BTP : 50% des acteurs rendent le tablier

Le secteur du bâtiment et des travaux publics, l’un des piliers de la croissance en Tunisie et qui fait fonctionner l’appareil économique, peinture, plomberie, génie civil, architecture, électricité, transport et bien d’autres métiers…va mal !

Par Khadija Taboubi

 Les crises successives et parfois simultanées ont gravement compromis la croissance et les performances d’un secteur à grande rentabilité économique. Selon les données de l’Institut national de la statistique (INS), la contribution du secteur du BTP à la création de la richesse nationale et au PIB a dégringolé à 4%, alors qu’elle était de 16% en 2010, de 17% en 2014, de 26% en 2000 et de 33% en 2005 et plusieurs années auparavant. Cette tendance reflète clairement comment une activité à fort potentiel perd ses exploits au fil des années, sans qu’on y accorde la moindre importance pour au moins sauver les emplois qu’elle génère.
La valeur ajoutée de ce secteur a chuté de 2.800 MDT à seulement 800 MDT en 2020, entraînant ainsi une perte historique d’emplois et d’entreprises.

Disparition à hauteur de 50% des acteurs du secteur
Selon les chiffres actualisés, depuis l’année 2023 jusqu’au début de l’année 2024, de 40 à 50% des acteurs du secteur des BTP auraient disparu, soit en quittant la Tunisie vers d’autres pays essentiellement africains, soit en déclarant la cessation d’activités à la suite de problèmes financiers. Des chiffres qui paraissent très inquiétants. Mais, en tous cas, c’est ce que nous a confié le membre du bureau exécutif de la Fédération nationale des entreprises de BTP, Majdi Boudokhane.
Le nombre d’agréments délivrés par l’administration tunisienne et habilitant les entreprises de bâtiments et de travaux publics a chuté de moitié dans un contexte économique international et national fortement marqué par un déclin alarmant de la productivité de ce secteur.
Si nous revenons un peu plus loin dans l’histoire, la crise du secteur du BTP s’est accélérée en 2018 suite à l’entassement des dettes auprès de l’Etat et l’incapacité de ce dernier à rembourser les entrepreneurs des travaux publics, ces dettes ayant atteint, à cette date, les 800 millions de dinars, ce qui a entraîné de nombreux problèmes dans le secteur et avait mis en difficulté financière la plupart des entrepreneurs qui se sont retrouvés avec des démêlés avec la justice en raison de chèques sans provision. Et pas que. En 2019, lorsque l’Etat tunisien a décidé de commencer le remboursement de ses dus envers les entrepreneurs, une autre crise tombe du ciel! Celle de la pandémie de Covid-19. Cette dernière a touché 70% des entreprises, tous secteurs confondus, entravant ainsi la réalisation de nombreux projets.
En 2021, le nombre de projets publics bloqués dans le secteur du bâtiment et des travaux publics s’est élevé à 4 mille projets.

Difficultés d’approvisionnement en matières premières
Et on ne s’est pas arrêté là ! Les mauvaises nouvelles ne cessent encore de s’entasser. En 2022, c’est le conflit entre la Russie et l’Ukraine, très souvent considéré comme l’une des plus graves violations de l’ordre de sécurité européen depuis des décennies, d’où l’accélération de la pénurie des matières premières aussi bien à l’échelle nationale qu’internationale. Cette crise a engendré un gros problème d’approvisionnement en matières premières. Il s’est affiché d’ailleurs comme étant l’un des principaux obstacles rencontrés par les entreprises manufacturières en Tunisie, selon une enquête de l’INS sur la situation et les perspectives de ces entreprises en 2022.
En France, une enquête du Conseil national de l’Ordre des architectes publiée en novembre 2021 a révélé que la moitié des chantiers ont subi des retards provoqués par le manque d’approvisionnement en matériaux, avec des dépassements de délais entre 10% et 30% du délai initial. La Confédération des artisans et des petites entreprises du bâtiment, a également confirmé qu’en septembre 2022, les stocks de matériaux n’étaient toujours pas au rendez-vous et les prix continuaient d’augmenter, avec une hausse moyenne de 26% depuis janvier 2022.

