Le cancer du sein demeure un enjeu de santé publique majeur en Tunisie, avec une hausse inquiétante des cas diagnostiqués chaque année. Les chiffres dévoilés au cours de l’Octobre rose et liés au cancer du sein virent au rouge : le cancer du sein représente 30 % des cancers féminins en Tunisie, avec 4 346 nouveaux cas en 2023 contre 3 884 en 2022. Ces chiffres annoncés récemment par la coordinatrice du Programme national de lutte contre le cancer à la direction des soins de santé de base au ministère de la Santé, Soumaya Mansouri Henchiri, rappellent l’importance du dépistage précoce mais aussi des soins post-cancer, parmi lesquels la reconstruction mammaire. Cette intervention chirurgicale représente un véritable symbole d’espoir pour les femmes ayant subi une mastectomie à la suite d’un cancer du sein. Loin d’être une simple intervention médicale, cette chirurgie permet aux patientes de retrouver non seulement leur corps, mais aussi leur confiance en soi.
A l’Institut Salah Azaïez de Tunis (ISA), l’équipe médicale, composée de chirurgiens alliant expertise et humanité, travaille sans relâche pour offrir une seconde chance à des centaines de patientes, en leur permettant de se réconcilier avec leur image corporelle après une mastectomie. Réalités a rencontré trois de ces professionnels, à savoir Dr Mohamed Radhi Ben Naceur, chirurgien plasticien, Dr Yasmine Fertani, chirurgienne oncologue et Dr Amira Gallas, chirurgienne plasticienne, pour discuter de leur mission centrée sur l’accompagnement des femmes dans leur parcours vers la guérison et la reconstruction de soi.
Le cancer du sein impose parfois une intervention chirurgicale radicale : la mastectomie. Cette intervention est réalisée lorsque les conditions ne permettent pas de faire une chirurgie conservatrice. Il s’agit de la résection chirurgicale, partielle ou totale, d’un sein ou des deux. Elle est souvent proposée comme traitement du cancer du sein ou à titre de précaution. Elle se fait aussi parfois dans un but prophylactique chez certaines femmes chez qui on soupçonne un risque élevé de cancer du sein afin de prévenir la maladie plutôt que d’avoir à la traiter. Cette intervention chirurgicale constitue une étape difficile physiquement et psychologiquement pour de nombreuses patientes. Pour atténuer cette épreuve, la reconstruction mammaire permet de restaurer une apparence naturelle du sein, facilitant la guérison émotionnelle.
« La reconstruction mammaire consiste à restituer un volume et une forme proche de celle du sein d’origine », explique Dr Mohamed Radhi Ben Naceur, chirurgien plasticien à l’ISA depuis avril 2016. Et d’ajouter que « ce sont des interventions qui se déroulent généralement en trois étapes, espacées de quelques mois pour permettre une meilleure cicatrisation et adaptation de la patiente à son nouveau corps. »
Avec une expertise croissante dans ce domaine, l’Institut Salah Azaïez pratique aujourd’hui environ quatre à cinq reconstructions mammaires par semaine, soit environ 260 interventions par an. Ces interventions sont le fruit d’une évolution importante depuis les années 1990.
« Depuis mon arrivée à l’ISA en avril 2016, j’ai réalisé ces interventions de manière continue. Cependant, il est important de souligner que ces opérations de reconstruction mammaire sont pratiquées à l’Institut depuis le début des années 90 », précise Dr Mohamed Radhi Ben Naceur.
Aujourd’hui, grâce aux efforts d’une équipe soudée, cette chirurgie est devenue une étape essentielle du parcours post-cancer pour de nombreuses patientes à l’ISA.
Une option pour toutes ?
Dr Mohamed Radhi Ben Naceur, chirurgien plasticien
Une question cruciale que se posent souvent les femmes concernées est celle de leur éligibilité à une reconstruction mammaire.
Pour répondre à cette question, Dr Ben Naceur assure que toutes les patientes peuvent bénéficier d’une reconstruction mammaire. Les seules contre-indications à la reconstruction mammaire secondaire après un traitement sont celles qui s’appliquent à toute intervention chirurgicale sous anesthésie générale. Pour les patientes qui ne peuvent pas bénéficier d’une reconstruction immédiate, c’est-à-dire réalisée simultanément à la chirurgie d’ablation, il s’agit généralement de celles atteintes de cancers du sein inflammatoires. En revanche, pour toutes les autres patientes, la reconstruction mammaire immédiate est envisageable.
« Presque toutes les femmes peuvent bénéficier d’une reconstruction mammaire. Même celles ayant des tumeurs évoluées ou des métastases peuvent envisager cette option, à condition qu’il n’y ait pas de contre-indications liées à l’anesthésie », a-t-il précisé.
