“C’est à la Tunisie de décider de quoi elle a besoin”

C’est une première pour la Tunisie. Le cours régional de politique commerciale de l’Organisation mondiale du commerce se tiendra à l’École supérieure de commerce de la Manouba. La Directrice générale adjointe de l’OMC Mme Valentine Rugwabiza a effectué récemment une visite en Tunisie pour le lancement de ce cours. L’objectif est de renforcer les capacités humaines et institutionnelles des pays africains au niveau de la maîtrise des questions commerciales multilatérales. Cela  leur permettra  de profiter pleinement  du système commercial multilatéral pour renforcer leur croissance économique. Entretien

 

Qu’elle est la raison de votre visite en Tunisie ? 

La raison principale qui m’amène en Tunisie a été de procéder à l’ouverture d’un cours régional de politique commerciale que l’OMC va organiser au courant des trois ans à venir en partenariat avec l’École supérieure de commerce  de l’Université de la Manouba. Ce cours amène plusieurs fonctionnaires de plusieurs pays africains à résider en Tunisie pendant une période de deux mois aux cours de laquelle des formations successives vont être organisées par des experts de l’OMC, mais également par des experts régionaux. C’est un cours que nous organisons depuis plusieurs années. 

 

Quels ont été les critères  de choix qui ont abouti à la sélection de l’École supérieure de commerce (ESC) ? 

Nous avons lancé une offre et plusieurs pays nous ont soumis leurs propositions. Un comité de sélection a analysé ces propositions et au terme de cet exercice de sélection, c’est l’École supérieure de commerce qui est sortie gagnante. La manière dont nous avons sélectionné les partenaires académiques à ce cours est un processus très compétitif. Il faut rappeler que nous avons ouvert ce concours avec les différents partenaires venant de plus de 25 pays africains, sachant que nous organisons ce cours dans différentes régions. Un critère essentiel de choix était la qualité de l’offre académique et la qualité des curricula académiques offerts. Au-delà de cet aspect, nous évaluons également la qualité de l’infrastructure qui va être mise à la disposition des différents participants, notamment ce que nous utilisons aujourd’hui à savoir les classes virtuelles. Nous n’imprimons pas de documents, les différents modules sont transmis virtuellement. Une structure qui n’a pas la capacité d’un système virtuel, est une structure que nous ne sélectionnons pas. Par ailleurs l’ESC met à la disposition des différents participants la dernière technologie, en l’occurrence les pc les plus légers. 

Donc ceci nous permet d’utiliser les outils les plus modernes de transmission et d’acquisition de connaissances. Une information qui n’est pas des moindres, c’est que l’ESC a été classée parmi les dix premières écoles de commerce sur le contient africain en 2012. 

 

Quels sont les objectifs de ce cours régional de politique commerciale ? 

Il s’agit  de construire les capacités des fonctionnaires à pouvoir utiliser les règles de l’OMC aux bénéfices des intérêts de leurs pays. Les membres de l’OMC ont des droits, mais aussi des obligations qu’ils utilisent de manière différente selon leurs capacités. Et l’une des fonctions de l’OMC qui est moins connue que la fonction de négociation commerciale c’est la formation.

D’ailleurs, l’OMC procède et investit une grande partie de ses ressources à la formation des capacités commerciales dans les pays en voie de développement. Ce cours est un acquis institutionnel qui  permettra de construire la capacité des différents fonctionnaires qui vont eux-mêmes représenter les intérêts de leurs pays au niveau de l’OMC.  

Mais  le fait que l’ESC, dans un processus complètement compétitif, soit ressortie gagnante, démontre que la Tunisie est compétitive dans un certain nombre de secteurs, en l’occurrence celui de l’enseignement supérieur. La Tunisie a beaucoup à offrir au reste du continent. 

 

Comment appréciez-vous le comportement de la partie tunisienne par rapport à ce projet. Celle-ci a-t-elle eu un impact sur le bon déroulement du  projet ? 

Nous ne voyons pas d’impact. Nous sommes très heureux de la manière dont tous les préparatifs se sont conduits. Différents départements du gouvernement, que ce soit le ministère de l’Enseignement supérieur, celui du Commerce ou des Affaires étrangères, étaient réceptifs à nos suggestions. De manière plus importante, nous voyons ce que notre partenaire, à savoir l’ESC, a mis en place pour l’exercice harmonieux de ce cours. Nous n’avons absolument aucun doute qu’il se déroulera de la manière la plus efficace et répondra à nos attentes et à nos objectifs. 

 

Comment l’OMC voit-elle la situation économique actuelle au niveau mondial ? 

La situation est différente d’il y a quelques années. En effet, il y a eu un certain nombre de changements au cours des dix années écoulées. Il est important de rappeler qu’en 2012 et pour la première fois dans l’histoire du système commercial multilatéral, les pays en voie de développement, pris en groupe, ont dépassé de plus de 50% de parts de marchés dans le commerce international et ont donc dépassé les pays développés. Cela veut dire et nous le voyons au niveau de l’OMC, qu’entre 2011 et 2012 il y a eu une baisse en volume des flux mondiaux en commerce (de 5 à 2%). Quand on regarde les détails de cette baisse, on remarque que les économies dites «matures», notamment de la zone euro, ont réalisé une très faible performance. Tandis que les économies en voie de développement sont restées en croissance positive importante. 

