Chawki Gaddes, Juriste spécialiste en droit public
Quelles sont, d’après vous, les priorités politiques du prochain gouvernement ?
Il faut préciser d’emblée que, contrairement à l’idée répandue, la Tunisie n’est pas encore sortie de la transition, elle continue même à s’y débattre. Je pense que ce serait une erreur monumentale de penser qu’avec l’adoption de la Constitution, la transition est terminée. La transition s’achèvera quand on terminera de mettre en place toutes les institutions de l’Etat.
Il y a encore un long chemin à faire.
Quelles sont ces institutions à mettre en place ?
La liste est longue. J’ai eu la bonne surprise de voir, récemment, le premier jalon de la mise en place de ces nouvelles institutions à travers le projet de texte sur le Conseil supérieur de la magistrature. L’une des plus importantes institutions de l’Etat. On est en train de mettre en place le gouvernement et ainsi les deux têtes de l’Exécutif seront en place. Le pouvoir législatif est déjà à l’œuvre. Il faut s’attaquer maintenant au pouvoir judicaire. Dans la Constitution, et particulièrement l’article 148, il y a une obligation à mettre en place et de voir fonctionner le Conseil supérieur de la magistrature, six mois après les élections législatives, ce qui nous donne un délai incompressible jusqu’au 21 mai de cette année.
Le projet de texte sur le Conseil supérieur de la magistrature a été présenté officiellement par le ministère de la Justice dans ce qui peut être considéré comme le dernier acte de Hafedh Ben Salah. Il reste à examiner ce projet en conseil des ministres – après l’installation du nouveau gouvernement – et son adoption par l’ARP. Cela va prendre du temps, mais il y a encore de l’espoir pour voir la nomination des membres du conseil et de le voir fonctionnel avant la date buttoir du 21 mai.
Autre institution, la Cour constitutionnelle, dont la création doit survenir une année après les élections législatives, soit avant le 21 novembre 2015. A ma connaissance, aucun projet de texte n’est en cours d’élaboration.
D’autres actions doivent être mises en œuvre, à savoir le quatrième pouvoir dans la Constitution, qu’est le pouvoir local. Celui-ci crée trois niveaux d’institutions de structures locales qui sont les municipalités, les régions et les grandes régions. Pour cela, il va falloir, sur la base des treize articles dans la Constitution, faire ce qu’on a voulu dénommer le code de la décentralisation. Il faut concevoir un texte qui appliquera ces treize articles sur l’organisation et sur la structure du pouvoir local. A cet effet, il faudrait répondre à ces questions ; quelle forme pour les communes ? Quel pouvoir vont-elles avoir devant le pouvoir central qui est le gouvernement ?
Tout ce dispositif doit être prêt pour pouvoir passer au chapitre réservé aux élections locales. Le ministère de l’Intérieur ou la direction générale des collectivités locales a espoir de pouvoir organiser les élections avant la fin de l’année, car la situation des délégations spéciales devient intenable.
Plus important, l’article 131 stipule que les trois niveaux, les communes, les régions et les grandes régions doivent couvrir la totalité du territoire national, alors que nous avons 264 communes et 54 en projets de création. Voyez-vous dans quel pétrin on se trouve ! Avec ce nombre, on arrivera à couvrir seulement 40% du territoire, ce qui voudra dire théoriquement en respectant les textes de la Constitution, on ne pourra pas organiser d’élections communales constitutionnellement acceptables sans qu’on termine de couvrir tout le territoire. Il y a la justice administrative qu’il faut revoir, car si nous voulons avoir des élections communales transparentes, il faut réfléchir sur des juges compétents à même de régler tout contentieux. Il faudrait que le juge administratif se délocalise et, comme le prévoit le texte, créer des antennes de la justice administrative dans les différentes régions pour pouvoir gérer tout cela.
Indiscutablement, il existe d’autres chantiers à engager, il faut, par exemple, revoir les textes sur les associations, les partis politiques, les libertés, l’économie, les finances, la sécurité, le terrorisme et l’accès à l’information. D’ailleurs, le décret-loi sur l’accès aux documents administratifs proposé depuis près de deux ans par le chef du gouvernement, dont le texte est fin prêt, n’est pas encore passé à la chambre. Il y a également des remaniements importants à introduire dans plusieurs textes en rapport, par exemple, à la protection des données personnelles. L’institut des études stratégique doit absolument être revu, pour qu’il puisse jouer son rôle de cellule de réflexion pour l’avenir. Il existe une institution complètement marginalisée mais qui joue un rôle très important dans une société démocratique, il s’agit du médiateur administratif, qui relève de la présidence de la République, alors qu’il faudrait lui donner son autonomie et les moyens d’accomplir sa mission.
