Ce qui reste à faire

Plus important que le discours prononcé, le 5 juin dernier à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) par Habib Essid, Chef du gouvernement et les messages forts qu’il a contenus, c’est la suite à donner à tout ce qui a été dit sur un ton, à la fois, grave, franc et menaçant, qui interpelle le plus.
Dans quelle mesure il sera possible, cette fois-ci, de traduire les intentions, les programmes et les mises en garde, solennellement formulées, en actions concrètes en cette période de fortes turbulences et d’exacerbation des tensions et menaces?
Désormais, c’est la crédibilité du gouvernement qui se trouve en jeu, sa survie même. Face à la gravité de la situation politique, sécuritaire, économique et sociale, l’hésitation, l’absence de réactivité ou, tout simplement, l’inaction scelleront l’arrêt de mort du gouvernement et consacreront la fin de l’Etat. Pour le gouvernement Essid, que de nombreux partis tentent par les différents moyens de renverser, l’heure de vérité a sonné. Après plus de quatre mois tonitruants d’exercice difficile, il n’a plus aucune marge de manœuvre, ni de droit à l’erreur. Il est condamné à faire ses preuves rapidement, à éteindre les flammes de l’agitation sociale et de la discorde qui éclatent partout, à trouver des solutions ou plier bagage.
D’aucuns ne peuvent nier que la survie de ce gouvernent est intimement liée à la satisfaction de nombre de préalables en relation avec la préservation de la sécurité du pays contre tout risque terroriste, le sauvetage de l’économie nationale, de la reprise de confiance dans le site tunisien des affaires, de l’assurance de la paix sociale et de la maîtrise des mouvements de sédition dans certaines régions intérieures du pays.
Au regard d’une situation d’une extrême complexité et de l’énormité des défis à relever, le gouvernement Essid est obligé de composer avec toutes ces variables avec un tantinet de pragmatisme, de détermination et de savoir-faire pour desserrer ces contraintes, donner un contenu concret à des réformes combien nécessaires mais douloureuses, consacrer la primauté de la loi et du droit et ne pas laisser le pays sombrer dans l’anarchie.
Se trouvant dos au mur et l’objet de tentatives sérieuses de renversement, le gouvernement Essid a joué le 5 juin dernier sa dernière carte. A-t-il convaincu ? Le programme qu’il a annoncé est-il réalisable et répond-il aux priorités de l’étape ? Sa détermination à préserver le rôle de l’Etat et consacrer la primauté du droit, trouveront-elles effectivité ?
Pour la première fois Habib Essid montre une résolution, affirme une volonté claire de mettre un terme à une longue période d’instabilité sociale que connaît le pays et une fermeté claire pour venir à bout de certaines crises. Tout en mettant en garde contre toute velléité de s’attaquer aux fondements de l’Etat, de susciter les divisions et d’entretenir le sentiment régional et tribal, il réaffirme son rejet de tout chantage, bras de fer ou mouvement de désobéissance civile à l’instar de ce qui se passe à Douz, ces derniers jours.
Le signe le plus inquiétant, c’est qu’on s’est, enfin, aperçu que les tensions qui ont éclaté dans certaines régions du Sud, ne sont aucunement le fruit du hasard. La multiplication des foyers de tension est loin d’être un phénomène toujours spontané.
L’action de sape systématique à laquelle se plaisent à jouer certains partis politiques, qu’en apparence tout sépare sur le plan idéologique mais qui se rencontrent au niveau des objectifs, des moyens et des méthodes, n’est plus un secret pour personne. La tentation pyromane qui a gagné l’action de certaines composantes de la société civile, qui ne cachent plus leurs visées et qui n’épargnent aucun effort pour attiser les germes de la discorde et de la division, ne peut que révéler leur refus de la construction d’un système politique régi exclusivement par les règles démocratiques.
A qui peut profiter cette anarchie qu’essayent certaines parties de semer dans le pays ?
Au regard des grands périls auxquels le pays est confronté actuellement, le simple constat de certains faits laisse dubitatif, poussant à des questionnements lancinants. Dans une démocratie, renverser un gouvernement est tout à fait un objectif légitime qui ne peut s’opérer que par la voie des urnes, de la lutte politique, non par la provocation de crises sociales ou d’agitations se fondant sur des considérations régionales ou tribales.
Même si politique et morale ne font souvent pas bon ménage, la responsabilité envers le pays implique de ne pas suspendre les intérêts du pays et sa cohésion à ce jeu périlleux.
Dans une démocratie en construction, susciter et entretenir la colère populaire et les spécificités régionales, équivaut à l’ouverture de la boite de Pandore. Personne n’en sortira gagnant, sauf peut-être ceux qui sont mandatés pour défendre des agendas particuliers ou tentés de changer l’ordre social existant.
Aujourd’hui, la carte gagnante que pourra jouer le gouvernement Essid consisterait à donner un sens à l’action, à concrétiser les réformes annoncées, à renforcer le respect des droits et des lois et à réhabiliter la valeur du travail et de l’effort. C’est par ce moyen, et ce moyen seul, qu’il sera possible de mobiliser les Tunisiens, de susciter leur adhésion volontaire et de les convaincre de consentir les sacrifices qu’exigent le développement du pays, sa cohésion et sa prospérité.

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