Changements climatiques et politiques : Les cigales ne chantent plus

La saison des cigales bat son plein et pourtant, le chant de ces insectes s’est fait moins audible cet été. Le changement climatique et ses épisodes plus fréquents et plus intenses de canicule et de sécheresse seraient, selon les spécialistes de l’environnement et de l’écologie, à l’origine de cette morosité ambiante conséquente à un bouleversement dans les habitudes de cet insecte sympathique (dérèglement du cycle producteur) dont les chants ont toujours bercé les longues siestes estivales et les soirées caniculaires

Des cigales d’un tout autre genre ont également souffert cet été. Il y en a qui risquent de perdre la voix. Celles-ci ont pour niche, les planches de théâtre et les scènes de spectacle qui s’animent pendant la saison des festivals et s’ouvrent aux publics assoiffés de défoulement. Plus résistantes à la canicule, elles le sont moins contre les vagues de critiques et les campagnes de calomnies qui entachent la réputation des uns et la carrière des autres. 
La liberté d’expression, un des plus grands acquis du séisme politique de 2011, n’a pas de limites pour bon nombre de Tunisiens, mais elle a un prix, pour tous. Lamine Nahdi en a été alerté par son public, désormais plus averti, plus rompu à l’exercice démocratique malgré toutes les dérives et les vicissitudes ; il doit se mettre au niveau des bouleversements politiques et sociaux et rafraîchir ses textes artistiques. Lotfi Abdelli a été mis en garde par un public qui n’est pas le sien, contre la tentation d’user de la liberté d’expression pour avilir et opprimer ceux et celles qui n’ont pas le privilège de monter sur scène comme lui, de s’adresser au public et qui sont contraints au silence par nécessité professionnelle. Ce ne sont là que deux exemples mais la morale de l’histoire s’adresse à tous les artistes et à tous les politiques: la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres. 

Morosité générale
En termes de morosité ambiante, il y a lieu d’admettre qu’elle est plus générale, plus profonde. Sur le plan politique, au désert communicationnel dans lequel baigne la présidence de la République s’ajoute une opposition en manque d’assise populaire et de renouveau, coincée dans les paradigmes et les clichés des années 60 et 80,  pathétique, pleurnicheuse, assistée par les pressions étrangères. Seuls sujets d’animation de l’actualité nationale, l’affaire des 57 magistrats révoqués et la contre-décision du Tribunal administratif qui creuse davantage  la crise et élargit le fossé entre l’imperturbable président de la République et le front des magistrats unis contre toute atteinte extérieure à la corporation. Le rejet de la décision du tribunal est justifié par le ministère de la Justice qui a précisé dans un communiqué publié le dimanche 14 août courant que « les magistrats révoqués font l’objet de poursuites pénales conformément aux dispositions du décret-loi n°35 du 1er juin 2022 ». Vient en second lieu, ce que la plupart des Tunisiens vivent comme une offense, une humiliation pour leur nation, l’indélicate ingérence des autorités politiques américaines dans les choix politiques des Tunisiens par voie démocratique. La nouvelle Constitution a été adoptée par voie référendaire, au moyen d’un vote transparent. Quant au faible taux de participation, prétexte de l’ingérence sous la pression des boycotteurs du référendum, il n’a jamais été un motif d’annulation des résultats d’élections dans aucun pays démocratique occidental. Les représentants du front d’opposition sont bien silencieux depuis que cette ingérence étrangère inhabituelle a provoqué une levée de boucliers nationale et mis à l’index ceux qui « chantent » hors de l’hymne national. 
Sur le plan économique, les horizons sont encore plus flous et plus sombres. Aux défis endémiques de la dette publique et du déficit budgétaire de l’Etat se sont ajoutés les dommages collatéraux de la guerre en Ukraine : flambée des prix des produits alimentaires et énergétiques et pénuries qui menacent de famine les pays pauvres et en voie de développement. La Tunisie se classe parmi les pays les plus à risque en termes de disette, les plus riches ayant déjà pris des mesures de restriction, notamment en consommation alimentaire et énergétique. Ce n’est pas le cas en Tunisie. Les autorités publiques ne semblent pas s’en inquiéter outre mesure. Aucune décision de rationalisation de la consommation  énergétique n’a été à ce jour décrétée, à l’exception des augmentations du prix des carburants à la pompe décidées dans le cadre de la réforme du système de compensation, en vertu des réformes économiques engagées par le gouvernement Bouden, suite aux négociations avec le FMI. 
La rentrée politique et sociale s’annonce chaude, sous nos cieux et ailleurs. Des grèves et des mouvements de protestation sont déjà annoncés. Les effets économiques et sociaux de la guerre en Ukraine font monter les tensions, les voix de plus en plus dissidentes et les écologistes haussent le ton contre le retour au charbon et au nucléaire pour remplacer le gaz russe sous sanctions occidentales. Sous  nos cieux, la nouvelle loi électorale va de nouveau faire monter les vagues de la colère et de la protestation, si Kaïs Saïed continue à faire la sourde oreille au sujet des appels au dialogue national, surtout ceux émanant du camp pro-25 juillet. 
La saison des cigales a bien changé, elle n’a plus le même arôme ni le même sens. Même la fête du 13 août a perdu de son aura, comme si la célébration haute en couleur et en notes musicales de la femme était le fort de l’ancien régime, tombé le 14 janvier 2011. Le grand bouleversement politique qui a engagé le processus démocratique a fait taire les cigales qui chantaient l’émancipation de la femme tunisienne pour les remplacer par des voix militantes et d’autres opportunistes  qui revendiquent plus de droits, l’égalité à l’héritage et des salaires. Les temps de disette sont bien là. 

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