Raté le rendez-vous du 14 janvier 2023 pour ceux parmi les opposants politiques qui avaient assuré les jours précédents, tambour battant dans les médias, que le douzième anniversaire de la révolution sera la fin de règne de Kaïs Saïed. Néjib Chebbi, Hamma Hammami, Ghazi Chaouachi et d’autres figures du Courant démocrate avaient repris confiance en leurs capacités de faire bouger la rue contre Kaïs Saïed et de « lui faire subir le même sort que Ben Ali ». Pas pour cette fois Hamma.
En promettant le retour de la démocratie et des libertés, ils oublient que la majorité des Tunisiens ne garde pas un bon souvenir de la démocratie de façade qui leur a été imposée par les dirigeants politiques de la décennie 2011-2021. C’est une opposition éclatée, se regardant en chiens de faïence ou se sabordant mutuellement, qui a l’ambition de détrôner Kaïs Saïed, l’imperturbable ? C’est une élite démocratique, au discours déconnecté des problèmes vitaux et quotidiens des citoyens et dont chaque membre se voit président de la République, qui croit pouvoir convaincre les Tunisiens de « la » préférer à un président « en guerre contre la corruption », une de ses promesses de campagne ?
C’est un peuple opprimé, arnaqué, snobé, affamé et en colère, qui renversera la table de n’importe quel souverain, quelles que soient sa force et son autorité. C’était le cas en 2010. Ce sera peut-être le cas dans un futur plus ou moins proche. Ce n’est que partie remise.
La Tunisie n’est pas à l’abri d’un autre soulèvement populaire spontané. Les ingrédients sont là : persistance et aggravation de la crise économique, paupérisation de la société tunisienne et bilan contesté du président.
Kaïs Saïed ne peut pas s’en déresponsabiliser, même s’il a hérité d’un pays surendetté et gangrené par la corruption. Les Tunisiens attendent des solutions efficaces et urgentes à leurs problèmes et surtout la reddition des comptes avec les dirigeants de la décennie noire. Si une majorité de Tunisiens prennent encore leur mal en patience et refusent de céder aux chants des sirènes qui chantent aux sons des pénuries et de la flambée des prix, c’est parce qu’ils croient dur comme fer que seul Kaïs Saïed est capable de traîner les responsables de la décennie noire devant la justice. Mais à quel prix ?
Un président dont on ne compte plus les maladresses diplomatiques, les incohérences des décisions par rapport à celles de son gouvernement, les dérapages en direction des instances internationales. Le président de tous les Tunisiens se tient à l’écart de tous et ignore les mains tendues et les appels au rapprochement avec les élites pour sauver le pays, il suscite les animosités avec un discours discriminatoire et violent, multiplie ses adversaires et souffle sur la vague des contestations politiques et sociales. Que faut-il espérer ?
A minima, qu’il daigne examiner les diverses initiatives de sortie de crise qui lui seront proposées par leurs instigateurs. Il y en a dont il ne recevra pas de copie, c’est celle du Front du salut qui ne voit pas de salut avec Kaïs Saïed. Celle du Quartet Ugtt, Ordre des avocats, Ligue des droits de l’homme et FTDES, quant à elle, mérite que tout l’intérêt lui soit accordé par le président. Elle vise l’élaboration d’une stratégie mûrement réfléchie et conçue par des experts de divers horizons et des personnalités nationales. Le but étant d’élaborer des feuilles de route portant des solutions politiques, constitutionnelles, économiques et sociales.
Le président d’Afak Tounes et ancien ministre des Finances, Fadhel Abdelkéfi, mérite aussi plus d’attention et d’écoute. Pour lui, la grave crise économique qui secoue la Tunisie est maîtrisable si l’on prend à temps les décisions nécessaires, qu’il aurait déjà identifiées.
Kaïs Saïed, lui, est convaincu que les verrous qui bloquent la relance de l’économie sont la corruption, la spéculation, le monopole et la trahison. Son cheval de bataille. Il n’aurait pas tort, nul ne peut prétendre que la Tunisie est indemne de ces tares socio-économiques mais elles ne sont pas, bien sûr, les seules à empoisonner la vie des Tunisiens. Le déficit budgétaire chronique de l’Etat grippe la machine économique, entraîne des pénuries au niveau des produis de première nécessité et des carburants importés et provoque des dysfonctionnements graves dans des filières vitales comme celle du lait et dans des secteurs comme celui de l’agriculture.
Il est désormais clair que le programme de Kaïs Saïed est prioritairement politique. Après la consultation électronique, le référendum sur la Constitution, la nouvelle loi électorale, le premier et le second tour des Législatives anticipées et l’installation du nouveau parlement, ce sera au tour de la Cour constitutionnelle. Il est certain que ses membres seront choisis également par le président Kaïs Saïed sans consultations avec les élites concernées du pays. Quant à l’élection du parlement des régions et des districts, il est permis de douter qu’elle puisse avoir lieu d’ici à 2024 sachant que les caisses de l’Etat sont vides et que les financements étrangers tardent à venir. Quant au prêt FMI, il n’est pas près d’être accordé, la bataille des réformes économiques et sociales entre l’Ugtt et le gouvernement n’a même pas commencé et selon Noureddine Taboubi, elle promet d’être féroce. Le Secrétaire général de l’Ugtt promet une bataille syndicale nationale dans les prochains jours, dans le cas où son initiative et celle de l’ONA, de la LTDH et du FTDES seraient ignorées. Il faut donc se préparer à des jours et peut-être aussi à des nuits mouvementés et très agités, à des grèves sectorielles illimitées, peut-être aussi à une grève générale…Toujours plus de tensions et d’instabilité au moment où toutes les instances internationales parlent d’une année 2023 très difficile à cause de la guerre en Ukraine, d’une récession économique mondiale et de son fort impact sur les pays en voie de développement. Que dire alors de son impact sur les pays déjà en difficulté, qui titubent les yeux fermés comme la Tunisie ?