Dans notre démocratie en construction, les modes d’expression connaissent une dérive fâcheuse et des confusions souvent malencontreuses. La liberté d’expression ouvre la porte à toutes sortes de diffamations gratuites, l’expression de colère dégénère vite en actes de saccage et de destruction de biens publics, le débat public est rarement serein, les leaders politiques le transforment en appels à la sédition et à la désunion. Sur un autre registre, quand on veut réclamer un droit, on ne dialogue pas, on bloque la production, on stigmatise les chefs d’entreprise et on verse dans des polémiques stériles. Enfin, quand le gouvernement veut entreprendre des réformes, on se mobilise pour ne pas les faire aboutir. Même si le monde est conscient que le pays traverse une grave crise qui nécessite des choix douloureux, un partage de sacrifices, on préfère souvent tourner cette réalité en dérision en refusant de répondre à l’appel.
Pour ne prendre que le cas de la réforme des caisses de sécurité sociale, dont le déficit est devenu abyssal faisant courir à tout le système un risque réel d’effondrement, le discours développé par la centrale syndicale notamment, est d’un autre âge. On a l’impression qu’on vit encore en pleine guerre froide et que le mur de Berlin n’est pas encore tombé. L’erreur, on l’impute à l’autre, les syndicats s’obstinent à jouer les innocents comme s’ils n’assumaient aucune responsabilité dans le chaos que vit le pays.
Le mot privatisation des entreprises publiques, par exemple, résonne chez certains comme une trahison, voire même un dérapage vers un capitalisme pur et dur, comme si aujourd’hui il était loisible de restaurer le monopole de l’Etat dans tous les domaines.
Pour l’UGTT, « c’est une ligne rouge à ne pas franchir ». Ce que l’UGTT omet de mentionner, c’est que la majorité des entreprises publiques sont en train de crouler sous une gestion calamiteuse, une baisse continue de la production, une érosion de la productivité, un sureffectif paralysant et des revendications suicidaires. Ne pas privatiser par exemple des entreprises travaillant dans des secteurs concurrentiels, équivaut à vouloir maintenir, vaille que vaille, le statu quo, refuser le changement et condamner ces entreprises à émarger indéfiniment sur le budget de l’Etat.
Dans cette épreuve de force que l’UGTT ne cesse de vouloir jouer depuis 2011, il n’y a pas que ce dossier. Cette prestigieuse organisation, consciente de toute sa puissance, fait montre d’une agressivité débordante vis-à-vis de l’UTICA, pourtant son partenaire naturel. Jeter l’anathème sur la centrale patronale et la pointer du doigt est une autre manœuvre que l’UGTT entend jouer à fond pour sommer la première à accepter des augmentations salariales pour l’année 2018 et la mettre devant le fait accompli. Ce qui étonne dans tout cela, c’est la duplicité du discours de la centrale ouvrière qui reconnait l’extrême difficulté de la situation que vit le pays tout en remuant le couteau dans la plaie. Est-il logique dans le contexte actuel de chercher à saigner davantage les entreprises pour les condamner à la disparition ? Bien plus, que peut donner une entreprise dont la production périclite, la compétitivité baisse et son chiffre d’affaires chute ?
A ce niveau, l’on peut s’interroger sur les raisons qui ont fait perdre au dialogue et à la concertation leur sens chez nos organisations, qui usent et abusent du bras de fer. A quoi bon réclamer à cor et à cri, des années durant, la mise en place du Conseil national du dialogue social, pour laisser enfin cette structure une coquille vide, un cadre ignoré et méprisé ?
Pourtant, l’objectif primordial du Conseil national du Dialogue social, dont la loi a été adoptée en juin dernier, est l’organisation et la conduite du dialogue social, l’émission d’avis sur les projets de textes juridiques rattachés au domaine des relations professionnelles, la protection sociale et la formation professionnelle et tout ce qui touche de près ou de loin le monde du travail.
L’on a espéré, peut-être à tort, que ce nouvel organisme pourrait servir de levier pour faciliter le consensus sur les grandes réformes dans le domaine social qui semblent s’imposer dans le difficile contexte actuel, en vain.
Aujourd’hui, on est loin du compte. L’UGTT entend continuer à jouer le cavalier seul, à agir en tant que force incontournable, à avoir un avis prépondérant et à utiliser sans aucune retenue le bras de fer pour imposer ses vues et ses exigences, quitte à ce que le pays tombe en ruine.
Ce qui étonne, c’est que tout en étant signataire de l’accord de Carthage, l’UGTT maintient une pression insoutenable sur le gouvernement et agit rarement dans le bon sens pour apaiser les tensions sociales. Son discours n’a pas changé, ses pratiques également.
Dans tous les cas de figure, la politique du bras de fer qu’elle a testée depuis 2011, a prouvé son inefficience, provoquant souvent l’effet contraire de celui souhaité. Les gains obtenus sont factices et fragiles. Ils ont été acquis au détriment de l’entreprise, qui est la source de création de toute richesse, du mérite qui est sacrifié et de l’emploi qu’on crée de moins en moins.
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