Qui de ma génération ne connaît pas le tube des Sex Pistols, « Anarchy «, sorti en 1977 ? Qui n’a pas été séduit par l’ex- leader du groupe punk Johnny Rotten en pleine euphorie «Don’t know what i want. But i know how to get it» (je ne sais pas ce que je veux… mais je sais comment l’obtenir) ? À chaque fois que notre pays glisse dans le cynisme généralisé, le délitement, la perte des valeurs, l’engloutissement de nos racines, la corruption et le népotisme, cette chanson me hante l’esprit ! Ce n’est pas encore l’anarchie… mais bel et bien le chaos. La vague populiste avance rapidement, portée par cette soupe idéologique aux ingrédients variés selon les circonstances, mais toujours agrémentée d’une bonne dose de religiosité et d’autoritarisme. La Tunisie est devenue une matière inflammable !
Nous courons à notre perte en continuant à balancer les cocktails Molotov dans une poudrière ! Les justifications populistes que nos gouvernants ont l’habitude d’avancer ne sont pas très glorieuses. En effet, que sortira-t-il de concret de tous ces débats qui s’ouvrent partout, à part les habituels fantasmes au goût rance ? Nos politiciens adorent donner, en levant un index vertueux, des leçons dans tous les domaines sans exception. Chacun d’eux voit la paille qui est dans l’œil de l’autre mais n’aperçoit pas la poutre qui est dans le sien !
Le président de la République a ses habitudes que rien ne peut bousculer. Mais depuis quelques semaines, il a changé de ton. Nouveau ton, nouveau Kaïs Saïed ? Vraie révolution personnelle ? Coup de com. ? Ou variation sur l’air du «changement « déjà utilisé par ses prédécesseurs, comme Moncef Marzouki avant lui ?
L’exercice du pouvoir a aussi changé son regard: ce qui pouvait être perçu comme disruptif et intelligent dans la conquête du pouvoir n’était plus tenable dans son exercice. Mais il faut parfois que tout change pour que rien ne change ! Il va sans dire que Kaïs Saïed a gagné l’élection présidentielle à la faveur de l’effondrement de la classe politique traditionnelle et naissante aussi. Privé d’opposition structurée, il avait le champ libre.
Aujourd’hui, voilà enfin arrivée son heure «khatâbienne» (en référence au deuxième Calife de l’islam Omar ibn al-Khattâb). Cette fois c’est lui, Kaïs Saïed l’homme providentiel surgi du chaos. Celui qui décidera du destin de son pays au moment où il traverse ce qui est peut être sa pire crise existentielle depuis l’indépendance en 1956. Le voilà qui reçoit le Chef du gouvernement, le président de l’Assemblée des représentants du peuple, les ministres et les responsables politiques, le pas lourd, le buste penché en avant comme s’il affrontait une tempête, la voix de tragédien et sur l’air de «je suis le seul décideur «! Car quand ce n’est pas à tous les compagnons de Mohamed, le prophète de l’islam, c’est précisément à Omar ibn al-Khattâb que se compare celui qui est devenu le 23 octobre 2019 le quatrième président de la République Tunisienne élu au suffrage universel après Habib Bourguiba, Zine El Abidine Ben Ali et Béji Caïd Essebsi. Omar ibn al-khattâb est certainement l’un des personnages qui nous a le plus impressionnés quand nous lisions, enfants, l’histoire des califes. Mais le jeu de mimétisme est risqué, avertissait Karl Marx: «L’histoire se répète la première fois comme une tragédie, la seconde fois comme une farce».
Un faux modeste qui a dissimulé une ambition dévorante ? Peut-être. Mais il ne suffit pas de faire triompher cette «bonne dimension historique» qui, selon Aristote, modèle la tragédie, c’est-à-dire celle qui comprend tous les évènements qui font passer les personnages du malheur au bonheur. En passant du rêve à la pratique, le rapport à la réalité de Kaïs Saïed, risque de perdre une part de son innocence pour laisser place au soupçon.
Notre pays ne sait plus où il va, il est devenu, en plus, incapable de tirer de son histoire une idée de son avenir. Pour le sauver, nous avons besoin plus de raison que de dévotion, d’ouverture que de sectarisme.