Alors que des centaines de jeunes de 14 à 25 ans saccageaient, le week-end dernier, des bâtiments publics, pillaient des dépôts communaux et des commerces privés, caillassaient les forces de l’ordre, brûlaient des pneus et des poubelles et coupaient des routes, pour se révolter contre l’ennui, la précarité et l’absence d’horizons, les responsables des partis politiques se terraient, se taisaient, attendant que la tempête passe. La honte. Personne n’a vu la vague venir, trop occupés par le remaniement ministériel, alors que tout indique depuis quelque temps déjà que la cocotte est sur le point d’exploser.
Visiblement ne sachant pas quoi faire, aucun des trois présidents n’est sorti durant les quatre premiers jours parler aux foules en colère pour les calmer, pour les rassurer, pour leur dire qu’ils ne sont pas les oubliés de la planète et qu’il y a un chef à bord du navire.
Il faut admettre que cette fois les violences ont pris une nouvelle tournure qui a ajouté au désemparement de la classe politique. C’étaient en majorité des enfants qui sont sortis, la nuit, masqués, bravant le couvre-feu sanitaire, venus en découdre avec les forces de l’ordre. Selon le sociologue et universitaire Mehdi Mabrouk, il y a de quoi s’inquiéter : « Ce sont des manifestations sans visages et sans identité », expliquant que ce ne sont pas là des contestations sociales, car ces dernières ont des slogans clairs et sont menées à visages découverts et de jour.
Désemparés, les partis politiques y sont allés avec ce qu’ils savent faire le mieux sur les réseaux sociaux : accuser dans tous les sens les adversaires jusqu’à friser le ridicule. Les nadhahouis Saïd Ferjani et Radhouane Masmoudi accusent le président Kaïs Saïed et l’ont exhorté à dénoncer ces violences et à demander à « ses » jeunes « sympathisants » d’arrêter ces mouvements, « sinon, ont-ils menacé, le Parlement devra agir pour écarter le président de la République ». Rafik Abdessalam, le gendre de Rached Ghannouchi, accuse, quant à lui, la gauche, en l’occurrence le Parti des travailleurs et son Secrétaire général Hamma Hammami, de chercher à faire tomber les institutions élues et de ne pas respecter les règles démocratiques. Il faut reconnaître que les soupçons qui pèsent sur Kaïs Saïed ne sont pas orphelins. Le président Kaïs Saïed n’a eu de cesse de chauffer les Tunisiens et en particulier ses électeurs en évoquant les corrompus qui sucent le sang de l’Etat et les complots qui sont fomentés dans les chambres noires, menaçant de tout divulguer le moment venu. Ses détracteurs peuvent bien supposer que ses sympathisants impatients ont pris ainsi les devants !
Plus de 800 jeunes, dont une majorité de mineurs, ont fini par être interpellés au terme de quatre jours d’affrontements nocturnes qui ont fait des blessés parmi les forces de l’ordre. Du côté des partis politiques et des organisations nationales, une série de communiqués laconiques ont commencé à tomber dans la journée du lundi (quatre jours après le début des émeutes), textes rébarbatifs qui seront vite oubliés comme tous ceux qui ont précédé. Le président Kaïs Saïed s’est dirigé quant à lui vers son quartier à El Mnihla où il a rencontré ses anciens voisins, les appelant à préserver les biens publics et privés et à revendiquer leurs droits dans le calme et le respect des institutions de l’Etat. Une sortie « populiste » pour certains, mais opportune pour d’autres qui considèrent que le chef de l’Etat est le seul politique capable de se mêler à la foule sans crainte.
Il convient tout de même cette fois que Kaïs Saïed, Hichem Mechichi et Rached Ghannouchi soient plus attentifs et plus prévoyants. Parce que les heurts nocturnes contre les forces de l’ordre ne sont pas un jeu d’enfants. Des vies humaines sont en danger, ainsi que la sécurité nationale. Imaginons un accident qui coûterait la vie à un enfant en situation d’accrochage avec des représentants de la force légale !
Les décideurs politiques doivent désormais bouger, aller vers ces jeunes et ces régions qui se révoltent, qui appellent à l’aide, qui menacent de tout brûler. Mechichi, maintenant qu’il a son équipe gouvernementale, doit réaliser, concrétiser et mener le pays de l’avant. Pour cela, il doit écouter, non les partis de son coussin politique, mais les citoyens qui ont trop patienté et dont les enfants n’ont plus peur de braver « El Hakem » et les affrontements nocturnes.
Dix ans après le 14 janvier 2011, les villes tunisiennes vivent les mêmes heurts et transmettent les mêmes images d’actes de saccage et de pillage. Les trois présidences, les partis politiques, les organisations et la société civile sont mis au banc des accusés, pour avoir contribué, directement ou indirectement, à la dégradation de la vie de la majorité des Tunisiens et avoir poussé des milliers de jeunes sans horizons dans les filets du terrorisme ou dans les naufrages de l’émigration clandestine.
Les gouvernants qui tiennent les commandes du pays depuis 2011 n’ont aucun argument pour se laver de ce grave manquement à leurs responsabilités. Pourtant, ils s’accrochent au pouvoir et y restent au prix de dangereuses liaisons, refusant de donner à la Tunisie la chance d’être dirigée par d’autres gouvernants. Leur tâche est désormais ardue, le tempo a été donné le 14 de ce mois de janvier, ils ont tout intérêt à rétablir les rêves brisés des millions de jeunes que compte la Tunisie. Leur devoir est de faire en sorte que ceux qui sont encore là, restent et ceux qui ont quitté le pays, reviennent. Les milliers de médecins, d’ingénieurs, d’architectes, d’universitaires qui ont émigré, ils sont plus utiles pour leur pays, il faudra faire en sorte qu’ils reviennent. Sinon, votre Révolution aura été l’arnaque du siècle et le peuple tunisien vous le fera payer cher.
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