Le processus de reconstruction varie donc en fonction de l’état de santé général de la patiente et de la nature de la tumeur. Dans certains cas, la reconstruction est réalisée dans le même temps que la mastectomie, tandis que d’autres patientes doivent attendre la fin de leurs traitements oncologiques pour envisager l’intervention.
Dr Yasmine Fertani, chirurgienne oncologue
Dr Yasmine Fertani, chirurgienne oncologue à l’ISA, qui pratique également la chirurgie reconstructrice du sein, précise : « Certaines patientes, notamment celles atteintes de cancers du sein inflammatoires, ne peuvent pas avoir une reconstruction immédiate. Elles auront une reconstruction secondaire après la fin des traitements. »
Si certaines femmes se montrent vivement intéressées par la reconstruction mammaire, d’autres expriment une réticence à envisager cette option, souvent en raison de fausses idées ou tout simplement d’un manque d’informations. Selon Dr Yasmine Fertani, certaines craignent à tort que la reconstruction mammaire n’augmente le risque de récidive du cancer du sein, une idée fausse et traumatisante, qui freine leur décision. Ainsi, il est crucial pour les médecins de fournir des explications précises et rassurantes pour aider les patientes à surmonter leurs appréhensions et à prendre des décisions éclairées concernant leur parcours de guérison. « Nos patientes peuvent nous exprimer toutes leurs craintes, poser toutes les questions pour être rassurées, » a-t-elle souligné. Et d’ajouter que « cela fait partie intégrante du travail de l’équipe. »
Gratuit ou payant ? Ce qu’il faut savoir
Dr Amira Gallas, chirurgienne plasticienne
En ce qui concerne le coût de l’intervention chirurgicale de reconstruction mammaire à l’ISA, qui est un établissement hospitalier public, la prise en charge est similaire à celle de toute autre intervention chirurgicale, comme l’explique Dr Amira Gallas. Lorsque la reconstruction se fait par prothèse, une partie des coûts liés à l’implant est couverte par la Sécurité sociale, tandis que l’autre partie reste à la charge de la patiente. Le prix de l’intervention elle-même est pris en charge par l’hôpital, et des alternatives sans prothèse, comme l’utilisation des tissus autologues, peuvent être proposées pour limiter les coûts, tout en assurant un résultat de qualité. Cela permet d’offrir à chaque patiente une solution adaptée à ses besoins et à ses capacités financières, garantissant un accès égalitaire à la reconstruction mammaire.
« L’accès à la reconstruction mammaire n’est pas limité à celles bénéficiant d’une couverture par la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM). Même les patientes sans couverture sociale sont prises en charge », assure Dr Yasmine Fertani. Et d’ajouter que « pour les patientes ne pouvant pas acquérir un implant, il existe des techniques de reconstruction utilisant uniquement les tissus de leur propre corps, adaptées selon leur morphologie et les conditions médicales ».
Des techniques variées et personnalisées
À l’Institut Salah Azaïez, plusieurs techniques de reconstruction mammaire sont disponibles pour s’adapter aux besoins individuels de chaque patiente.
« Nos interventions sont réalisées avec une maîtrise totale des techniques les plus avancées, équivalentes à celles pratiquées dans les cliniques privées en Tunisie mais aussi dans les pays développés. En effet, nous offrons l’ensemble du panel de la chirurgie reconstructrice du sein, garantissant aux patientes un accès à des soins de haute qualité, adaptés à leurs besoins spécifiques et à leur état de santé. Nous nous engageons à fournir à nos patientes des soins complets et personnalisés, tout en veillant à leur bien-être psychologique tout au long du processus. »
Dr Ben Naceur détaille : « Nous utilisons trois principales méthodes, l’implant mammaire, l’utilisation des tissus autologues (issus du corps de la patiente elle-même), ou des techniques hybrides qui combinent les deux. »
La première méthode consiste à insérer un implant en silicone ou en solution saline sous la peau pour recréer le volume et la forme du sein. Cette technique est prisée pour sa rapidité et ses résultats esthétiques prévisibles, permettant aux patientes de retrouver rapidement une apparence féminine. S’agissant de la deuxième option, elle consiste dans l’utilisation des tissus autologues, où des tissus tels que la graisse ou les muscles, sont prélevés sur d’autres parties du corps de la patiente et utilisés pour reconstruire le sein. Cette méthode présente l’avantage d’utiliser des tissus naturels, offrant ainsi un résultat plus harmonieux tout en réduisant les risques liés aux corps étrangers. Les techniques hybrides combinent, quant à elles, l’utilisation d’implants mammaires avec des tissus autologues pour optimiser à la fois le volume et la qualité esthétique du sein reconstruit. Ces techniques personnalisées permettent d’adapter la reconstruction aux besoins spécifiques de chaque patiente, garantissant ainsi des résultats satisfaisants et sur mesure.
