Cinéma : Le royaume des fourmis, l’épique qui prend l’eau

Dans le cadre de cette rubrique «ciné », nous proposerons à nos lecteurs quelques critiques de films tunisiens, hélas peu nombreux, qui ont marqué leur époque. Nous démarrons cette « anthologie des films tunisiens » que vous retrouverez, de manière cyclique, avec Le Royaume des fourmis.

Critique

Palestine, juste après leur union, deux jeunes mariés sont amenés à se séparer. Ils passeront des années sans se voir pris dans un conflit meurtrier qui les dépasse. Analyser, critiquer objectivement un film évoquant la cause palestinienne en Tunisie équivaut à analyser un film évoquant la shoah aux États-Unis. En dire du mal, c’est prendre le risque de se voir traiter d’insensible, voire plus.  Cette remarque passée, il faut reconnaître au film de Chawki Mejri une sincérité dans le propos et une volonté de faire passer un message…

Problème, le fil conducteur du long métrage est une histoire d’amour. Soit !  Une histoire d’amour réussie, peut donner à un film évoquant la guerre, une puissance lyrique insoupçonnée comme l’en atteste Autant en emporte le vent par exemple. Et là, problème… problème au niveau du couple sensé nous faire rêver. En effet, si Saba Moubara est sensuelle, résolue et impeccable en femme désirable, en héroïne résolue et en mère attentionnée, ça se gâte pour son partenaire  Mondher Rayahna, fade, falot et doté du charisme d’une huitre. Ce qui est d’autant plus gênant vu qu’il est censé jouer un activiste palestinien, soit une sorte de Che Guevara en puissance. Un homme que doivent désirer les femmes et impressionner les hommes. Raté, le couple est déséquilibré, un abîme sépare les deux.

Autre problème, et pas des moindres, l’approche cocasse des personnages. TOUS les Palestiniens sont gentils, TOUS les Israéliens sont méchants. À moins d’être nostalgique des dessins animés de la petite enfance, on a du mal à supporter cette vision superficielle d’un conflit complexe. À cet égard, le (très) méchant commandant juif est aussi crédible qu’un méchant James Bond des années 60.

Cette histoire d’amour faiblarde et des personnages caricaturaux, expliquent en grande partie le deuxième point, celui de la longueur.

Le film dure deux heures, et pourtant on a vraiment l’impression qu’il dure le double. Le royaume des fourmis manque de rythme. Pas de chance, il s’ouvre sur l’histoire d’amour à l’eau de rose. L’on sort du sommeil lorsque des écoliers voient passer au-dessus de leur tête des hélicoptères de Tsahal. Et là, on se dit « ça y est, le film démarre ! ». Faux espoir, il hiberne. Cela est d’autant plus frustrant que nous avons, par intermittences, des scènes magnifiques qui illustrent la violence aveugle de l’occupant ou encore des interstices de poésie comme rarement vues dans un film arabe. À cet égard, la séquence du jeune marié dans les décombres est magnifique. Dommage, que le reste ne soit pas au niveau, la trame s’englue dans des musiques qui soulignent lourdement la souffrance, des visages fermés, des expressions figées.

Dernier point, l’angle d’approche. Il est clair qu’en tant que réalisateur et scénariste, Chawki Mejri voulait placer sa romance en pleine guerre. Intention louable puisqu’on peut traiter la guerre d’un point de vue intime, à cet égard la plus grande réussite demeure Full Metal Jacket. Las ! Le réalisateur veut montrer aussi la guerre avec les scènes qui vont avec. Mais là, le manque de moyens est trop flagrant. Deux/trois jeeps que l’on voit tout au long du film, une ambulance, un hélicoptère et un char. Trop peu pour évoquer la lutte armée et sanglante.

Pourquoi ne pas avoir continué à explorer les séquelles psychologiques et physiques que laisse l’occupation sur le peuple occupé ? Pourquoi ne pas avoir développé cette approche à échelle humaine et poétique du conflit israélo-palestinien ? La fresque épique nécessite beaucoup de moyens, le drame humain en nécessite moins. Dommage.

 

Au final

Trop ambitieux dans sa volonté d’entremêler « intime et épique », Le Royaume des fourmis n’a pas les moyens de ses ambitions. Il finit par tourner en rond, finit par lasser. On rêvait d’un film complexe, d’une histoire d’amour qui fasse rêver… on se retrouve avec une amourette digne d’un épisode d’un feuilleton égyptien, des personnages caricaturaux et une intrigue simpliste. On est touché par certaines scènes et ce sont ces scènes poétiques et fantasmagoriques qui sauvent Le Royaume des fourmis du naufrage et lui évitent le zéro.

 

Titre original : «Le royaume des fourmis», Réalisation : Chawki Mejri

Acteurs principaux : Juliette Awad, Khaled Tajir, Jamil Awad, Sabah Bouzouita et Abdellatif Othman. Participation spéciale de Abed Fahd

Genre : Drame

Farouk Bahri

 

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