 

Qu’est-ce que cela signifie pour un pays comme la Tunisie ? La Tunisie dont plus de 85% des échanges commerciaux se fait avec l’Europe ? 

Cela veut dire qu’en même temps de consolider ses acquis avec son partenaire stratégique, ce qui est absolument important, la Tunisie est appelée à diversifier ses partenaires commerciaux, à accéder à de nouveaux marchés et à pouvoir développer également des relations commerciales importantes avec de nouvelles économies. La Tunisie reste un marché en croissance et je pense, sur ce que j’ai vu et lu aussi, que celle-ci dispose d’indicateurs économiques lui permettant de présenter une offre attractive en matière industrielle et en services. Il y a des possibilités, mais ces possibilités restent tributaires des politiques qui vont être mises en place par la Tunisie. Sans oublier qu’il y a un certain nombre de réformes entreprises. La Tunisie aura l’occasion, l’année prochaine, de pouvoir communiquer à tous les autres membres de l’OMC l’état de ses réformes à travers l’examen de sa politique commerciale. Sachant que ces examens sont régulièrement organisés, celui de la Tunisie date de 2005. Beaucoup de choses se sont passées depuis cette date. À travers mes interactions avec des responsables tunisiens, nous aurons probablement l’occasion d’examiner la politique commerciale de la Tunisie l’année prochaine. La Tunisie aura l’occasion de défendre ses droits pour une échéance à très court terme lors de la conférence ministérielle de Bali qui se tiendra au mois de décembre prochain, elle permettra notamment aux différents pays membres de représenter les intérêts commerciaux. Il est important pour les membres de l’OMC, notamment les petites économies qui dépendent plus du système multilatéral, de se conformer davantage à l’OMC. En effet ces petites économies ont le plus besoin de règles commerciales prévisibles, car elles dépendent plus du commerce international, puisque la taille de leurs marchés ne leur permet pas de soutenir seuls leur croissance. Mais il faut remarquer qu’il y a quelques années  que  les règles commerciales multilatérales n’ont pas été mises à jour et à l’OMC nous voyons qu’un fossé se creuse entre la pratique commerciale et les règles existantes. Donc il est absolument important de mettre ces règles à jour. Et cela va être l’un des objectifs de Bali.

 

Quelle autre assistance peut apporter l’OMC pour les petites économies comme la Tunisie en matière de politique commerciale, sachant que la Tunisie est en train de dessiner son nouveau modèle économique ? 

Très clairement et essentiellement établir des règles commerciales et qui sont les mêmes pour tous. Par exemple, en matière de procédures aux douanes, d’importation et d’exportation des marchandises, la Tunisie a fait énormément d’efforts. En fait elle est parmi les rares pays à mettre en place  un système d’import et d’export qui fonctionne bien. Maintenant cela ne suffit pas, mais ce serait encore mieux si les partenaires commerciaux de la Tunisie faisaient la même chose. Les règles claires et stables qu’apportent l’OMC aux petites économies ne servent pas seulement à donner des certitudes aux investisseurs et aux entrepreneurs actuels, mais elles permettent aussi, en temps de crise, d’empêcher ces économies de mettre en place des mesures restrictives, car elles ont pris des engagements légaux à l’OMC. Nous avons vu d’ailleurs la valeur de ces règles au moment de la crise de 2008. Après 2008, plusieurs pays ont tenté de mettre en place des mesures restrictives, mais ils ont fait attention à ne pas entrer en violation avec les règles et les engagements pris avec l’OMC. Ces règles et ces engagements représentent une police d’assurance importante. Si la Tunisie est aujourd’hui intéressée par une ouverture de son marché avec ses voisins immédiats, il serait important qu’elle sache que le partenaire qu’elle visera, devrait être également membre de l’OMC. Aujourd’hui l’Algérie n’est pas membre de l’OMC. Ce qui veut dire qu’il y a un certain nombre de règles multilatérales auxquelles l’Algérie n’est pas encore liée. Il serait dans l’intérêt de la Tunisie que l’Algérie soit également membre de l’OMC. Une fois l’Algérie deviendra membre de l’OMC, elle aura les mêmes droits que les autres 159 membres de l’OMC. L’OMC, ce sont des obligations et surtout des droits. Nous sommes convaincus que la Tunisie a besoin d’assistance, mais la manière dont fonctionne notre système de formation des capacités, notre offre de capacité, se base sur la demande des membres. C’est à la Tunisie de décider de quoi elle a besoin et de soumettre sa demande. Si je suis venue procéder à l’ouverture de ce cours, ce n’est pas uniquement parce que l’ESC a déposé une offre, mais aussi parce que cette demande a été soutenue par le gouvernement tunisien. 

Propos recueillis par 

Najeh Jaouadi

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