Selon Dr Mohamed Radhi Ben Naceur, le choix de la technique dépend de la morphologie de la patiente, de ses préférences personnelles et de l’état de sa peau et de ses muscles après la mastectomie. Ce processus est discuté en amont avec la patiente, afin de s’assurer qu’elle comprenne bien les avantages et les inconvénients de chaque option.
De gauche à droite Dr Amira Gallas, Dr Mohamed Radhi Ben Naceur et Dr Yasmine Fertani
Résilience
Pour de nombreuses patientes, la reconstruction mammaire n’est pas seulement une étape chirurgicale, c’est un véritable tournant psychologique. En rétablissant une silhouette féminine, elle permet à ces femmes de tourner la page et de se réapproprier leur corps après le cancer. Dr Yasmine Fertani se souvient particulièrement d’une patiente qui a vécu sa reconstruction comme une véritable «re-naissance». Cette femme de 36 ans, après avoir subi une mastectomie, a décidé de célébrer une nouvelle date d’anniversaire correspondant au jour de sa reconstruction mammaire, marquant ainsi un renouveau dans sa vie.
« Je me souviens d’un cas qui m’a particulièrement marquée. C’était une jeune patiente de 36 ans qui m’a confié avoir vécu sa reconstruction comme une véritable re-naissance. Elle a même décidé, en accord avec sa famille, de modifier la date de son anniversaire pour qu’elle coïncide avec celle de sa reconstruction mammaire », a-t-elle affirmé.
Selon Dr Yasmine Fertani, ces témoignages illustrent combien cette intervention peut contribuer au bien-être psychologique des patientes. Le soutien émotionnel des chirurgiens et du personnel médical est essentiel dans ce parcours de guérison, tout autant que l’acte chirurgical en lui-même.
La reconstruction mammaire à l’ISA n’est pas seulement une intervention médicale, elle est synonyme de résilience et de re-naissance pour des milliers de femmes. Dans un pays où le cancer du sein touche de plus en plus de femmes chaque année, le travail des chirurgiens plasticiens est une lueur d’espoir. Leur engagement à redonner à ces femmes la confiance en elles et en leur corps est fondamental dans la lutte contre le cancer du sein.
« Il faut continuer à encourager les femmes à se faire dépister et à ne pas hésiter à recourir à la reconstruction. La reconstruction mammaire offre aux patientes l’opportunité de se réconcilier avec leur image corporelle marquant ainsi une étape essentielle dans leur rétablissement. Une fois le traitement curatif terminé et le pronostic rassurant, il est crucial de ne pas hésiter à envisager cette intervention. Comme l’a souligné ma collègue, la reconstruction mammaire est souvent vécue comme une véritable re-naissance, redonnant aux femmes une nouvelle confiance en elles, après le combat contre le cancer », a affirmé Dr Amira Gallas.
« Le cancer du sein, c’est le premier cancer de la femme, mais c’est aussi le premier cancer dont on guérit aujourd’hui », a affirmé Dr Fertani. Elle explique que de nos jours, la réussite d’un traitement ne se mesure plus uniquement à travers l’efficacité des thérapies contre la maladie, mais également par l’amélioration de la qualité de vie des patientes. C’est là que la reconstruction mammaire joue un rôle essentiel, en permettant aux femmes de retrouver leur féminité et leur confiance après une mastectomie, contribuant ainsi à leur bien-être physique et psychologique dans le cadre de leur parcours de guérison.
Prothèse mammaire : une re-naissance
La sensibilisation autour du cancer du sein et de la reconstruction mammaire est donc plus que jamais essentielle, surtout avec l’augmentation préoccupante des nouveaux cas chaque année. En Tunisie, des initiatives comme celles menées pendant le mois d’Octobre rose permettent d’informer les femmes sur l’importance du dépistage précoce, tout en leur rappelant qu’une mastectomie n’est pas une fatalité.
« Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir », c’est le message que les médecins que l’on a rencontrés à l’ISA souhaitent transmettre à toutes les femmes victimes du cancer du sein. Ces mots rappellent en ce mois d’Octobre rose que la reconstruction mammaire est bien plus qu’une simple chirurgie, c’est une étape clé dans le processus de guérison, un pas vers une nouvelle vie, pleine d’espoir.