Que doit faire le gouvernement pour concrétiser tous ces chantiers sans faire de faux pas ?
Je crois que le gouvernement va recourir à des compétences indépendantes qui vont élaborer un projet de texte qu’ils soumettront aux politiques pour le discuter puis le voter. Pour qu’il y ait des projets de lois défendables et pérennes, l’implication de la société civile dans leur conception est incontournable. Il est impensable que le parlement ait le temps et les compétences pour préparer ces projets. Seules l’administration et la société civile sont capables de présenter des projets de loi. Cela requiert, à n’en point douter de prendre du recul et faire mûrir les textes qui devrait faire l’objet d’un large débat public groupant toutes les parties prenantes. Dans quel cadre cela pourrait être fait. Moi je propose que le gouvernement et le président de la République, qui a un pouvoir d’initiative législative, doivent mettre en place des Think Tank et des cercles de réflexion sur ces questions importantes.
Quel risque empêchera la réalisation de ces chantiers à temps ?
Incontestablement l’instabilité et l’amateurisme politique se présentent comme un obstacle sérieux. Le régime parlementaire est plus adéquat pour un pays assez stabilisé dans la démocratie. Pour un pays en transition, comme le nôtre, la question est toute autre. Les risques de dérive sont toujours présents.
Aujourd’hui, les partis ne connaissent pas vraiment leur poids sur la scène politique. Nidaa Tounes, qui était crédité de plus d’un million et demi de voix, ne sait pas si ces voix sont le reflet de son poids ou la conséquence d’un vote utile. Tant qu’il n’y aura pas d’autres consultations populaires, on ne pourra pas savoir le poids réel de ces formations politiques. Bien plus, aucun parti ne pourra avoir une majorité confortable. A cause de cet effritement du pouvoir, Nidaa ne pourra pas gouverner seul. A quelle condition ses alliés seront-ils au pouvoir ? Nos politiciens n’ont jamais fait vraiment de la vraie politique avant la Révolution. Regardez la Grèce, en crise depuis près de cinq ans, elle vient de réussir des élections et créer la surprise en élisant un chef de gouvernement jeune de quarante ans qui est parvenu à former son gouvernement en seulement quatre jours.
Pour la Tunisie, cela fait trois mois qu’on connaît le vainqueur des élections législatives et le gouvernement n’est pas encore mis en place. On appelle ça de l’amateurisme politique. Il aurait fallu, faire par exemple, qu’il prépare un projet de gouvernement et le glisser discrètement à trois ou quatre journalistes et apprécier le feed-back afin de savoir si cette copie pourrait bénéficier de la confiance de l’ARP. Il faut rappeler qu’au cours des années 80 et 90, l’Italie était en crise politique permanente avec un changement de gouvernement presque tous les mois. J’espère qu’on n’arrive pas à ce stade. Nous n’avons pas une structuration de la vie politique et de la vie partisane qui permet une certaine stabilité. Nous avons une mosaïque de partis (plus de 180) dont près de 20 représentés à l’ARP et quatre ayant un poids prééminent, ce qui va poser le problème récurrent de la stabilité du gouvernement.
Le problème ne se pose-t-il pas avec la même insistance à l’ARP ?
Absolument. Regardez les discussions rigolotes sur la définition de l’opposition. Je me suis amusé à aller chercher partout dans le droit à l’international, une définition de l’opposition. Je ne l’ai trouvée nulle part. Pourquoi perdre un temps si précieux à trouver un texte juridique qui n’existe pas ? Un non-sens ! Pourtant, on est dans l’opposition quand on ne gouverne pas, c’est tellement évident. Par contre, la question de l’opposition se posera dans le choix de la présidence de la commission des finances qui lui revient de droit. Parce que si vous avez cinq partis au gouvernement, quel parti va présider la commission des finances ? Ça va être difficile de faire travailler tout le monde en symbiose et de pouvoir dépasser facilement ce genre de dissensions.
