Chroniqueurs, influenceurs et vendeurs en ligne : Nouvelle niche fiscale

Après les professions libérales, la police fiscale, installée déjà en Tunisie depuis 2018, se lance à la chasse d’un autre type de fraudeurs, ceux qui gagnent de l’argent via les réseaux sociaux ; Twitter, Facebook, Instagram, Youtube, Linkedin, TikTok, blogs ou autres.

Par Khadija Taboubi

 Quelle que soit leur appellation, influenceurs, instagrameurs, tiktokeurs, vendeurs en ligne, freelanceurs ou encore créateurs de contenus, tous les revenus sont désormais taxés. Tous doivent avoir un identifiant fiscal ou « patente », d’abord, comme étant une obligation pour toute personne physique ou morale qui exerce une activité professionnelle, ensuite, comme un droit leur permettant de participer activement à la croissance économique du pays et à la création de la richesse.
Désormais, la police fiscale, étant le nouvel officier chargé de promouvoir l’acceptation de l’impôt et de favoriser l’accomplissement volontaire par les citoyens de leurs obligations fiscales, a aussi un nouveau terrain de fisc, c’est tout un créneau susceptible de fournir une grosse somme d’argent en quelques années, eu égard au recours intensif aux réseaux sociaux en tant que véritable outil de marketing viral et un formidable moyen de toucher plus de prospects.

 100.000 euros par post sponsorisé
Les réseaux sociaux offrent, aujourd’hui, de nombreuses opportunités en transformant une présence en ligne en source de revenus significative. C’est un enjeu stratégique majeur qui a transformé profondément et rapidement aussi bien la société que l’essor d’Internet.
Ces derniers, si nous pouvons les classer en deux sous-groupes, influenceurs et vendeurs en ligne, gagnent quotidiennement et peut-être chaque heure, des sommes très importantes en termes de revenu, pouvant atteindre pour certains cas, 100.000 euros par post sponsorisé. Donc, aucune raison de ne pas payer les impôts tout comme toutes les autres activités même de services. Le site spécialisé «Shortlist» a estimé, dans une note récente, le salaire d’un instagrameur ou influenceur selon les revenus par tranche de followers :
Un micro-influenceur (1000 à 10.000 abonnés) : entre 50 et 500 euros par post sponsorisé. Les micro-influenceurs, malgré leur audience relativement faible, ont souvent un taux d’engagement élevé. Les marques apprécient leur authenticité et leur capacité à influencer des niches spécifiques.
Un influenceur intermédiaire (10.000 à 100.000 abonnés) : entre 200 et 2000 euros par post. En plus des publications sponsorisées, ils peuvent obtenir des revenus substantiels grâce aux programmes d’affiliation et aux forfaits mensuels pour du contenu exclusif.
Un macro-influenceur (100.000 à 1 million d’abonnés) : jusqu’à 10.000 euros par post. Leur audience importante et diversifiée attire les grandes marques qui cherchent à atteindre un vaste public. De plus, cette catégorie d’instagrameurs peut négocier des contrats de collaboration à long terme et participer à des campagnes publicitaires.
Un méga-influenceur (plus de 1 million d’abonnés) : entre 10.000 et 100.000 euros par post sponsorisé, voire plus. Leur influence massive et leur visibilité mondiale constituent des atouts précieux pour les marques multinationales.
Etant l’organe administratif relevant du ministère des Finances chargé de l’établissement de l’assiette, du contrôle, de l’action en recouvrement et du recouvrement de l’ensemble des impôts et taxes, la Direction générale des impôts (DGI) n’a pas manqué l’occasion pour rendre à César ce qui lui appartient, vu que sa principale mission porte sur la collecte optimale et équitable des impôts et taxes et l’établissement d’une cohérence entre les différentes activités. Cela fait déjà partie de toute une stratégie visant la lutte contre l’évasion fiscale et l’intégration du secteur informel dans l’économie organisée, mais aussi la réalisation de l’équité fiscale à travers l’élargissement de l’assiette fiscale et l’augmentation des recettes.

 Echange d’informations avec des parties étrangères

Youssef Khelif, Chef de l’unité d’inspection des services fiscaux relevant de la DGI

Youssef Khelif, Chef de l’unité d’inspection des services fiscaux relevant de la DGI,  indique qu’une nouvelle approche a été mise en place en 2024 en collaboration avec toutes les parties prenantes à l’instar des ministères du Commerce, des Finances, de la Direction générale de la Douane et autres parties concernées par la lutte contre l’économie informelle et son intégration dans le secteur organisé.
A cet effet, il a rappelé la création, au début de l’année 2024, d’une cellule de contrôle du commerce électronique relevant de la DGI, chargée de suivre tous les espaces virtuels, TikTok, Youtube, Instagram, Facebook, et toutes les transactions de vente en ligne. Cette cellule travaille, selon lui, en coordination avec toutes les autres structures administratives qui opèrent dans le même secteur, afin de fournir une information stable et instantanée. De nouveaux agents spécialisés en informatique ont été recrutés dans le cadre du programme national de redéploiement des fonctionnaires pour suivre et contrôler les opérations et transactions effectuées sur les réseaux sociaux et sur le terrain.
Par rapport aux ventes en ligne, Khelif souligne que la police fiscale a déjà mené des opérations de contrôle auprès de 17 sociétés de livraison, réparties à travers tous les gouvernorats du pays et cela a concerné plutôt le contrôle des factures sur les routes. Ce travail a été mené en coopération avec les agents sécuritaires.
Ainsi, des conventions fiscales internationales de non double imposition ont été signées avec des parties étrangères, outre l’entrée en vigueur, depuis janvier 2014, de la Convention concernant l’assistance administrative mutuelle en matière de fiscalité (MAAC), ce qui a permis à la Tunisie d’obtenir des renseignements importants auprès des pays étrangers concernant ces contribuables tels que les influenceurs, youtubeurs, instagrameurs, etc.

