Dans une grande cérémonie officielle, l’empereur romain, Caligula, fils de Germanicus et par adoption petit-fils de Tibère, se mit tout d’un coup à rire à «gorge déployée» (selon la très ancienne formule). Ses hôtes lui demandèrent respectueusement ce qui lui inspirait ce mouvement subit de gaieté :«Je pensais, répondit-il, que d’un clin d’œil, je puis vous faire égorger l’un et l’autre»! C’était en 41 que la justice attendait ce tyran sanguinaire impie. Il fut massacré et sa mort délivra la terre d’un monstre qu’elle ne portait qu’à regret.
À chaque époque ses fous sanguinaires. À chaque époque ses partisans de l’horreur. À chaque époque donc, l’événement qui produit un effet de cisaille sur les consciences du temps, parce qu’il annonce l’abjection et l’hypocrisie humaines qui viennent nous rappeler le télescopage des temps et des lieux et les points de cristallisation historique, à partir desquels tout s’articule et surtout la comparaison. On ne peut pas, donc, s’empêcher de mettre en parallèle les propos de Caligula avec le discours du criminel de guerre Netanyahu au congrès américain. C’est la plus avilissante scène de haine conçue par une institution «démocratique». Dans ce discours qui sent le sang des enfants palestiniens massacrés, l’haleine fétide des affamés, où l’on entend les ronflements des femmes exécutées et les gémissements des vieillards au cœur des ruines, le suceur de sang Netanyahu n’a pas aspiré à convaincre mais à dominer et à terroriser pour justifier le génocide dans les territoires occupés. Son but est d’effrayer la population palestinienne au point de tuer en elle ce qu’elle possède de plus précieux : sa soif et sa vision de liberté, la faire perdre ou oublier le goût du rêve et celui de l’indépendance, le plus beau, le plus exalté des rêves.
Déplorable, le comportement des élus américains l’a été à chaque ovation. Leurs acclamations bruyantes, comme les crimes de guerre, procèdent de la même mécanique des fluides haineux. Ils nous rappellent, en ces temps troubles, que la démocratie ne peut jamais s’épanouir dans les crimes contre l’humanité, et la liberté ne peut plus survoler avec les ailes du cynisme trempées dans les marécages de la haine. Les luttes des peuples opprimés pour l’indépendance et la liberté ont ceci de cruel que les alliés inconditionnels des oppresseurs ne peuvent s’oublier que leurs comportements ne s’effacent jamais des mémoires. Certains crimes ne sont dans la vie des dirigeants politiques, voraces et immoraux, rien de plus qu’une simple conjoncture tragique dont le caractère irréparable masque à peine l’insignifiance. Mais «il est des crimes essentiels marqués du signe de la fatalité», notait Georges Bernanos. C’est la honte d’une «grande démocratie» obnubilée par le spectre d’un «ennemi arabe et musulman» imaginaire, le déshonneur des élus qui ont enfoui leurs slogans de liberté et de modernité derrière des applaudissements ignobles et ridicules. L’histoire retiendra de la première puissance mondiale qu’elle a torpillé l’ordre international établi par elle-même au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Elle aura été la fossoyeuse d’un ensemble d’institutions, de normes et de valeurs qui devaient assurer un minimum de règles entre les nations.
Enfin, et malgré tout, il ne faut jamais abandonner l’espérance en une prise de conscience occidentale. Devenus malgré eux voyeurs, les pays européens qui ont toujours fermé les yeux sur les crimes de l’entité sioniste, considérés avec indulgence dès lors qu’ils n’allaient pas à l’encontre de leurs intérêts, les sentent bien aujourd’hui : après les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité en Palestine usurpée et la folie meurtrière de Netanyahu, une digue a été rompue. Une frontière, que l’hésitation et les mauvais calculs empêchaient jusque-là de franchir.
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