Le carnage a été évité de justesse au prix de trois vies fauchées aux forces de l’ordre. Deux visiteurs juifs y ont perdu la vie également, et on compte plusieurs blessés dans l’attaque criminelle près de la Ghriba, à Djerba, le 9 mai.
Les Occidentaux, qui qualifient la synagogue de la Ghriba, vieille de 2500 ans, de « joyau symbolique », accusent d’antisémitisme la terre qui l’abrite et le peuple qui compte parmi ses citoyens l’une des dernières communautés juives d’Afrique du Nord. Une aberration venant de parties qui ne connaissent pas la Tunisie, ni l’île de Djerba, ni ses habitants. « Musulmans et juifs y vivent côte à côte comme des frères depuis des siècles », témoigne Guy Azria, chef de la communauté juive à Gabès. Et une manipulation volontaire de l’opinion publique internationale, car la véritable cible est la Tunisie et sa stabilité en attaquant ses citoyens juifs.
L’émotion peut, aussi, expliquer une telle accusation chez des personnes ordinaires, mais quand ce sont des dirigeants politiques européens qui évoquent l’antisémitisme pour qualifier l’attaque du 9 mai et qu’ils s’engagent à protéger les juifs où qu’ils soient, notamment en Tunisie, il faut chercher les raisons (politiques) ailleurs que dans la simple émotion.
L’antisémitisme, à titre individuel, n’est propre à aucun pays, aucune nationalité, aucune communauté. Mais que des parties étrangères, toujours les mêmes, se précipitent, en l’absence de toute information officielle, en écho à des voix internes, toujours les mêmes aussi, pour qualifier d’antisémite l’acte criminel odieux du 9 mai, qui a eu lieu près de la Ghriba, c’est vite aller en besogne. Nous sommes, de ce fait, contraints de penser que l’intention était la désinformation dans le but de porter atteinte à l’image (déjà ternie) de la Tunisie et profiter de l’occasion (une autre) pour compromettre la saison touristique qui vient de démarrer et qui s’annonce, enfin, prometteuse. Car l’attaque de Djerba peut mener à diverses pistes : terroriste, djihadiste, antisémite, planifiée, isolée … Et l’enquête, en cours, risque d’être très longue.
Parmi les pistes évoquées par certains analystes, il y en une que les médias occidentaux éviteraient volontiers d’exposer, c’est la stratégie de l’entité sioniste de rapatriement (coûte que coûte) des juifs du monde entier pour repeupler Israël et lui donner du poids dans sa région arabe, hostile.
Dans tous les cas de figure, le dessein reste le même : décrédibiliser l’Etat tunisien et ses institutions sous l’autorité de Kaïs Saïed et précipiter la chute de ce dernier qui défraie toutes les chroniques depuis qu’il a déchu les frères musulmans, s’est accaparé tous les pouvoirs et lancé une chasse aux sorcières contre ceux qui sont accusés de complot contre l’Etat et ceux qui ont contribué à la décadence économique de la Tunisie.
En tant que Tunisiens, nous sommes en droit d’envisager toutes les pistes, même si la version officielle penche pour « l’acte criminel », pour comprendre ce qui s’est passé ce 9 mai.
L’Association des magistrats tunisiens et l’Ordre national des avocats de Tunisie appellent, d’ailleurs, les autorités à œuvrer pour débusquer les éléments terroristes infiltrant les forces de l’ordre, évoquant ainsi l’éventualité d’un acte terroriste. Une vingtaine d’autres associations ont dénoncé, pour leur part, dans un communiqué commun, « l’abstraction de la dimension terroriste de l’acte » par les autorités officielles et « la sous-évaluation de sa gravité » en priorisant son impact économique, tout en déplorant la « confusion entre la défense de la cause palestinienne et l’antisémitisme ». Car la Ghriba n’a manqué aucun rendez-vous annuel du pèlerinage sauf en 2020 et 2021 à cause de la pandémie de la Covid-19. Elle accueille chaque année des milliers de visiteurs juifs de diverses nationalités, en toute sécurité ; les juifs tunisiens sont des citoyens à part entière, il n’y a aucune raison pour que cela change aujourd’hui alors que la Tunisie tente de tourner la page du terrorisme et commence à revenir parmi les destinations touristiques les plus recherchées. Cet « acte criminel » n’est pas comme les autres, ceux perpétrés au cours de la décennie noire 2011-2021, celui-ci frappe la stabilité de la Tunisie au moment où les Tunisiens tentent, au prix de grands sacrifices et de grands défis, de sortir la tête de l’eau boueuse qui stagne depuis l’arrivée des frères musulmans au pouvoir.
La Tunisie a pris un chemin risqué en 2021 avec le coup d’arrêt porté au pouvoir des islamistes et s’est exposée à toutes les menaces. L’attaque du 9 mai en fait partie. Les institutions de l’Etat sont appelées à assumer leur entière responsabilité, le temps du laxisme, des connivences et des calculs politiciens étant révolu. Celui de l’intransigeance et du chantage des pressions internes de tous bords également. Les Tunisiens sont attachés à relever le défi de la démocratie, mais l’Etat est pris en otage par les syndicats, puissants et intransigeants.
Un autre carnage est en passe d’être perpétré, à grande échelle, en Tunisie, sous le sceau du militantisme syndical : l’année blanche pour des milliers d’élèves et la frustration pour les candidats aux concours nationaux, dont le baccalauréat. La rétention des notes se poursuit pour le troisième trimestre consécutif de l’année scolaire en cours 2022-2023. La commission administrative de l’enseignement secondaire a rejeté les dernières propositions du ministère de l’Éducation suggérant le report des négociations sur les revendications professionnelles jusqu’à la fin de l’année en cours et promettant de mettre fin au travail précaire et d’instaurer le recrutement automatique. Ces promesses peuvent paraître excessives et peu crédibles mais le ministère de tutelle n’a pas d’autres choix que de reporter toutes sortes de négociations sociales tant que la Tunisie n’a pas obtenu le prêt du FMI.
Le bras de fer syndical avec le gouvernement, qui dure depuis le début de l’année scolaire, dépasse tout entendement pour les familles et les parents d’élèves qui ont dû recourir à la justice pour faire entendre leurs contestations et tenter de recouvrer les droits de leurs enfants.
Les revendications syndicales sont légitimes mais elles ne convainquent plus et déchaînent les critiques en raison de la situation financière difficile de l’Etat, des nombreuses attentes sociales dans tous les secteurs professionnels et, surtout, du fait que l’épée de Damoclès de l’année blanche est brandie sans répit depuis douze ans, prenant en otage les élèves et leurs familles. La conjoncture économique actuelle au bord de l’effondrement ne justifie pas la poursuite du bras de fer et la rétention des notes jusqu’à satisfaction des revendications des enseignants doit être suspendue.
C’est là une question vitale pour tout le pays et un sujet d’éthique.
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