Qeulles sont, d’après vous, les priorités politiques du prochain gouvernement ?
Il faut préciser d’emblée que, contrairement à l’idée répandue, la Tunisie n’est pas encore sortie de la transition, elle continue même à s’y débattre. Je pense que ce serait une erreur monumentale de penser qu’avec l’adoption de la Constitution, la transition est terminée. La transition s’achèvera quand on terminera de mettre en place toutes les institutions de l’Etat.
Il y a encore un long chemin à faire.
Quelles sont ces institutions à mettre en place ?
La liste est longue. J’ai eu la bonne surprise de voir, récemment, le premier jalon de la mise en place de ces nouvelles institutions à travers le projet de texte sur le Conseil supérieur de la magistrature. L’une des plus importantes institutions de l’Etat. On est en train de mettre en place le gouvernement et ainsi les deux têtes de l’Exécutif seront en place. Le pouvoir législatif est déjà à l’œuvre. Il faut s’attaquer maintenant au pouvoir judicaire. Dans la Constitution, et particulièrement l’article 148, il y a une obligation à mettre en place et de voir fonctionner le Conseil supérieur de la magistrature, six mois après les élections législatives, ce qui nous donne un délai incompressible jusqu’au 21 mai de cette année.
Le projet de texte sur le Conseil supérieur de la magistrature a été présenté officiellement par le ministère de la Justice dans ce qui peut être considéré comme le dernier acte de Hafedh Ben Salah. Il reste à examiner ce projet en conseil des ministres – après l’installation du nouveau gouvernement – et son adoption par l’ARP. Cela va prendre du temps, mais il y a encore de l’espoir pour voir la nomination des membres du conseil et de le voir fonctionnel avant la date buttoir du 21 mai.
Autre institution, la Cour constitutionnelle, dont la création doit survenir une année après les élections législatives, soit avant le 21 novembre 2015. A ma connaissance, aucun projet de texte n’est en cours d’élaboration.
D’autres actions doivent être mises en œuvre, à savoir le quatrième pouvoir dans la Constitution, qu’est le pouvoir local. Celui-ci crée trois niveaux d’institutions de structures locales qui sont les municipalités, les régions et les grandes régions. Pour cela, il va falloir, sur la base des treize articles dans la Constitution, faire ce qu’on a voulu dénommer le code de la décentralisation. Il faut concevoir un texte qui appliquera ces treize articles sur l’organisation et sur la structure du pouvoir local. A cet effet, il faudrait répondre à ces questions ; quelle forme pour les communes ? Quel pouvoir vont-elles avoir devant le pouvoir central qui est le gouvernement ?
Tout ce dispositif doit être prêt pour pouvoir passer au chapitre réservé aux élections locales. Le ministère de l’Intérieur ou la direction générale des collectivités locales a espoir de pouvoir organiser les élections avant la fin de l’année, car la situation des délégations spéciales devient intenable.
Plus important, l’article 131 stipule que les trois niveaux, les communes, les régions et les grandes régions doivent couvrir la totalité du territoire national, alors que nous avons 264 communes et 54 en projets de création. Voyez-vous dans quel pétrin on se trouve ! Avec ce nombre, on arrivera à couvrir seulement 40% du territoire, ce qui voudra dire théoriquement en respectant les textes de la Constitution, on ne pourra pas organiser d’élections communales constitutionnellement acceptables sans qu’on termine de couvrir tout le territoire. Il y a la justice administrative qu’il faut revoir, car si nous voulons avoir des élections communales transparentes, il faut réfléchir sur des juges compétents à même de régler tout contentieux. Il faudrait que le juge administratif se délocalise et, comme le prévoit le texte, créer des antennes de la justice administrative dans les différentes régions pour pouvoir gérer tout cela.
Indiscutablement, il existe d’autres chantiers à engager, il faut, par exemple, revoir les textes sur les associations, les partis politiques, les libertés, l’économie, les finances, la sécurité, le terrorisme et l’accès à l’information. D’ailleurs, le décret-loi sur l’accès aux documents administratifs proposé depuis près de deux ans par le chef du gouvernement, dont le texte est fin prêt, n’est pas encore passé à la chambre. Il y a également des remaniements importants à introduire dans plusieurs textes en rapport, par exemple, à la protection des données personnelles. L’institut des études stratégique doit absolument être revu, pour qu’il puisse jouer son rôle de cellule de réflexion pour l’avenir. Il existe une institution complètement marginalisée mais qui joue un rôle très important dans une société démocratique, il s’agit du médiateur administratif, qui relève de la présidence de la République, alors qu’il faudrait lui donner son autonomie et les moyens d’accomplir sa mission.
