Cette vérité qui dérange

La publication récente du rapport de la Cour des comptes relatif au déroulement des élections présidentielles 2014, notamment le financement de la campagne des différents candidats en lice lors des deux tours, loin de provoquer un effet utile, a suscité une sorte d’électrochoc dans la classe politique en Tunisie. Le laxisme des données contenues dans ce rapport qui, pourtant, pointe du doigt un candidat, sans le nommer, à l’élection présidentielle accusé d’avoir reçu un financement illicite d’un pays extérieur au cours de sa campagne, a vidé ce document de toute sa substance entamant sérieusement sa pertinence et son caractère indépendant.

La zizanie créée par ce document qui omet de mentionner l’essentiel, à savoir les pays et les associations qui ont accordé ces fonds au candidat au scrutin de 2014 est dommageable pour la démocratie qui ne peut se renforcer et s’épanouir que par l’égalité de tous devant la loi, la transparence et la diffusion d’informations pertinentes, complètes et dont la traçabilité ne peut souffrir d’aucun doute.
Pour la première fois qu’une institution constitutionnelle ait la possibilité de rédiger son rapport sur un processus électoral, considéré comme historique, en toute indépendance, une énorme frustration a été ressentie dans la mesure où les auteurs se sont gardés de dire la vérité, toute la vérité aux Tunisiens. Cela peut-il nous amener à souscrire l’idée que « lorsque la vérité dérange, faut-il préférer l’illusion qui réconforte » ?
A l’évidence, l’on est en droit de dire a qui profite cette forme de censure ? A personne. Alors que le débat aurait dû se focaliser sur les enseignements à tirer de ce scrutin, les moyens pour parer à toutes carences et irrégularités et les mesures qui devraient être prises pour protéger les candidats à tomber dans le piège du financement occulte de leurs campagnes, on a eu droit à des réactions de dépit, voire même, de dénonciation de certains candidats qui se sont empressés de nier les faits qui leur sont reprochés, à des règlements de compte orchestrés sur les réseaux sociaux relayés abusivement par certains médias et à des menaces de poursuite pour diffamation et diffusion de fausses nouvelles par certains.
Ce qui est censé marquer une phase lumineuse dans le processus de transition de notre pays vers la démocratie, est devenu un non-événement. Au lieu d’analyser des faits, le rapport a favorisé rumeurs, interprétations hâtives et non fondées et alimenté un faux débat. Si les rédacteurs du rapport sont en possession de faits réels et de preuves tangibles qui les ont poussés à remettre le dossier aux juges compétents, n’aurait-il pas valu qu’ils ne cèdent pas à une attitude réservée dont l’aboutissement a été la diffusion d’une information tronquée et incomplète qui a provoqué l’effet opposé de ce qui est attendu ?
Tout en reconnaissant le principe sacro-saint de la présomption d’innocence et loin de toute velléité de porter atteinte à l’honorabilité des candidats ou de règlement de compte, la logique recommande de ne pas laisser planer le doute et l’approximation. Etant un document qui s’inscrit en droite ligne de la construction de la démocratie dans notre pays, il a perdu son caractère de référence en laissant libre cours aux supputations et aux surenchères les plus fantaisistes.
Sous d’autres cieux, où la pratique démocratique est ancrée et les institutions républicaines tirent leur fierté et leur solennité de leur indépendance, on n’aurait jamais hésité à mettre en exergue les insuffisances et les irrégularités et pour appeler un chat un chat.
Pour des infractions d’une moindre gravité, l’ancien président français Nicolas Sarkozy, a été épinglé par la Commission nationale française des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) qui a rejeté les comptes de sa campagne, l’a obligé de rembourser des frais pour le simple fait d’organisation d’un meeting à Toulon en 2011. La justice a été saisie de l’affaire pour « abus de confiance », « complicité » et « recel » contre l’ancien président français pour avoir dépassé le plafond des dépenses.
Outre l’égalité de tous devant la loi, la démocratie exige transparence, protection des libertés et consécration de l’indépendance des institutions républicaines qui ne devraient pas subir la pression des pouvoirs politiques, ni être manipulées par eux. Sans mettre en doute l’indépendance de la Cour des comptes, ni la compétence de ses juges, nous osons dire que ce rapport, tant attendu après un scrutin dont toute la communauté internationale a loué la transparence et le caractère libre, a manqué partiellement sa cible. Le doute, les fausses interprétations et les accusations hâtives qu’il a laissés planer, auraient pu être facilement évités en omettant seulement de dire les choses à moitié. A trop vouloir éviter les susceptibilités, on est tombé dans le travers de mettre tous les candidats en lice pour les élections présidentielles de 2014 dans le même sac, provoquant de surcroit bien des situations embarrassantes et une confusion inutile.

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