Basé sur une histoire vraie comme seule Hollywood sait en dénicher, Ejiofor joue Solomon Northup, un joueur de violon virtuose qui vit une vie heureuse et bourgeoise aisée à Saratoga Springs, près de New York. Nous sommes en 1841 et Northup est un homme libre apparemment accepté comme un égal par ses pairs blancs. Lorsque sa femme effectue une petite virée hors de la ville, Northup se laisse tenter en voulant gagner un peu, plus, d’argent en organisant un cirque ambulant. Il se dirige à Washington avec sa troupe avant de se trouver drogué, enlevé et lié par des chaînes à un jet de pierre du Capitole.
De là Northup est complètement coupé de son ancienne vie. Tel un animal de compagnie, le voici affublé d’un prénom « Platt » qu’il doit faire sien. Ce père de famille doit oublier son identité et, pire, nier ses compétences. Le premier conseil que lui donne un autre esclave est glaçant : « Ne dis jamais qui tu es et surtout ne dis à personne que tu sais lire ou écrire… sauf si tu veux être un nègre mort ». Livré en Louisiane comme bien mobilier, il se retrouve sous une bâche, dans une sorte de panier dans lequel les esclaves sont placés sous ce couvercle et tirés comme des sardines en boîte.
Le reste du film se concentre sur le passage de Platt par les mains de différents propriétaires, chacun, barbare à sa manière, lui niant l’humanité qu’ils ne peuvent en aucun cas lui reconnaître. Ainsi, le commerçant Théophile Freeman, joué par Paul Giamatti, démontre les forces et les réflexes de ces esclaves en les attaquant, crânement, à coups de gourdins. Maître Ford, interprété par Benedict Cumberbatch, est lui-même un homme de conscience, mais considère la gestion de la plantation comme inhérente à la brutalité qui y règne sans entraves. Enfin, arrive le maître Epps alias Fassbender, auréolé du titre de «briseur de nègres », un sadique reconnu, qui maintient l’ordre par l’application constante du fouet. Summum machiavélique, il se réveille, réveille ses esclaves au milieu de la nuit et les oblige à danser pour son bon plaisir lorsqu’il s’ennuie.
Fassbender est, comme à l’accoutumée, brillant dans sa partie. La distance entre le calme et l’explosion de violence est ténue, large comme un cheveu, mais sa croyance en son autorité se traduit par une excentricité aussi raffinée que glaçante. Le bras drapé amicalement à son épaule, il menace calmement Platt de mort… et pire encore.
Vous n’échapperez certainement pas à cette volonté de comparaison avec un autre négrier loquace : le Calvin Candie, porté à l’écran par Leonardo Di Caprio, de Django Unchained. Candie était un méchant se livrant à des actes dépravés sans ciller. Mais, comme beaucoup de méchants de Tarantino , il avait aussi de la ruse et de l’esprit, ce qui lui conférait une sorte de glamour. Rien de tout ça chez Maître Epps et c’est sûrement une distinction importante.
Comme dans le film de Tarantino, il est fréquent qu’explose la violence sanglante et le mot « nègre ». Au début, cela suscite horreur et dégoût, mais finalement il y a une exaspération ; un sentiment que vous ne pouvez pas garder longtemps. Une des choses les plus choquantes pour le spectateur est peut-être la façon dont les esclaves de diverses plantations assurent calmement leur travail, alors que les hommes et les femmes sont lynchés et battus autour d’eux. Cette distanciation avec la souffrance de « l’autre » est effrayante… 12 years a slave devient alors une scarification, la représentation sans fard de la vie de dizaines de milliers de personnes telle qu’elle était, il y a moins de 200 ans.
Farouk Bahri
*12 years a slave Année de production : 2013Durée: 133 minutesRéalisateur: Steve McQueen
Casting : Benedict Cumberbatch , Brad Pitt , Chiwetel Ejiofor , Michael Fassbender , Paul Dano