Que doit faire le gouvernement pour concrétiser tous ces chantiers sans faire de faux pas ?
Je crois que le gouvernement va recourir à des compétences indépendantes qui vont élaborer un projet de texte qu’ils soumettront aux politiques pour le discuter puis le voter. Pour qu’il y ait des projets de lois défendables et pérennes, l’implication de la société civile dans leur conception est incontournable. Il est impensable que le parlement ait le temps et les compétences pour préparer ces projets. Seules l’administration et la société civile sont capables de présenter des projets de loi. Cela requiert, à n’en point douter de prendre du recul et faire mûrir les textes qui devrait faire l’objet d’un large débat public groupant toutes les parties prenantes. Dans quel cadre cela pourrait être fait. Moi je propose que le gouvernement et le président de la République, qui a un pouvoir d’initiative législative, doivent mettre en place des Think Tank et des cercles de réflexion sur ces questions importantes.
Quel risque empêchera la réalisation de ces chantiers à temps ?
Incontestablement l’instabilité et l’amateurisme politique se présentent comme un obstacle sérieux. Le régime parlementaire est plus adéquat pour un pays assez stabilisé dans la démocratie. Pour un pays en transition, comme le nôtre, la question est toute autre. Les risques de dérive sont toujours présents.
Aujourd’hui, les partis ne connaissent pas vraiment leur poids sur la scène politique. Nidaa Tounes, qui était crédité de plus d’un million et demi de voix, ne sait pas si ces voix sont le reflet de son poids ou la conséquence d’un vote utile. Tant qu’il n’y aura pas d’autres consultations populaires, on ne pourra pas savoir le poids réel de ces formations politiques. Bien plus, aucun parti ne pourra avoir une majorité confortable. A cause de cet effritement du pouvoir, Nidaa ne pourra pas gouverner seul. A quelle condition ses alliés seront-ils au pouvoir ? Nos politiciens n’ont jamais fait vraiment de la vraie politique avant la Révolution. Regardez la Grèce, en crise depuis près de cinq ans, elle vient de réussir des élections et créer la surprise en élisant un chef de gouvernement jeune de quarante ans qui est parvenu à former son gouvernement en seulement quatre jours.
Pour la Tunisie, cela fait trois mois qu’on connaît le vainqueur des élections législatives et le gouvernement n’est pas encore mis en place. On appelle ça de l’amateurisme politique. Il aurait fallu, faire par exemple, qu’il prépare un projet de gouvernement et le glisser discrètement à trois ou quatre journalistes et apprécier le feed-back afin de savoir si cette copie pourrait bénéficier de la confiance de l’ARP. Il faut rappeler qu’au cours des années 80 et 90, l’Italie était en crise politique permanente avec un changement de gouvernement presque tous les mois. J’espère qu’on n’arrive pas à ce stade. Nous n’avons pas une structuration de la vie politique et de la vie partisane qui permet une certaine stabilité. Nous avons une mosaïque de partis (plus de 180) dont près de 20 représentés à l’ARP et quatre ayant un poids prééminent, ce qui va poser le problème récurrent de la stabilité du gouvernement.
Le problème ne se pose-t-il pas avec la même insistance à l’ARP ?
Absolument. Regardez les discussions rigolotes sur la définition de l’opposition. Je me suis amusé à aller chercher partout dans le droit à l’international, une définition de l’opposition. Je ne l’ai trouvée nulle part. Pourquoi perdre un temps si précieux à trouver un texte juridique qui n’existe pas ? Un non-sens ! Pourtant, on est dans l’opposition quand on ne gouverne pas, c’est tellement évident. Par contre, la question de l’opposition se posera dans le choix de la présidence de la commission des finances qui lui revient de droit. Parce que si vous avez cinq partis au gouvernement, quel parti va présider la commission des finances ? Ça va être difficile de faire travailler tout le monde en symbiose et de pouvoir dépasser facilement ce genre de dissensions.
Propos recueillis par Najeh Jaouadi