux achats de parrainages par des candidats, à la falsification de signatures de parrains et à l’implication de maires et de conseillers municipaux dans ces infractions électorales.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, ce sont en effet des maires élus qui donnent l’exemple en termes de malhonnêteté, d’escroquerie, de faux et usage de faux, etc. Et ce n’est pas tout. Des employés de l’ISIE, l’instance chargée d’organiser le processus électoral et veiller à son intégrité, sont également impliqués dans cette affaire immorale. Selon le vice-président de l’Instance, Maher Jedidi, parmi les contrevenants, il y a de nouveaux agents, nouvellement recrutés. C’est ce qu’on appelle « aller vite en besogne ». De quoi désespérer de l’avenir d’une jeunesse, sans doute désespérée elle aussi, qui cherche à s’en sortir par tous les moyens, même illégaux : émigration clandestine, contrebande, terrorisme et qui sait quoi encore ! C’est tout dire des mentalités locales. Autrement dit, aucune loi n’est inviolable. Il est évident que la tricherie est humaine et que rien ne rendra l’humain parfait : ni un président intègre, ni un changement de régime ou de système politique, ni des lois ou des décrets-lois coercitifs. Mais que l’illégal et l’immoral atteignent ce niveau de responsabilité (présidence de municipalité, antennes régionales de l’Isie) et qu’ils s’exercent au grand jour, cela signifie que plus rien n’arrêtera la descente aux enfers, l’impunité qui a régné durant la décennie 2011-2021 ayant eu raison des valeurs humaines et universelles sur lesquelles a été bâtie la Tunisie indépendante. Nous nous gardons bien de mettre tout le monde dans le même panier, celui des corrompus, mais il faut bien croire que la corruption a encore de beaux jours devant elle dans nos murs, et cela, tous les Tunisiens le savent. D’où le ras-le-bol généralisé et le désintérêt quasi total vis-à-vis des prochaines élections, et ce ne sera pas la première fois. Le bloc abstentionniste a grimpé d’environ 60% des électeurs à 75% au fil des scrutins d’après 2011. Embourbés dans les problèmes de pénuries et de flambée des prix, les Tunisiens n’ont pas le cœur aux shows politiques ni aux ambitions démesurées d’un président qui prend ses rêves pour des réalités et un octogénaire qui s’accroche au pouvoir comme à la vie. Devant ce tollé, Kaïs Saïed doit pour la deuxième fois faire marche arrière – après la révision de la Constitution de la Nouvelle République – et rectifier le décret présidentiel n°55. Une déconfiture pour le président qui ne prête pas beaucoup l’oreille à ses compatriotes et à ses administrés, sauf à quelques proches et alliés. Une cerise sur le gâteau pour ses opposants qui scrutent le moindre faux pas de sa part. Décidément, le JORT devient « un cahier de brouillon », commente ironiquement un internaute à l’annonce de l’imminent amendement de la loi électorale publiée le 15 septembre 2022. En l’absence de dialogue national sur les questions qui déterminent l’avenir de la Tunisie, c’est immanquablement un sinistre spectacle qui prend la place et une énième initiative pour ramasser les plumes En l’absence de dialogue national sur les questions qui déterminent l’avenir de la Tunisie, c’est immanquablement un sinistre spectacle qui prend la des politiques. La montée des critiques à près de deux mois des Législatives est en effet un signe précurseur d’une abstention historique le 17 dé cembre prochain et partant de l’échec des Législatives. Une ligne rouge pour les partisans du 25 juillet dont vingt-cinq se sont mobilisés pour lancer une initiative « Pour la victoire du peuple » à l’effet de sauver le scrutin, de soutenir le processus du 25 juillet et de prêter main forte à Kaïs Saïed, en grande difficulté. Jouant sur la même fibre que Kaïs Saïed, celle du droit du peuple de disposer de son avenir, cette formation, qui se dit ouverte à tous, compte parmi ses membres Mbarka Brahmi et Zouhaïr Hamdi du Courant populaire, Mohamed Ali Boughdiri, ancien Secrétaire général adjoint de l’Ugtt et Brahim Bouderbala, ancien bâtonnier des avocats, des soutiens inconditionnels de Kaïs Saïed. Prônant la protection des droits humains et des libertés individuelles et collectives, l’indépendance de la justice, la reddition des comptes et l’égalité entre les citoyens et les régions, Brahmi, Hamdi, Boughdiri et Bouderbala entendent – mais faut-il d’abord qu’ils soient entendus – ainsi lever toutes les incompréhensions et les doutes portant sur le projet politique de Kaïs Saïed accusé de contrôler la justice, de défavoriser la femme et de restreindre les libertés. Les soutiens de Saïed n’ont pas choisi une voie facile, il sera difficile pour eux de convaincre des Tunisiens qui ne croient plus en rien ni en personne, tant qu’ils ne seront pas rassurés directement par Kaïs Saïed lui-même. Or le président ne parle pas à tout le monde et avance contre vents et marées vers son objectif : l’instauration d’un nouveau système politique qui posera la première pierre à l’édifice de la démocratie par la base le 17 décembre prochain. Kaïs Saïed est inexorablement déterminé et confiant, indépendamment de toutes les difficultés que rencontre le gouvernement pour garantir l’approvisionnement du marché national en carburants, en matières premières et en produits de consommation de première nécessité importés. Sauf qu’il y a parmi les soutiens du 25 juillet des personnes mécontentes de Kaïs Saïed qui « n’a pas tenu ses promesses de campagne ». Il s’agit de promesses économiques et sociales et d’engagement à rendre justice aux Tunisiens en faisant juger les dirigeants politiques qui ont ruiné et terrorisé la Tunisie. Pour ces Tunisiens-là, Kaïs Saïed a changé unilatéralement de cap pour ne s’occuper que de la concrétisation de son projet politique. Ce sont-là autant d’électeurs en faveur du 25 juillet que Kaïs Saïed ne verra sans doute pas aux bureaux de vote le 17 décembre prochain. Et ce n’est que le début.

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