 18 instagrameurs, 17 chroniqueurs, 7 rappeurs…
Youssef Khelif a en outre indiqué que la Brigade des investigations et de la lutte contre l’évasion fiscale (BILEF) a mené des opérations de contrôle visant 18 instagrameurs ayant abouti à des encaissements de l’ordre de 1,3 MDT. Cela a également concerné 17 chroniqueurs, 30 créateurs de contenus (11,9 MDT), ainsi que 7 rappeurs et sociétés de production rattachés (0,1 MDT).
Au total, ces opérations de contrôle ont concerné 72 contribuables exerçant dans ces activités, ce qui a permis de rapporter aux caisses de l’Etat près de 15,7 MD à la date du 27 septembre de l’année en cours.
Dans le même cadre, la BILEF a identifié 17 livreurs qui exercent des activités rattachées au commerce électronique.

 10 conventions d’échange de renseignements
Et pour mener à bien cette mission, le ministère des Finances a mis en place de nombreuses mesures sur le plan contrôle et recouvrement et sur le plan communication et civisme fiscal.
Dans ce cadre, la DGI, comme partie prenante de ce processus, a signé en 2024, 10 conventions d’échange de renseignements avec des organismes publics tels que l’ATTT (Agence technique de transport terrestre), le ministère du Commerce et de promotion de l’exportation, la CNRPS et la CNSS. Ces conventions permettent l’interopérabilité des données et l’enrichissement des bases de données dont dispose la DGI.
Outre ces conventions, la DGI a intensifié les campagnes de ratissage. Depuis le début de l’année 2024 et jusqu’au 30 septembre, 634 agents de la DGI ont mené 39.000 visites dans les locaux des contribuables. Ces opérations visaient à contrôler et vérifier le respect par les contribuables de leurs obligations fiscales, régulariser la situation des défaillants et enrichir la base de données de la DGI.
Notons que ces opérations ont permis de découvrir, durant la même période, 1.204 contribuables qui exercent des activités commerciales ou industrielles ou de services sans déclaration d’existence.
Le nombre de vérifications fiscales qui ont touché des personnes physiques non identifiées par des matricules fiscaux a atteint 3.935 durant cette période. Les sommes collectées s’élèvent à 11,5 millions de dinars.
Selon Khelif, 2300 agents ont réalisé durant la même période plus de 138.000 interventions de tous types (vérifications, régularisation de défauts, procès-verbaux).

 Plus de 11 mille opérations de vérification
La DGI a également mené des opérations de contrôle routier des factures ayant permis de contrôler 28.778 véhicules durant la même période et de verbaliser 5.622 contrevenants.
La DGI a aussi intensifié tous les types d’opérations de vérification (approfondie, ponctuelle ou préliminaire) et ce, étant donné que de nombreux contribuables qui exercent leurs activités dans le secteur informel s’approvisionnent auprès du secteur organisé.
Le nombre total de vérifications a atteint 11.150 opérations en 2024 alors que le nombre d’arrêtés de taxation d’office s’élève à 4.212.
« Au total, nous avons encaissé près de 28 MDT des sociétés et des personnes physiques travaillant dans le commerce électronique et l’objectif en 2025 est d’intégrer toute personne active dans le commerce électronique sans identifiant fiscal. Nous voulons atteindre le double de ce qu’on a fait en 2024 en termes de revenus déclarés auprès de l’administration fiscale », a encore indiqué Youssef Khelif, faisant remarquer qu’avoir un identifiant fiscal est un point positif permettant à son détenteur de s’affilier aux caisses sociales et de bénéficier d’un carnet de soins.
Il a tenu toutefois à préciser que les personnes dont la situation fiscale n’est pas en règle vont se retrouver devant plusieurs difficultés, rappelant que depuis l’année 2023, ces personnes, lorsqu’elles importent de l’étranger, paient une avance sur importation (AIR) de l’ordre de 15 % beaucoup plus chère que la personne dont la situation fiscale est régulière qui paie une AIR de 10 % seulement.

 5000 milliards de recettes fiscales en 9 mois
Youssef Khelif a, sous un autre angle, estimé que les opérations de contrôle menées par les agents de la fiscalité relevant de la DGI ont engendré, jusqu’à la date du 30 septembre 2024, des recettes de l’ordre de 5000 millions de dinars, soit une hausse de 24% par rapport à la même période de l’année dernière. Et d’ajouter que l’objectif est d’atteindre une hausse de 40% au niveau des recettes fiscales d’ici à la fin de cette année.
Il a en outre rappelé la mise en place de plusieurs autres mécanismes facilitant la tâche de la DGI, citant la plateforme SEDAR (Système de sélection des dossiers basé sur l’analyse risque) qui a permis, selon lui, le renforcement et la rationalisation des opérations de programmation des vérifications ponctuelles et approfondies des contribuables.
Outre SEDAR, il a évoqué la mise en place d’une application permettant de préparer systématiquement des préavis pour les gens qui n’ont pas déposé leurs déclarations fiscales. Le total des préavis préparés via cette application a atteint environ 45 mille et ont été tous déposés auprès des services de contrôle des impôts.
Ainsi, l’accent a été mis sur l’amélioration du fonctionnement de la plateforme de transfert et d’échange d’informations fiscales « TEJ » entrée en service en juin 2024 et destinée à éditer des certificats de retenue à la source et à assurer l’archivage numérique des documents fiscaux et comptables, outre la plateforme des caisses enregistreuses qui entrera en vigueur très prochainement.

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