L’édition 2015 laissera un souvenir contrasté et paradoxal. Celui d’un assez bon festival, avec pas moins d’une quinzaine de films toutes sections confondues. Mais celui, aussi, d’un festival en pleine tectonique des plaques, où le sol ancestralement le plus fertile en grands films, celui de la compétition, a de jour en jour glissé sous les pieds de festivaliers hébêtés devant des films majoritairement décevants.
Des joies et des déceptions
Décevant de voir un cinéaste aussi immense que “Gus Van Sant”, réaliser un “The Sea of Trees” aussi inepte. Décevant que les meilleurs cinéastes du monde présentent des œuvres plutôt en deçà de nos attentes. Décevant que des films franchement aussi mauvais que “Mon roi” ou “Youth” figurent dans la vitrine censément la plus représentative de ce qu’est l’art du cinéma dans le monde aujourd’hui.
Un palmarès contrasté et paradoxal
Dans la mesure où la compétition n’était pas l’endroit le plus électrique du Festival, on n’attendait pas grand-chose du palmarès. Mais dans ce contexte d’attente faible, le palmarès du jury présidé par les Coen est aussi contrasté et paradoxal que ce Festival. Faut-il saluer le tranchant d’un tel parti pris ou en regretter l’injustice ? En tout cas, le film le plus consensuel a été mis au ban du palmarès : avec Mia madre, “Nanni Moretti” n’a ni réussi à doubler sa Palme de La Chambre du fils, ni même à se faufiler dans le tableau d’honneur. On se réjouit en revanche que figure parmi la missing list le Youthde Paolo Sorrentino, dont l’agressif racolage n’a manifestement pas retourné les sens du jury.
Pour ce qui est du panel des primés, certains choix paraîssent assez peu discutables, comme le prix d’interprétation masculine accordé à Vincent Lindon pour La Loi du marché. La performance est à la fois une des meilleures de sa carrière, elle s’ajuste parfaitement avec celle des acteurs non professionnels qui lui donnent la réplique et en plus l’acteur a fait sur scène le discours le plus sensible et le plus habité. On reste plus dubitatif sur le prix d’interprétation féminine attribué à Emmanuelle Bercot – à la fois parce qu’il permet à un film vraiment pas bon de se frayer une place au palmarès, ensuite parce que la prestation de la comédienne pâtit quand même de la faiblesse d’écriture de son personnage. Pour achever de rendre ce prix complètement saugrenu, Emmanuelle Bercot le partage avec Rooney Mara pour Carol, où elle est effectivement remarquable, mais pas moins que Cate Blanchett, qui porte absolument le film et avec qui il aurait été mieux inspiré de le partager.
Hou Hsiao-hsien
Le seul motif de joie absolue de ce palmarès, c’est le prix de la mise en scène accordé à Hou Hsiao-hsien pour “The Assassin”. A la fois parce qu’il récompense un des plus grands metteurs en scène mondiaux, souvent boudé à Cannes (y compris pour des chefs-d’œuvre comme Goodbye South, Goodbye ou Les Fleurs de Shanghai – seul prix notable, le prix du jury au Maître des marionnettes en 1993). Mais aussi parce qu’il paraît parfaitement taillé pour le film, qui n’est pas un des plus grands de son auteur mais s’impose néanmoins comme un geste total de mise en scène, un exercice de haute couture formaliste assez sidérant. Pour ce qui est du Grand Prix, il récompense un film très discutable mais indiscutablement très abouti, Le “Fils de Saul” de László Nemes, maîtrisé de bout en bout, et très contemporain dans les questions de représentation qu’il jette comme de l’huile sur le feu. Quant à lui donner une haute distinction, la Palme ç’aurait été sans doute été plus forte, plus audacieux, et surtout plus pertinent que d’attribuer la palme au Dheepan de Jacques Audiard, qui comporte pas mal de défauts propres à l’œuvre de son auteur (coups de force scénaristiques à l’épate, bascule artificielle dans le cinéma de genre, virilisme naïf…) sans en avoir toutes les qualités (efficacité, nervosité narrative…).
La Palme à Audiard et les prix d’interprétation féminine et masculine à des comédiens français, donnent en tout cas une validation internationale à une sélection française qui fut très critiquée. On notera aussi que la France, qui, longtemps, ne se contentait d’une Palme que tous les vingt et un ans (Un homme et une femme en 1966, Sous le soleil de Satan en 1987, Entre les murs en 2008) performe désormais de façon quasi annuelle: pas moins de quatre films français palmés en sept ans (Entre les murs, Amour, La Vie d’Adèle et désormais Dheepan). Alors Cannes, festival du cinéma français ?