 Une crise de liquidités sans précédent
Sous l’effet de cette crise financière internationale, le secteur du BTP tunisien n’est en aucun cas à l’abri et a subi, de plein fouet, l’accroissement des dépenses du bâtiment et des travaux publics émanant, d’une part, de la révision à la hausse des prix des matières premières et, d’autre part, de la pénurie dans la mesure où une bonne partie des matières premières est importée. A l’échelle internationale, les tarifs des matières premières dans le BTP ont fortement augmenté et ont été majorés de 50% pour l’acier, de 30% pour le cuivre, de 25% pour le bois et de 10% pour les résines de peinture.
Cette situation a engendré une crise de liquidités sans précédent et parfois des crises de solvabilité, renforçant les difficultés entourant les demandes de crédit des sociétés du bâtiment. Suite à cela, les banques avaient classé le secteur du BTP comme un secteur où la probabilité de survenue d’un sinistre est plus élevée qu’ailleurs.
D’un côté, il y a les banques qui ont déserté le financement des entreprises du BTP et de l’autre, il y a les fournisseurs qui ne peuvent plus répondre aux besoins des acteurs du marché et délivrer des marchandises avec des termes de paiement à échéance et même l’administration tunisienne, elle, est restée avec les mêmes délais de paiement, soit entre 60 et 90 jours.

 Le nombre d’entreprises ayant l’agrément a chuté de 50%
Cette situation a entraîné l’effondrement du secteur qui s’est retrouvé avec beaucoup d’impayés ayant poussé plusieurs entrepreneurs à fuir le pays ou à déposer carrément le bilan. Selon les chiffres actualisés, une vingtaine d’entrepreneurs ont déjà fui le pays, une autre dizaine s’est déclarée en difficultés financières et une autre bonne partie a mis la clé sous la porte. Le nombre total des entreprises qui opèrent sur le marché et ayant l’agrément du ministère a chuté de moitié, passant de 2000 à 1000 entrepreneurs seulement.
De même, le nombre des appels d’offres a fortement chuté. Aucune société ne répond aux appels d’offres, notamment dans les régions, à cause des difficultés financières énormes et dans la plupart des cas parce qu’elles n’arrivent pas à trouver des garanties bancaires. Ces difficultés touchent à la fois les petites et les grandes entreprises sans exception, surtout celles installées dans les régions de l’intérieur comme Gafsa, Tataouine, Siliana, Kasserine et Sidi Bouzid. Dans la majorité des cas, l’appel d’offres est relancé quatre ou cinq fois.
L’arrivée d’entreprises étrangères est un nouveau phénomène qui s’est imposé en Tunisie et qui est en train de concurrencer l’entreprise locale. Ce type d’entreprises est sollicité pour exécuter des projets en sous-traitance. La part de marché de ces entreprises étrangères dans le secteur du BTP tunisien a atteint 33% en 2018, alors qu’elle ne dépassait guère 8% avant 2010, ce qui réduit les chances des entreprises tunisiennes à remporter des marchés de reconstruction dans des pays étrangers, notamment en Libye vu que nos entreprises se trouvent affaiblies et n’ont plus les références adéquates.

Le chèque n’aura plus d’importance
Le secteur du BTP a été également affaibli par le taux d’intérêt auquel les banques commerciales prêtent à leur tour à leurs clients. La Banque centrale de Tunisie (BCT) maintient déjà depuis l’année 2023, un taux d’intérêt très élevé, fixé à 8%. Du coup, les entreprises deviennent plus réticentes à recourir au crédit car un taux d’intérêt élevé renchérit le coût du crédit bancaire de façon significative et le coût du crédit devient à cet effet le principal obstacle à l’investissement, tous secteurs confondus.
Il convient à ce propos de souligner que des négociations sont en cours entre la Fédération nationale des entrepreneurs du BTP, le ministère de l’Equipement et le gouvernement tunisien pour réduire le taux directeur appliqué par les banques sur le secteur du BTP, mais aucune décision n’a été prise dans ce sens.
Par rapport à la nouvelle loi sur les chèques sans provision qui vient d’être adoptée par le Parlement et publiée au JORT, les entrepreneurs du secteur du BTP trouvent qu’elle réduira certes les difficultés des acteurs du secteur qui ont des chèques impayés mais en contrepartie, elle va compliquer encore plus la situation, dans la mesure où le chèque ne sera plus une solution et n’aura plus d’importance.
Depuis déjà la publication de ce nouveau règlement au JORT, les gens n’utilisent plus le chèque comme moyen de paiement, d’autant plus qu’il n’est plus accepté par tous les acteurs, comme auparavant.

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