Depuis des mois la polémique ne cesse d’enfler entre le gouvernement tunisien et l’European cancer center à propos de la création du plus grand pôle de cancérologie en Afrique, à El Hamma de Gabès. Pour le premier, le projet n’est pas clair — pour ne pas dire douteux — et ce n’est en tout cas pas un grand projet. Pour le second, les caractéristiques et le blocage viennent tout d’abord du ministre de la Santé en personne et en second lieu de tout le gouvernement Mehdi Jomâa. Pour en savoir plus, Réalités a assisté à la conférence d’information organisée par l’European cancer center samedi 11 octobre 2014.
Les organisateurs ont rappelé dans leurs brefs propos les grandes lignes de leur projet. «Il s’agit d’un projet majeur pour la santé publique, l’économie et l’emploi en Tunisie : un investissement direct étranger de plus de 25 millions d’euros, la création de 300 emplois à haute valeur ajoutée exclusivement tunisiens, le développement du tourisme médical en Tunisie, la mise en place d’un programme de recherche de pointe et la création de la première biobanque d’Afrique. Sur le plan social, European cancer center (ECC) s’est engagé à créer une fondation indépendante afin de soigner les plus démunis en Tunisie. ECC a pris l’engagement formel d’apporter une dotation annuelle de 800.000 euros au budget global de 5 millions d’euros de cette fondation, ce qui permettra de prendre entièrement en charge le traitement de 1.000 patients par an et de sauver de nombreuses vies humaines.»
Un accord de principe… mais…
Lorsque le projet a été présenté aux institutions tunisiennes, il a été intégré, le 13 novembre 2013, dans la catégorie «Grand projet national» ont rappelé les conférenciers. Le projet a obtenu un accord de principe du ministre de la Santé publique en décembre 2013. Le 22 août 2014, le projet est présenté à la Commission supérieure des grands projets, c’est là qu’il a été refusé en tant que «grand projet». Selon les conférenciers, la décision de la commission est la conséquence du véto du ministre de la Santé publique et ils s’interrogent, « les lobbies et la corruption au plus haut niveau (…) vont-ils parvenir à bloquer les investissements étrangers ?»
De son côté, le gouvernement tunisien a adressé une lettre aux représentants du ECC : ce n’est pas un grand projet, mais il pourrait être réalisé autrement. «La Commission supérieure des grands projets a jugé que, compte tenu des propositions de l’ECC, la loi 2001-94 du 7 août 2001 relative aux établissements de santé prêtant la totalité de leurs services au profit de non-résidents représente le cadre le plus approprié pour la réalisation de ce projet en Tunisie. La décision de la Commission supérieure ne bloque aucunement la réalisation de votre projet qui cadre parfaitement avec la législation nationale encourageant l’initiative privée dans le secteur de la santé, dont notamment la loi n°2001-94 susmentionnée.»
Les investisseurs proposent un investissement de 25 millions d’euros… à peine de quoi construire un hôtel 5 étoiles en Tunisie (et encore). Quand un «grand projet» reçoit l’aval du gouvernement, cela suppose d’emblée qu’il va y avoir une contribution de la part des autorités. Don de terrain ou achat de terrain à un prix purement symbolique, grandes facilités douanières pour l’importation de matériel et bien d’autres avantages.
Sur le plan technique, il s’agit d’un centre «offshore» qui va limiter la prise en charge des patients tunisiens à 20% de la patientèle totale. Ces 20% seront soignés à titre gracieux, mais seront pris en charge en réalité par une fondation dont on ignore tout, et de l’origine de son financement et de son «idéologie». Selon les investisseurs, elle sera créée par le groupe une fois installé en Tunisie et on verra par la suite pour le financement. On rappelle que la loi tunisienne n’autorise pas la création de fondations. Il y a les associations et les sociétés civiles.
D’autre part, le traitement du cancer est «spécial», dans le sens où il nécessite au moins huit mois de prise en charge thérapeutique. C’est-à-dire que le patient est soit hospitalisé soit logé dans un endroit proche du centre de traitement pendant toute cette période. Donc, selon les investisseurs, les patients africains (le centre se destine à l’Afrique et non aux Européens, ces derniers étant pris en charge à 100% dans leurs pays) séjourneront toute cette période en Tunisie, à El Hamma plus précisément.
Pourquoi ne pas créer ce centre de cancérologie comme l’on crée une polyclinique privée, sans que ce soit un «grand projet» pour commencer et, ensuite, changer si vraiment le projet évolue dans le bon sens ? À cette question, l’un des conférenciers a répondu : «parce que nous voulons qu’on nous respecte, on nous a catalogués grand projet et on veut l’être».
Mais chat échaudé craint l’eau froide et depuis les nombreux grands projets qui étaient supposés résoudre tous les problèmes de la Tunisie et qui n’ont jamais vu le jour, les Tunisiens ont appris à bien étudier leurs dossiers pour barrer la route aux escrocs et à la spoliation.
On apprend également que le Secrétaire d’État aux Affaires régionales et locales a déclaré sur une chaîne de télévision tunisienne que le projet d’El Hamma était impossible à réaliser faute d’investissements et de clientèle ayant le pouvoir d’achat requis.
Alors vrai ou faux grand projet ?
Samira Rekik