Si la porte du FMI reste fermée, celle des BRICS, avec leur Nouvelle banque de développement, pourrait s’ouvrir devant la Tunisie. C’est le porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois qui l’a assuré lors d’une conférence de presse, lundi 10 avril, soulignant que son pays est ouvert à toute nouvelle intégration au groupe, y compris celle de pays en voie de développement. Les BRICS, qui représentent déjà 31% du PIB mondial et 41% de la population mondiale, comptent ratisser large pour réaliser leur objectif, mettre fin à l’hégémonie d’un seul pays sur le monde entier (les Etats-Unis et le dollar) et instaurer un nouvel ordre mondial plus équilibré et plus juste entre le Nord et le Sud et entre l’Est et l’Ouest.
C’est la guerre russo-ukrainienne, devenue une guerre armée et économique entre la Russie et l’OTAN, qui a précipité les choses. L’escalade progresse et les espoirs de négociations de paix s’amenuisent. Si la Russie a perdu son pari d’éloigner l’OTAN de ses frontières avec l’intégration de la Finlande et prochainement de la Suède dans l’alliance atlantiste, le camp Etats-Unis-Union européenne a également perdu la main sur d’anciens importants pays alliés, tels que l’Arabie saoudite qui a scellé des alliances stratégiques avec la Chine et la Russie, et son hégémonie sur plusieurs autres pays du Moyen-Orient, d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine.
La Tunisie pourrait suivre le même chemin, par besoin, pour desserrer l’étau infligé par le FMI et les pays occidentaux qui exigent de la Tunisie de passer sans plus tarder à l’application des réformes avant de pouvoir bénéficier du prêt du FMI (1,9 milliard de dollars). Des réformes que les autorités politiques ne refusent pas d’engager, telles que la levée de la compensation, mais souhaiteraient le faire progressivement au fur et à mesure que le gouvernement aura les moyens d’appliquer des mesures d’accompagnement afin d’éviter une trop forte pression sur le quotidien déjà difficile des citoyens et qui mettrait en péril la paix sociale. Devant l’intransigeance du FMI, malgré la crise qui s’enlise et la dégradation vertigineuse du pouvoir d’achat des Tunisiens, les autorités tunisiennes ont été contraintes de réfléchir à d’autres alternatives.
Etant donné que tout autre financement extérieur dépend de l’accord du prêt du FMI, la seule opportunité qui reste pour la Tunisie est le recours aux BRICS qui, semble-t-il, ne ferment pas leurs portes devant les pays en difficulté. C’est une opportunité à saisir mais elle n’exclut pas le fait qu’il soit salutaire et nécessaire pour la Tunisie de procéder aux réformes économiques et sociales afin de relancer l’économie nationale. Des réformes qui devront corriger les erreurs incommensurables commises par des dirigeants incompétents au cours de la décennie noire (2011-2021). La levée de la compensation, la maîtrise des salaires dans la fonction publique, la privatisation de quelques entreprises publiques déficitaires sont de lourds fardeaux dont l’Etat devra se débarrasser, mais cela ne sera salutaire pour la Tunisie que quand les investissements auront afflué et que l’économie aura décollé.
La Tunisie peut donc compter sur des pays amis prêts à l’aider et « à ne pas la laisser s’effondrer », quelle que soit la situation, c’est le cas de l’Algérie, et sur de nouvelles alliances, telles que les BRICS qui prônent « le respect mutuel » entre tous leurs membres, dont la plupart ont souffert d’un ordre international régi par la domination d’un pays et ses alliés, la marginalisation des plus vulnérables et les sanctions économiques.
Kaïs Saïed a tranché vis-à-vis du FMI en rejetant ses « diktats », un choix douloureux, inévitable et non sans conséquences. Si un changement de cap est confirmé, le plan de réformes de Bouden tombe à l’eau et tout est à refaire alors que la situation est des plus critiques, la Tunisie étant menacée de cessation de paiement si elle n’obtient pas de financements extérieurs dans les plus brefs délais. Par ailleurs, un tel changement de cap mérite des concertations et un consensus entre les différentes forces économiques et sociales du pays. Ce que Saïed continue de refuser. L’aventure est trop risquée, par manque de temps et de moyens, sauf si l’aide financière des BRICS est rapide. En l’absence d’informations officielles sur le sujet, les autorités politiques étant toujours avares de communication, c’est le sentiment d’incertitude et de peur de l’inconnu qui prévaut. Un climat malsain que l’opposition exploite pour entretenir la tension et accentuer le bras de fer avec Kaïs Saïed.
Visiblement contrarié par le soutien qu’apporte l’Algérie à la Tunisie et par la promesse du président algérien de ne pas laisser la Tunisie s’effondrer, le chef de file du Front du salut rejette ce qu’il considère comme étant une « ingérence » dans une allocution prononcée le 9 avril lors d’un sit-in à l’Avenue Bourguiba. Une ingérence qu’il ne refuse toutefois pas aux Américains et aux Européens qu’il ne cesse de solliciter pour faire changer le cours des événements en Tunisie, en l’occurrence pour mettre un terme au « putsch » du 25 juillet 2021. C’est là toute l’incohérence de Chebbi qui confirme implicitement la thèse du complot pour laquelle une instruction judiciaire est en cours et que le Front du salut réfute.
Sinon, comment faut-il appeler l’insistance de certains hommes politiques et d’anciens responsables politiques exhortant des pays étrangers et des instances internationales à ne pas aider leur pays en grande difficulté ?
La Tunisie pourrait obtenir satisfaction auprès des BRICS, mais les tensions politiques ne jouent pas en sa faveur, même si l’Algérie, qui prépare sa candidature pour intégrer ce groupe, se dit prête à l’aider, et que récemment, le ministre des Affaires étrangères, Nabil Ammar, a eu un entretien téléphonique avec son homologue russe, Sergeï Lavrov. Ces mêmes tensions ont dégradé les relations avec le FMI et les partenaires occidentaux et empêchent la Tunisie d’avancer sur le chemin des réalisations et du développement. Les changements géostratégiques qui sont en train d’être opérés dans le monde sont une occasion pour tous les pays de se repositionner par rapport aux nouveaux enjeux. La Tunisie ne semble pas en faire partie et se laisse empêtrée dans une crise politique sans fin qui est en train de tout brûler sur son chemin. Or la Tunisie qui, dans son histoire, n’a toujours eu que des amis, est en mesure de préserver ses anciennes amitiés, de bâtir de nouvelles alliances et de régler la crise politique qui la saborde.
Kaïs Saïed voit les choses autrement. Il veut d’abord lutter contre la corruption et régler l’ardoise de la décennie 2011-2021, au risque de rater le rendez-vous de la relance économique et d’implanter un virus dévastateur au sein de la société tunisienne : la haine entre les Tunisiens. Il est grand temps qu’il y pense.
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