Budget de croissance: Comprendre le sens d’un conseil

Pie chart on a stock chart with a budget

 

La Directrice générale du Fonds monétaire international n’a pas manqué, lors de sa dernière visite en Tunisie, de conseiller le gouvernement dans sa conduite de politique économique. Il est question, au premier abord, d’orienter le prochain budget vers la croissance, afin de sortir de la récession et renouer avec l’expansion économique. Techniquement parlant, ce conseil paraît tout à fait conforme aux « lois » économiques devant, logiquement, autoriser la mise en œuvre des politiques expansionnistes, afin de contrer la situation agonisante de l’économie nationale.
Cependant, la haute responsable du Fonds n’a pas, pourtant, indiqué la vitesse et l’ampleur de l’ajustement budgétaire (processus de resserrement ou d’assouplissement de l’orientation budgétaire) à suivre pour faire repartir la croissance. Elle a, seulement, suggéré une reconfiguration de la structure du budget de l’Etat dans le sens d’augmenter les dépenses de développement, de réduire la masse salariale et de mettre en place un système fiscal plus équitable. Mais est-ce que cette ossature budgétaire est réaliste et réalisable sur le court terme ?

Stabilisation macro ou croissance : quelle primauté ?
L’ajustement budgétaire s’oriente depuis 2014 beaucoup plus vers la stabilité macroéconomique qu’à la croissance. Ce choix est dicté par le fort déséquilibre des positions intérieure et extérieure de l’économie, lequel exige, en premier lieu, la reconstruction de l’espace budgétaire, qui favorisera, ensuite, une croissance soutenue et un recul de la pauvreté. En effet, la politique budgétaire ne peut disposer d’une marge de manœuvre accrue pour atteindre les objectifs de croissance et de développement qu’à condition que la dette publique soit viable et qu’il ne soit pas nécessaire de stabiliser la situation macroéconomique, ce qui n’est pas le cas de l’économie tunisienne avec, notamment, un taux d’endettement public prévu à près de 52% du PIB en 2015. L’assainissement des finances publiques doit prendre encore plus de temps, ce qui ne priorise pas la croissance. D’ailleurs, la réduction du déficit budgétaire, ramené de 6,8 % du PIB en 2013 à 4,8% en 2015, s’est faite sans un changement de structure du budget; les dépenses d’investissement accaparent toujours une part modérée, alors que les rémunérations publiques et les dépenses de subvention demeurent élevées. Par surcroît, la nature des chocs (chocs d’offre) auxquels est confrontée l’économie exige d’ordinaire une réponse budgétaire neutre ou pro-cyclique, du fait que l’économie doit s’adapter à une moindre production potentille.

Restructuration du budget : quelles contraintes ?
La qualité et la viabilité budgétaire appellent une structure équilibrée du budget. Les caractéristiques recommandées à des finances publiques servant comme instrument de stabilité et de croissance relèvent, essentiellement, de la rationalisation des dépenses de gestion, du renforcement des dépenses d’investissement public et de l’amélioration du système fiscal.
La maîtrise de la masse salariale pour libérer davantage de ressources aux dépenses de développement, ne s’avère pas une hypothèse trop fondée du prochain exercice budgétaire du moins, pour la simple raison que l’accord sur les augmentations salariales dans le secteur public, pour l’année 2015, vient d’être conclu et entrera en vigueur à partir de Janvier 2016, avec un impact financier estimé à 1,5 milliard de dinars et ce, sans compter l’effet des majorations éventuelles au titre de l’année 2016. Ces pressions déboucheraient sur une décote des crédits budgétaires qui seront alloués à l’investissement. Faut-il rappeler, à cet égard, que la loi de Finances complémentaire pour l’exercice 2014 a revu l’enveloppe consacrée aux dépenses d’équipement à 5260 millions de dinars contre 5800 MD inscrites initialement en relation, notamment, avec la faiblesse relative du rythme de consommation des crédits et les difficultés de bouclage du budget. Ne faut-il pas oublier, par ailleurs, les contraintes que créera la concentration imminente d’échéances de la dette. La réforme de la fiscalité aura à consolider structurellement le rendement de l’appareil fiscal, mais ne pourrait, sur un horizon temporel court, produire des effets significatifs, en raison du rétrécissement de l’assiette fiscale, en relation avec une activité chancelante, dont le retour à la normale risquerait de lambiner.

Mesures budgétaires : quels avantages et inconvénients ?
Les mesures de politique budgétaire ont autant d’avantages que d’inconvénients. Les choix budgétaires ne sont pas aussi mécaniques, il s’agit bel et bien d’un dosage pointilleux, prenant en considération le contexte et les spécificités propres de chaque mesure.
Côté ressources, une baisse d’impôts ciblés et forfaitaires, ainsi que la hausse temporaire des crédits d’impôt sur le revenu ont l’avantage de cibler les ménages à faibles revenus ou ménages contraints financièrement d’être rapidement mis en œuvre, mais deviennent inefficaces en cas de préférence à l’épargne pour motif de précaution ou de désendettement. Une baisse temporaire des taxes à la consommation, TVA par exemple, aurait pour effet de hausser le pouvoir d’achat des ménages, encourager la consommation, mais présente l’inconvénient d’être moins bien ciblée que d’autres mesures fiscales, de ne pas pouvoir se transmettre aux prix à la consommation et d’être insuffisante pour stimuler la consommation en situation de perte de confiance.
Côté dépenses, des paiements de transferts ciblés ou hausse des aides monétaires ou en nature vers les ménages à bas revenu, soutiennent la consommation de la population nécessiteuse, ayant une propension marginale à consommer plus élevée, et sont rapides à mettre en œuvre si registre existe, mais ont le désavantage de produire des effets indésirables sur le marché du travail (baisse de l’incitation au travail) et d’être perçus comme mesures durables, donc difficilement réversibles. Quant aux dépenses d’investissements, elles ont de forts effets à court terme sur la demande et à long terme sur l’offre, mais sont longs à réaliser, compte tenu des contraintes institutionnelles (procédures des marchés publics, capacités locales, moyens financiers etc.)
Dans les périodes fastes comme dans l’adversité, l’ajustement budgétaire est une question délicate. La « vulnérabilité » macroéconomique et budgétaire du pays appelle, indubitablement, des efforts supplémentaires de stabilisation qui s’opposent aux impératifs de la croissance. La recommandation de reconfigurer la structure budgétaire ne pourra avoir lieu dans un horizon proche. Dans le présent contexte, les propos du FMI sur le budget de croissance ne semblent pas imparables. Le conseil de madame Lagarde aidera, certes, à structurer l’approche de réforme du système des finances publiques, dont les effets se feront, plutôt, sentir sur le moyen terme. Comme le dit Montesquieu, « il n’y a pas de lois qui soient mauvaises ou bonnes, il n’y a que des lois qui sont bonnes ou mauvaises dans leur contexte ». C’est vrai aussi pour l’ajustement budgétaire.

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