Portail symbolique, point obligé de passage des civilisations, Tanger, 5e ville du Maroc, a toujours été plurielle, abondante, généreuse et ce ne sont pas ses habitants qui vous contrediront.
Située dans le nord du Maroc, dans la région du Rif occidental, elle a été et demeure, mais dans une moindre mesure, un pôle d’attraction pour une certaine intelligentsia et des artistes en marge et parfois marginaux.
Une décision malheureuse du roi Mohamed VI a récemment secoué le royaume, rappelant à quel point le tourisme sexuel est encore trop pratiqué et toléré sur le sol marocain. Focus.
Durant toute la période des années 50 et pour ne pas remonter plus loin, Tanger, la «ville des étrangers» comme on la nomme aussi, a vu défiler sur son sol la crème des écrivains du mouvement dit de la Beat generation, précurseurs du mouvement hippie et qui allaient souffler le vent de la révolte et de la contestation sur de nombreuses institutions américaines (universités, médias, culture, etc.).
Le carrefour des pirates
William S. Burroughs, génial auteur du Festin nu, Allen Ginsberg, le nomade sulfureux, Brion Gysin, le technicien psychédélique, Jack Kerouac et son Sur la route… «Vagabonds célestes» et autres scandaleux «allumés de l’ailleurs» renouvelaient, en l’actualisant, le mythe rimbaldien fait de voyages et d’expériences mystiques, souvent induites avec force artifices.
Tanger avait pour avantage d’offrir à ces aventuriers de l’écriture un dépaysement à peu de frais et d’être encore suffisamment à proximité d’une Europe pouvant toujours servir de solution de repli, en cas de besoin… Parmi ces expérimentateurs infatigables, plusieurs, au premier rang desquels William S. Burroughs, inculpé d’homicide involontaire après avoir causé accidentellement la mort de sa femme, avaient eu maille à partir avec la justice du pays d’origine de la plupart d’entre eux, les États-Unis, soit pour obscénité, soit pour atteinte aux bonnes mœurs. Ils trouvèrent à Tanger, à des milliers de kilomètres de l’american way of life, un havre chargé d’histoire, de mystère ainsi qu’un mode de vie farouchement libertaire susceptible d’inspirer leurs œuvres faites de spontanéité et d’improvisation, à l’image du jazz qu’ils adoraient.
Peu réceptifs à la misère qu’ils côtoyaient pourtant au quotidien, c’est surtout la consommation traditionnelle de kif, décliné souvent en maâjoun, associée aux baignades ensoleillées et aux beuveries nocturnes qui les retint longtemps sur place… L’appétit de «chair fraîche» aussi, bon marché et disponible à profusion.
Car au-delà de l’image d’ultime repaire pour flibustiers en perdition, Tanger était aussi réputée pour la permissivité de ses mœurs ; le plus offrant pouvant en effet satisfaire ses moindres fantaisies et lubies en échange de quelques billets.
Et derrière les sourires de l’affection soudoyée, c’était toute la misère d’une ville qui se laissait acheter.
Ancien espion ?
Le 30 juillet dernier, en réponse à une demande formulée par Juan Carlos, le roi Mohamed VI accordait une grâce royale à 48 prisonniers espagnols lors de la fête du trône. Manque de chance pour lui, parmi les amnistiés figurait Daniel Galvan, condamné en 2011 à trente ans de prison par un tribunal marocain pour des viols commis sur onze mineurs.
Lorsque l’information a été relayée par les médias nationaux, l’émoi suscité a été tel que Mohamed VI s’est vu contraint d’annuler sa grâce… Une première pour ce souverain qui s’est efforcé, depuis son intronisation en 1999, de véhiculer une image de «roi des pauvres et de protecteur de la nation.»
Placé en détention préventive sur décision du tribunal de l’Audience nationale de Madrid qui craignait un «risque de fuite», Daniel Galvan fait à présent l’objet d’un mandat d’arrêt international et d’une demande d’extradition prononcée par le Maroc.
Loin du mythe universitaire et romantique du dernier havre pour pirates en rupture de ban alimenté par les écrivains précités, le pédophile incarcéré, mi-espion, mi-mythomane, a renvoyé crument le Maroc face à une certaine réalité : la facilité avec laquelle il reste possible, souvent pour des étrangers, d’utiliser à des fins sexuelles des enfants issus de milieux modestes. À mille lieues de la littérature et de l’extravagance revendiquée de certains de ses auteurs, aussi géniaux fussent-ils, c’est tout un monde d’exploitation et de prédation que révèle la malheureuse décision prise par le souverain marocain.
Installé depuis 2005 à Kénitra, à 40 kilomètres au nord de Rabat, Daniel Galvan, âgé de 60 ans, né de parents irakiens et initialement prénommé Salahedin avant d’obtenir la nationalité espagnole, organisait des fêtes et des animations pour les enfants des familles modestes de son quartier. Entre son installation et son passage devant le tribunal marocain qui l’a condamné, il a abusé de onze enfants âgés de 3 à 15 ans, poussant le sordide jusqu’à filmer ces agressions.
N’ayant pas «l’habitude» de signaler de tels actes, les familles des victimes resteront passives dans un premier temps puis c’est à l’instigation de Me Hamid Krayri, avocat officiant au sein de l’Association marocaine des Droits de l’Homme, qu’elles se décideront finalement à entamer des poursuites…
Quand l’affaire a commencé à s’ébruiter dans les médias, l’émoi et la consternation qu’elle a suscités n’ont pas tardé à s’exprimer publiquement et, vendredi 2 août, une manifestation de plusieurs milliers de personnes a tenté de se rassembler devant le Parlement à Rabat. En réaction, la dispersion effectuée par les forces de l’ordre a été particulièrement féroce, occasionnant plusieurs dizaines de blessés parmi les manifestants, mais aussi parmi les journalistes présents.
