Ce qui reste à faire

Sous alliances et influences, le moins qu’on puisse dire suspectes, l’ancienne ANC (Assemblée nationale Constituante) s’est dérobée en 2014 de ses responsabilités, laissant le projet de loi de lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent dans ses tiroirs, provoquant amertume et frustration à un moment où le pays faisait face à des menaces sérieuses. Malgré la gravité de la situation, la persistance du risque terroriste et le choc subi par la Tunisie entière, suite aux assassinats de deux grandes figures politiques, Chokri Belaid et Mohamed Brahmi, les députés de l’ANC ont préféré le statu quo.

Aujourd’hui, après l’adoption tumultueuse de cette loi par l’ARP (Assemblée des Représentants du Peuple) par une majorité très confortable, au lendemain de deux attentats terroristes sanglants respectivement au musée de Bardo et à Sousse, l’on peut dire que le plus dur commence. Tout en veillant à lutter farouchement contre cette hydre et l’extirper à la racine, il va falloir poursuivre inlassablement le renforcement du processus démocratique tout en préservant les libertés publiques. A l’évidence l’entreprise est ardue dans la mesure où dans le contexte complexe que connait le pays, le risque de dérapage sécuritaire et d’atteinte aux libertés d’expression et individuelles peut se poser. Cela doit-il pour autant donner une légitimité aux appréhensions voire suspicions de certains pour qui, derrière cette loi se cache une velléité de retour à la dictature ?
La grande confusion qui a été alimentée ces derniers temps par certaines parties, qui étaient derrière le blocage de cette loi en 2014, pousse au questionnement. En voulant à bon escient faire l’amalgame entre terrorisme et mouvements sociaux et populaires, contrebande et terrorisme, mettre l’accent sur la limitation du champ des libertés et l’inadéquation de l’introduction de la peine de mort pour les crimes terroristes, ces parties ne cherchent-elles pas à faire perdurer le statu quo et à maintenir une situation de vide juridique ?
Peut-on dire que les partis politiques qui ont soutenu et voté massivement pour que cette loi entre en vigueur sont complices d’un projet antidémocratique ayant pour principale finalité de bâillonner les libertés ?
Dans cette guerre que livre le pays aux groupes terroristes qui ne désespèrent pas de semer peur, désolation et anarchie, l’adoption de cette loi traduit à la fois l’union sacrée des principales forces politiques et leur engagement à endiguer ce fléau qui menace la démocratie naissante. En dépit de toutes les appréhensions formulées, à tort ou à raison, par certaines composantes de la société civile et de partis politiques minoritaires au sujet de certaines dispositions de la loi qu’ils considèrent liberticides et pouvant permettre la répression de certains actes qui ne sont pas de nature terroriste, le consensus trouvé entre des partis d’obédiences divergentes traduit une prise de conscience et un engagement à combattre un ennemi commun et un péril qui a l’ambition de porter atteinte à l’ordre social et aux institutions républicaines .
Il faut dire que les masques sont tombés depuis maintenant longtemps, très longtemps. Certains partis politiques, dont l’assise populaire est plus que douteuse, ne cessent de compenser leur échec et leur faiblesse par les surenchères, la provocation de crises artificielles, qu’elles n’avaient pas eu le temps de résoudre quand ils étaient au pouvoir, et par leur volonté de jeter le discrédit sur toute initiative politique, quelle que soit sa portée.
Dès lors, les réactions de l’ancien président provisoire Moncef Marzouki n’étonnent guère. Voulant nous rappeler son combat militant de toujours, il s’est empressé de dire que « si la peine de mort conduisait à la disparition du crime, je l’aurai soutenue», saluant au passage le courage « des dix députés qui se sont abstenus de voter cette loi ». Hypocrisie de l’un et des autres. La question est de savoir pourquoi se limiter à une abstention quand on n’est pas d’accord avec le contenu de la loi si ce n’est pour accaparer l’attention et faire passer l’essentiel en sourdine. Ce qui étonne, en revanche, c’est l’absence de réaction de ces mêmes parties lorsque le pays est endeuillé par des actions terroristes perpétrées par des groupes qui ne reconnaissent pas le droit à la vie et combattent pour faire valoir l’obscurantisme et le chaos.
En définitive, tout ce débat n’est pas vain, puisqu’il nous rappelle qu’il faut réellement un effort extraordinaire aujourd’hui pour renforcer la sécurité de la Tunisie, restaurer la confiance, rebâtir l’économie, redonner espoir aux jeunes et poursuivre la construction de l’édifice démocratique. La loi votée sur la lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent n’est, en fait, qu’un instrument, parmi d’autres, pour écarter la menace djihadiste mais qui doit être appliquée avec fermeté.
Déclarer la guerre au terrorisme exige une plus grande unité nationale, le partage des mêmes valeurs républicaines et un engagement résolu pour les défendre.
L’expérience tunisienne a montré que, le pays possède des forces imbues des valeurs démocratiques toujours promptes à mener un combat acharné pour éviter tout retournement, toute menace contre ses libertés et tout basculement du pays dans l’anarchie.

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