L’affaire du viol de la petite fille de 3 ans a révélé les grands problèmes dont souffre le secteur des jardins d’enfants. Des problèmes chroniques qui datent de l’ancien régime et qui doivent aujourd’hui être résolus si l’on désire préserver l’enfance tunisienne.
À l’initiative de la Chambre syndicale nationale pour les jardins d’enfants et les crèches (UTICA), une conférence nationale a été organisée le 30 mai 2013 sur le thème «le secteur de l’enfance : la réalité et les perspectives.»
Réunissant les représentants de tous les bureaux régionaux, cette rencontre a été une occasion de dresser un véritable état des lieux, alarmant, dans un domaine des plus précaires en Tunisie. En effet, depuis la privatisation des jardins d’enfants au début des années 2000 et le remplacement de l’autorisation préalable pour ouvrir de tels espaces par un cahier des charges, la porte a été ouverte à de multiples dépassements qui ont augmenté après la Révolution.
Le plus grand problème qui menace le secteur est la prolifération de jardins d’enfants illégaux.
Officiellement, il existe en Tunisie 3840 jardins d’enfants légaux (qui encadrent 166.000 enfants) alors que le nombre de ceux qui sont hors la loi a été fixé par le ministère de la Femme à 350. Un chiffre estimé sous-évalué par les directrices des jardins d’enfants, présentes durant la conférence. Ces dernières ont mis le doigt sur l’absence de contrôle régulier de ces structures et la volonté d’en réduire le nombre. «À Béjà, onze jardins d’enfants illégaux devaient être fermés, mais la décision n’a pas été exécutée jusque-là. Quand nous sommes allées nous plaindre auprès des autorités, on nous a répondu qu’il fallait préserver des emplois», se lamente Azza Hamadgi, directrice d’un jardin d’enfants.
Saida Haggui, présidente de la Chambre régionale du gouvernorat de Sousse, a insisté sur la concurrence déloyale des jardins d’enfants coraniques qui ouvrent sans s’engager à appliquer le cahier des charges élaboré par le ministère de la Femme, refusant ainsi le contrôle des espaces réservés et du contenu pédagogique qu’ils prodiguent. Par ailleurs, ces structures ne paient pas d’impôts, ni de couverture sociale à leurs employés. «Tandis que nous devons payer des charges, ces jardins, eux, reçoivent des dons !», s’indigne-t-elle en poursuivant : «C’est pour cela que nous exigeons leur fermeture !».
Et ce n’est pas la seule concurrence déloyale qui guette le secteur, car depuis 2001 la création des kottabs (école coranique traditionnelle) ne cesse de le fragiliser. Selon Ramzi Salmi, chargé des kottabs au sein du ministère des Affaires religieuses, il en existe actuellement 1300 qui accueillent 31.000 enfants (sans compter les kottabs illégaux qui ne sont pas soumis au contrôle de l’État). Ces espaces ne paient pas non plus d’impôts et bénéficient d’une subvention de la part du ministère.
Le préscolaire : gestion multiple et dispersion des efforts
À ces deux types de structures consacrées au préscolaire, il faudra ajouter les classes préparatoires qui assurent l’éducation des enfants de 5 à 6 ans. Ces classes sont gérées par le ministère de l’Éducation et existent dans 2100 écoles, prodiguant un enseignement à 40.000 enfants. Auparavant tout le préscolaire, de 2 ans à 6 ans, était assuré par les jardins d’enfants.
«Nous ne comprenons pas pourquoi les affaires de l’enfant se trouvent gérées par plusieurs ministères alors que la Tunisie est un petit pays. Et en plus sans coordination.», s’interroge la présidente de la Chambre régionale du gouvernorat de Nabeul.
Cette dispersion ne sert aucunement les intérêts de l’enfance et participe à la fragilisation du secteur des jardins d’enfants. C’est ce qui a poussé Moez Chérif, Président de l’Association tunisienne des droits de l’enfant, à demander à ce que l’État investisse davantage dans le renforcement des jardins d’enfants pour qu’ils puissent jouer leur rôle dans l’encadrement de la prime enfance.
De leur côté, les participantes à la conférence ont insisté sur la nécessité de fixer une tarification unique pour ces structures et de rétablir le système d’autorisation (au lieu du cahier des charges) et en outre de veiller à la fermeture des jardins d’enfants illégaux.
Fethi Ben Aissa, représentant du ministère de la Femme, a quant à lui déclaré que son ministère est en train de prendre les dispositions nécessaires pour réglementer le secteur. Un projet de loi pour rétablir l’autorisation a été déjà élaboré et envoyé à l’ANC, en plus de l’augmentation du nombre des inspecteurs de l’enfance (qui passera à 30 à la fin de 2013) et de celui des conseillers pédagogiques (il passera de 100 à 300). Il a aussi annoncé qu’il y a actuellement une large campagne de contrôle de tous les jardins d’enfants et la fermeture de ceux qui ne respectent pas la loi.
Hanène Zbiss