Budget économique : Un document dépassé

Habituellement, l’orientation de la politique économique est dictée par les notes d’orientation décennales auxquelles se greffent les plans quinquennaux et le budget économique annuel. Ce dernier constitue la charpente du budget de l’Etat et donc de la loi de Finances. Il doit également traduire les objectifs annuels du gouvernement, en réponse à des défis bien identifiés.

 Malheureusement, ce processus fait aujourd’hui défaut. En effet, le plan de développement (2016-2019) n’a été adopté qu’en 2017 et ne semble pas susciter encore l’attention des autorités. Quant au budget économique, censé alimenter et orienter la loi de Finances, il est souvent préparé après ou au mieux, en même temps que cette loi. Les pouvoirs publics n’ont d’autres choix que de naviguer à vue. Ceci a comme conséquence une improvisation en matière de politique économique. Le budget économique mérite une révision fondamentale autant au niveau de la forme, de la méthode que du fond. Il est inacceptable que la politique économique du gouvernement soit dictée par la Direction des prévisions au ministère du Développement, de l’investissement et de la coopération internationale (MDCI). Le budget économique est avant tout un document de synthèse des principaux défis qui guettent l’économie nationale et des orientations claires.
Il faut souligner que la structure de ce document n’a pas changé depuis des années avec un caractère narratif d’une autre époque. On retrouve quasiment les mêmes chapitres, les mêmes tableaux, bien que la Révolution soit venue démystifier certaines vérités et des supposés acquis. Quoi qu’il en soit, le budget économique fait depuis quelques années l’objet de vives critiques. La principale a trait au fait de présenter un document classique, bien que la période que traverse notre économie soit loin d’être ordinaire. L’absence de choix des vraies priorités fait de ce document une occasion manquée pour la reconquête des défis de la Révolution. Aucune grande réorientation n’est franchement affichée et demeure dans la continuité des années avant la Révolution. Les prévisions avancées dans le document n’ont rien à voir avec la réalité économique du pays. D’ailleurs, les prévisions de croissance sont à chaque fois révisées à la baisse avec des niveaux allant de 1 à 2 points de croissance. En 2019, le taux de croissance prévu est de seulement 1.4% alors que le budget économique a prévu 3.1%, soit une révision à la baisse de plus de la moitié.
Pour 2020, le budget économique prévoit une croissance de 2,7%, soit environ le double de 2019, alors que les moteurs de la croissance sont quasiment à l’arrêt. Le document souligne par ailleurs une bonne reprise de l’investissement en 2018 sans donner la moindre information sur la nature des investissements programmés. Le document indique aussi une reprise extraordinaire des exportations sans encore une fois renseigner, ni sur les marchés ni sur les produits. Sans trop s’attarder sur les chiffres avancés, un tel document qui présente de nombreuses incohérences ne peut en aucun cas être pris au sérieux. C’est sans doute pourquoi il ne soulève l’enthousiasme de personne et reçoit les critiques de beaucoup d’autres. Le nouveau ministre du MDCI aura la lourde tâche de revoir ce document et d’éviter de faire les mêmes erreurs. Il y va de la crédibilité du ministère.
Partant, on se retrouve devant un document de budget économique classique d’un temps révolu. Les priorités soulignées n’ont rien de bien surprenant. Les objectifs prédéfinis restent conditionnés par la réalisation d’un taux de croissance de 2.7%, ce qui correspond à une hypothèse optimiste qui apparaît aujourd’hui ambitieuse. Pis encore, si la croissance ne repart pas (scénario très probable), tous les objectifs deviennent incompatibles et le gouvernement va tôt ou tard devoir faire le choix entre les promesses d’hier et les réalités d’aujourd’hui. Il n’est pas impossible que demain, l’équation devienne encore plus complexe.

17 lois de Finances en 9 ans (2011-2019) et un peu plus de 900 mesures fiscales
Face à l’absence d’un document solide du budget économique, la loi de Finances est souvent préparée hors cadre économique précis. Sans aucune orientation, les documents de loi de Finances sont devenus des tassements de mesures parfois contradictoires et très souvent inapplicables. L’exercice budgétaire s’est rapidement réduit à une simple recherche d’équilibre entre ressources et emplois indépendamment du contexte économique et social. Malheureusement, la gestion budgétaire et donc fiscale s’est réduite au simple jeu d’épicier, à savoir augmenter les prix dès qu’il y a un manque de recettes sans se soucier s’il va y avoir autant de clients ou pas.
Ce type de phénomène est déjà vu avec la contribution exceptionnelle de 7,5% de l’impôt, les contributions pour financement de la sécurité sociale, etc. Des mesurettes qui ont alourdi la charge fiscale, aussi bien sur le capital que le travail. Il est ainsi moins sûr que les recettes fiscales augmentent comme estimé, car toute hausse d’impôt pousse les contribuables à la fraude dès lors qu’elle n’est pas répercutée sur les prix de vente. Alors que notre croissance est souvent tirée par la consommation, la hausse des taux d’intérêt et les mesures fiscales proposées dans le projet de loi de Finances de 2020, freineront encore la consommation. De telles mesures antisociales auront un impact majeur sur la stabilité du pays. Malheureusement, le ministère des Finances ne prend jamais en compte ces dimensions lors de la préparation de la loi de Finances.
Les parlementaires pourront encore rectifier le tir et limiter les dégâts en demandant aux institutions de recherches publiques de mener des exercices de simulation et de mesures d’impact économique des différentes mesures fiscales proposées. Les parlementaires sont avant tout les élus du peuple et doivent être à la hauteur de cette lourde responsabilité, d’autant que le régime politique en place les a mis au centre des décisions. Le changement du régime politique exige un changement au niveau des institutions, et les débats parlementaires concernant le projet de loi de Finances sont une chance pour entamer ce changement.

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