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Alors que l’on s’interroge toujours sur l’éventuelle planification de l’attentat par l’auteur de l’attaque de Nice, le ministre français de l’Intérieur se rend à Tunis ce vendredi 6 novembre.
Objectif : tenter de permettre le retour au pays de Tunisiens radicalisés actuellement sur le territoire français et faciliter la reconduite à la frontières de migrants illégaux.
Que faire de la vingtaine de Tunisiens radicalisés et jugés particulièrement dangereux actuellement sur le territoire français de façon illégale ? A l’issue de sa visite ce vendredi en Tunisie, Gérald Darmanin espère bien obtenir leur retour sur le sol natal. Pour cela, il a demandé à rencontrer tous les dirigeants : le chef de l’Etat, Kaïs Saïed, le Premier ministre, le ministre des Affaires étrangères et son homologue de l’Intérieur.
Son voyage de l’hôte de la place Beauva ainsi que l’ordre du jour étaient prévus de longue date. Il s’inscrit dans une tournée maghrébine : Darmanin était au Maroc le 16 octobre, et sera prochainement en Algérie. Mais l’attentat de Nice du 29 octobre, dont l’auteur revendiqué est le Tunisien Brahim Aïssaoui, arrivé clandestinement sur la Côte d’Azur depuis l’Italie, rend ces dossiers d’autant plus délicats.
*«Un tuyau avec beaucoup de fuites»
Côté français, on ne cache pas une certaine «frustration» devant le peu d’entrain de la chancellerie tunisienne à signer les laissez-passer consulaires (LPC), documents indispensables pour permettre le retour à la frontière des migrants sans papiers. A l’heure actuelle, le consulat tunisien en France paraphe environ 55% des demandes de LPC, davantage que l’Algérie et le Maroc.
Insuffisant pour le ministère français de l’Intérieur, d’autant plus que, depuis le début de l’année, les Tunisiens représentent la première nationalité des arrivées clandestines en Italie (41%), selon le ministère de l’Intérieur italien.
A Tunis, Gérald Darmanin ne compte pas combler les 45% manquant, mais obtenir l’assurance du zèle tunisien pour les profils ciblés, afin de mettre en œuvre aussitôt que possible les obligations de quitter le territoire français (OQTF). Sans le précieux sésame, il suffit aujourd’hui aux Tunisiens illégaux de refuser le test PCR, obligatoire pour entrer en Tunisie, pour bloquer la procédure d’OQTF.
*Personnes dangereuses
Les autorités tunisiennes, elles, sont tiraillées. Les dirigeants ont affiché leur solidarité envers la France après l’attentat commis par l’un de leurs concitoyens, les poussant à accélérer la résolution de ces dossiers. Mais, dans le même temps, une frange de l’opinion publique est défavorable aux retours de ces personnes considérées comme dangereuses, car les conditions de surveillance ne seraient pas optimales. «Il y a un certain manque de professionnalisme dans la lutte antiterroriste. Si ce domaine était un tuyau, ça serait un tuyau avec beaucoup de fuites. Renvoyer ces fanatiques ici, avec le système actuel, ce serait les voir être relâchés rapidement. Libre ensuite à eux de commettre des attaques en Tunisie ou de revenir en France», prévient Hazem Ksouri, avocat spécialisé dans la défense des victimes d’attentats.
Partisan de la manière forte, comme au temps de Ben Ali, il souhaite que la visite débouche sur une vraie coopération des polices, sans entraves liées à des questions des droits de l’homme : «Pour l’antiterrorisme, il faut des méthodes particulières…»
*Entière coopération
Le chef du gouvernement, Hichem Mechichi, a promis l’entière coopération de la Tunisie concernant l’attentat de Nice. Le pôle judiciaire de lutte contre le terrorisme a ouvert une enquête dès le 30 octobre pour répondre à la question du moment : Brahim Aïssaoui avait-il planifié son attaque dès son départ de Tunisie ? La promesse du premier ministère laisse cependant sceptique des spécialistes de la sécurité. Les procès des attentats du musée du Bardo le 18 mars 2015 (22 morts) et de Sousse le 26 juin 2015 (38 morts) ont montré, malgré l’importance politique des affaires, des carences dans le travail de la police, non par manque de volonté politique, mais davantage par manque de moyens.
L’autre source d’embarras pour Tunis vient, cette fois, de la France et plus particulièrement d’Emmanuel Macron. Le discours du chef de l’Etat français à la Sorbonne, le 21 octobre lors de l’hommage à Samuel Paty dans lequel il affirmait «nous ne renoncerons pas aux caricatures, aux dessins», est mal passé parmi la population. Si les Tunisiens ne sont pas les plus virulents – les marques tricolores n’ont pas constaté pour le moment d’effet lié à l’appel au boycott des produits français –, les pouvoirs publics ne veulent pas attiser la colère en s’alignant trop parfaitement sur les exigences françaises.
(Libération)