Car Daniel Galvan, ancien officier de l’armée irakienne, est de plus soupçonné d’être un espion opérant pour le compte du CNI (Centro National de Inteligencia, l’équivalent de la DGSE française) et sa personnalité laisse planer le doute.
Par ailleurs, selon certains journalistes espagnols et marocains, des pressions exercées sur le gouvernement par les services secrets afin d’obtenir son retour en Espagne ne seraient pas à exclure.
Le Parti socialiste espagnol (Psoe) entend bien demander des éclaircissements au ministre des Affaires étrangères, Jose Manuel Garcia-Margallo et malgré le fait que le CNI a démenti tout lien avec l’individu, le ministre de la Justice marocain, Mustapha Ramid, a quant à lui affirmé dans un communiqué que Galvan avait été libéré pour des «raisons d’intérêt national.»
Pour l’heure les deux gouvernements se débattent dans leur embarras, laissant la population marocaine toute à son dégoût.
Gilles Dohès
Brèves
LIBYE
Incertitudes autour de la manne pétrolière
Jeudi dernier 22 août, la Compagnie nationale libyenne de pétrole a annoncé la levée partielle de l’état de force majeure qu’elle avait déclenché, la veille, au terminal pétrolier de Brega, dans le nord du pays. État également instauré dans les terminaux de Zueitina, Ras Lanouf.
Cette mesure exceptionnelle permet aux autorités de se décharger de toute responsabilité en cas de non-respect de livraison de leurs contrats de pétrole. Sur le site internet de la compagnie, on pouvait lire que «la reprise (à Brega) des exportations, conformément aux normes en vigueur, en coordination avec toutes les parties concernées et les gardes des installations pétrolières» était désormais opérationnelle.
Il faut savoir que les exportations d’hydrocarbures représentent plus de 80% du PIB libyen et que la production normale se situe aux alentours d’1,6 million de barils par jour. Or les conditions actuelles ont entrainé une chute importante puisque la production était de l’ordre de 330.000 barils par jour fin juillet.
Des dissensions entre la NOC et les employés, notamment les gardes des sites qui dénoncent de graves pratiques de corruption et des ventes illégales, ont généré le contexte actuel. Après plusieurs tentatives de conciliation et de pratiques annoncées comme «transparentes», le gouvernement a fini par menacer de faire usage de la force si des ventes de brut étaient effectuées sans son accord.
ALGÉRIE
Complications et rebondissements autour de la 3G
L’opérateur Djezzy — détenu par le groupe russo-norvégien Vimpelcom —, numéro un en Algérie avec 17 millions d’abonnés, pourrait ne pas obtenir de licence 3G.
«Djezzy, relevant d’Orascom Telecom Algérie (OTA) a été pénalisé et il doit régler son dossier avec la Banque d’Algérie pour pouvoir soumissionner pour une licence de téléphonie mobile de 3e génération (3G)», a déclaré le 22 août dernier Moussa Benhamadi, ministre de la Poste et des Technologies de l’information et de la communication.
En effet Djezzy a été condamné en 2010 par la Banque d’Algérie à une amende de 193 millions de dollars pour non-respect de la réglementation des changes, résultat : «l’opérateur Djezzy a été interdit de transférer ses avoirs vers l’étranger et cela l’empêche d’accéder au futur marché de la 3G en Algérie», a rappelé le ministre.
Même si le contentieux a été résolu depuis, Djezzy se trouve toujours dans l’impossibilité d’importer le matériel nécessaire à la 3G, ce qui le pénalise par rapport à ses deux concurrents. La direction de Djezzy se refuse officiellement à tout commentaire.
MAROC
Nouvel accroc entre le roi et le gouvernement islamiste
Dans un discours adressé à la nation à l’occasion du 60e anniversaire de la «Révolution du roi et du peuple» le 20 août dernier, le roi du Maroc Mohamed VI a déploré que le secteur de l’éducation soit «en butte à de multiples difficultés et problèmes.»
Rappelant les acquis et l’adoption d’une «Charte nationale d’éducation et de formation», Mohammed VI a noté que «les gouvernements successifs s’étaient attachés à mettre en œuvre les préconisations de cette Charte, surtout le gouvernement précédent» (NDLR celui d’Abbas El Fassi de 2007 à 2011.)
Alors que «le gouvernement actuel aurait dû capitaliser les acquis positifs cumulés (…) les efforts nécessaires n’ont pas été entrepris pour (les) consolider», a-t-il ajouté. «Pire encore, sans avoir impliqué ou consulté les acteurs concernés, on a remis en cause des composantes essentielles de ce plan», a déploré le roi. Il a même souligné que l’éducation ne doit pas «être l’objet de surenchères ou de rivalités politiciennes.»
Le roi du Maroc, qui est chahuté depuis un mois à la suite d’une grâce accordée par erreur à un pédophile espagnol, a tenu à préciser ses propos afin de rassurer la nation. «Si ton serviteur ne vit pas les difficultés sociales ou matérielles que connaissent certaines catégories de la population, cher peuple, il n’en reste pas moins que nous partageons tous les mêmes préoccupations concernant l’enseignement dispensé à nos enfants», a-t-il conclu.